Les États-Unis aux yeux de la Chine : un rival à détrôner... et un partenaire

Le président chinois Xi Jinping à Los Angeles le 17 février 2012 avec Joe Biden, alors vice-président de Barack Obama.
Le président chinois Xi Jinping à Los Angeles le 17 février 2012 avec Joe Biden, alors vice-président de Barack Obama.

Les États-Unis aux yeux de la Chine : un rival à détrôner... et un partenaire

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Les États-Unis aux yeux de la Chine : un rival à détrôner... et un partenaire

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Le regard de l'autre | C’est la relation bilatérale la plus importante au monde. De son évolution dépendent presque tous les équilibres mondiaux, la guerre, la paix. Comment la Chine va-t-elle aborder sa relation avec les États-Unis maintenant que Joe Biden s'est installé à Washington ?

C'est plus de deux semaines après que la plupart des grands dirigeants ont félicité le démocrate Joe Biden pour sa victoire que le président chinois a fait de même, dans un télégramme cité le 25 novembre dernier par les médias d'État à Pékin. Les deux pays "doivent éviter tout conflit ou affrontement et s'en tenir au respect mutuel dans un esprit de coopération gagnant-gagnant" afin de promouvoir la "noble cause" de la paix et le développement, a souligné Xi Jinping dans son télégramme. "Le développement de relations américano-chinoises saines et stables est dans l'intérêt fondamental des deux peuples", a fait valoir celui qui est aussi secrétaire général du Parti communiste chinois.

Pendant les quatre années de l’administration Trump, la relation entre les deux pays s’est tendue, sur fond d’affrontement commercial. Mais cette évolution n’est pas uniquement liée à Donald Trump. Elle est structurelle.

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La Chine voit les États-Unis à la fois comme un rival et comme un partenaire, elle les regarde avec un peu d’envie et de fascination, mais elle veut aussi traiter d’égal et égal et commence à manifester de la condescendance. C’est un jeu dangereux.

Analyse en six points clés pour " Le regard de l'autre" : géographie, Histoire, économie, droit, psychologie et sociologie.

La géographie

Par la taille, la Chine joue dans la même cour que les États-Unis : une superficie quasi similaire (un peu moins de 10 millions de km2) et une position géographique qui met les deux pays face à face, avec l'océan Pacifique pour frontière.

Les deux pays sont même assez proches : moins de 3 000 kms séparent la côte chinoise des territoires américains de Guam et des Marianne du Nord.

Mais la Chine se voit aussi plus grande et mieux placée que son rival.

Plus grande évidemment par la population : 1 milliard 400 millions d’habitants, 4 fois la population des États-Unis, ¼ de la population mondiale.

Et mieux placée géostratégiquement : au centre du nouveau Monde, au cœur de cette Asie à forte croissance économique que la Chine regarde comme sa zone naturelle d’influence. Et plus proche géographiquement du Moyen-Orient, du Proche-Orient, de toute l’Afrique de l’Est, plus proche en effet que ne le sont les États-Unis.

Une frontière commune : le Pacifique
Une frontière commune : le Pacifique
© Radio France - Chadi Romanos

L'Histoire

Sur ce plan, la Chine se voit supérieure aux États-Unis, de par sa culture et son histoire millénaires.

Sous la dynastie Han, à peu près à l’époque de Jésus-Christ, la Chine est l'État le plus puissant du monde : elle s’étend de la Corée, au Nord, au Vietnam, au Sud, jusqu'à l’Asie centrale, l’actuel Kirghizstan, à l’Ouest. C’est alors qu’est lancé le commerce de la route de la Soie.

L’empire chinois va durer des siècles, et imposer sa culture, notamment pendant la période manchoue au XVIIIe siècle.

Au XIXe et plus encore au début du XXe siècle, la Chine s’affaiblit sous les coups de boutoir de l’Occident (notamment les Britanniques et les Français).

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La Chine veut aujourd’hui retrouver cette puissance perdue avec un désir de revanche sur les humiliations subies à cette époque, en particulier lors des guerres de l’opium. Le retour de la puissance, aujourd’hui, est donc un juste retour à l’ordre des choses. Et une revanche contre la "semi colonisation" imposée par l’Occident au XIXe siècle.

A l’inverse, les États-Unis sont perçus par la Chine comme une puissance récente. Et c’est vrai, au regard de l’Histoire, ils ne dominent que depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Ils ont d’abord été des alliés, pendant la Seconde Guerre mondiale, puis des rivaux, via les guerres par procuration de Corée et du Vietnam. Et depuis les relations ont des hauts - la reconnaissance officielle de la Chine par Washington en 1979 - et des bas, comme la guerre commerciale sous Trump.

Mais le point essentiel est donc bien que, vu de Chine, l’Histoire avec un grand H est faite bien davantage de domination chinoise qu’américaine.

Le président chinois Xi Jinping observant l'arrivée de Donald Trump pour la photo du G20 de Buenos Aires, en novembre 2018.
Le président chinois Xi Jinping observant l'arrivée de Donald Trump pour la photo du G20 de Buenos Aires, en novembre 2018.
© AFP - Pool For Yomiuri / Yomiuri / The Yomiuri Shimbun
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L’économie

C’est le paramètre central de la relation, une relation complexe : la Chine voit les États-Unis comme un rival qu’elle veut supplanter, et aussi comme un partenaire toujours indispensable pour avancer notamment sur les nouvelles technologies et le numérique.

Économiquement, la Chine et les États-Unis sont interdépendants : ils se tiennent l’un l’autre par la barbichette.

Ce sont d’abord les deux pays les plus riches de la planète, les deux premiers PIB. Mais la Chine rattrape progressivement les États-Unis et pourrait les doubler avant 2030.

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A première vue, la relation est déséquilibrée au profit de la Chine.

La balance commerciale d’abord : la Chine exporte 4 fois plus vers les États-Unis qu’elle n’importe des États-Unis. Et le phénomène s’est encore accentué avec la pandémie de Covid qui a mis à l’arrêt la machine économique américaine.

Et puis, les investisseurs chinois sont, et de loin, les premiers créanciers de l’économie américaine : Washington vit à crédit, un crédit chinois. On parle là de milliers de milliards de dollars… C’est gigantesque. Mais dans l’autre sens, la Chine, qui elle aussi est endettée, a également besoin des États-Unis. Des accords de partenariat : près de 20 000 co-entreprises. Et surtout des débouchés commerciaux : ce sont les exportations vers les États-Unis, de technologie, de textiles, qui font tourner la machine économique chinoise et donc nourrissent les habitants du pays le plus peuplé du monde.

Les deux pays sont donc interdépendants.

Toute la stratégie chinoise désormais, est de limiter progressivement cette dépendance aux États-Unis. En développant sa consommation intérieure. En initiant son projet de "Nouvelles routes de la Soie" vers le Moyen-Orient, l’Europe, l’Afrique. Et en signant de nouveaux partenariats commerciaux, comme ces dernières semaines, avec l’Europe et avec ses voisins de la zone Asie Pacifique.

La Chine espère ainsi détrôner son rival.

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Le droit

Il y a deux grandes catégories de contentieux entre les deux pays.

Le premier découle de que l’on vient d’évoquer : c’est la bataille commerciale.

En 2018, Washington a imposé toute une série de taxes sur les produits chinois, pour un montant équivalent à plusieurs centaines de milliards de dollars.

La Chine a rétorqué en faisant à peu près la même chose.

La bataille s’est intensifiée sur la téléphonie et le numérique, la 5G, les cartes mémoires, Huawei, Tik Tok, accusés par Washington d’être des outils potentiels d’espionnage pour le pouvoir chinois.

Les choses ont fini par se calmer avec un accord commercial, par lequel la Chine s’engage à acheter davantage de produits américains. Mais la mise en œuvre de l’accord a bien du mal à s’opérer.

Le deuxième contentieux est relatif à Taïwan et plus globalement à la situation en mer de Chine méridionale. Depuis 1949, l’île de Taïwan est de facto indépendante, même si la Chine continentale voit Taïwan comme une partie de son territoire. Et les États-Unis sont un fidèle allié de Taïwan. L’un des derniers gestes de l’administration Trump a d’ailleurs été de lever toute restriction sur les contacts entre officiels américains et taïwanais.

Vu de Pékin, cela ressemble à un bras d’honneur, "une voie dangereuse".

La Chine ne cesse d’ailleurs de s’étendre militairement dans toute la zone située au sud de Taïwan, en créant de nouvelles bases, par exemple autour des iles Spratleys. Pour Washington, il y un vrai sujet juridique : la liberté de navigation est menacée dans la région.

La tension militaire y est croissante : c’est par excellence la région du monde où le président chinois Xi Jinping montre ses muscles aux États-Unis.

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Psychologie et sociologie

Une anecdote révèle bien le sentiment qui anime aujourd’hui les Chinois.

En 2018, une photo montre une séance de négociations commerciales entre les deux pays.

A première vue, l’image est banale : une grande table tout en longueur, une délégation de chaque côté, tout le monde a ses dossiers et sa bouteille d’eau sur la table. Mais quand on regarde plus attentivement, un fait marquant saute aux yeux : à gauche, les Chinois, moyenne d’âge à vue de nez 40 ans, à droite, les Américains, moyenne d’âge à vue de nez, 70 ans !

Et du coup, sur Weibo, le principal réseau social chinois, cette photo est devenue un symbole : la Chine c’est l’avenir et la modernité, et elle est en train de supplanter les Américains, ringards et dépassés…

Vu de Chine, le "modèle américain" est en déclin. Il sera bientôt dépassé.

Et la conviction du président Xi Jinping est que "son modèle" (croissance économique et autoritarisme politique) est meilleur. Plus efficace.

Bien sûr, les résultats obtenus dans la lutte contre l’épidémie de Covid apportent de l’eau à ce raisonnement : 4 600 morts en Chine (même si le bilan réel est sans doute plus élevé), près de 400 000 aux États-Unis.

Peu importe que le virus soit venu de Wuhan : le régime balaie toute responsabilité. Pékin se sent d’autant plus fort que la Chine progresse désormais y compris dans des domaines emblématiques de la puissance de Washington : la conquête spatiale, l’intelligence artificielle, le numérique.

Et le pouvoir chinois n’a aucune intention de rendre des comptes aux États-Unis sur les questions de démocratie ou de liberté, sur Hong Kong ou les Ouighours, a fortiori après ce qui s’est passé au Capitole de Washington.

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Difficile de prédire la suite.

L’équipe de Joe Biden, qui connaît bien la Chine, pour s’y être rendu dès 1979, ne sera pas nécessairement plus facile en affaire que l’équipe Trump.

En tous cas cette rivalité va rester structurante, elle se joue sur tous les plans : économique, technologique, géostratégique, idéologique.

La volonté de puissance du pouvoir chinois saute aux yeux et c’est donc tout l’équilibre mondial qui est en jeu : nous sommes tous concernés.

Avec la collaboration d'Éric Chaverou et de Chadi Romanos

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