Les femmes sont encore trop peu et mal représentées à la télévision et la radio. C'est ce que pointent deux rapports publiés par l'INA puis le CSA cette semaine. Journalistes, politiques, expertes : la parité n'est atteinte dans aucune de ces catégories, toutes chaînes confondues.
Les femmes sont-elles mieux représentées dans les médias aujourd'hui ? Pas du tout, selon le dernier rapport relatif à la représentation des femmes à la télévision et à la radio publié ce vendredi par le CSA. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel rappelle que les femmes représentent pourtant près de 52% de la population française en 2019.
La présence des femmes sur les antennes, radio et télévision confondues, est même en légère baisse en 2018 : seulement 39%, soit un point de moins par rapport à 2017. Les évolutions diffèrent toutefois selon les médias (radio et télévision) mais aussi selon les secteurs (public et privé), le privé ayant davantage de progrès à faire. La proportion de femmes à la télévision s'est ainsi établie à 42% (stable sur un an) contre 37% (-1 point) à la radio, selon ce baromètre.
Le rôle du CSA dans cette quête de la parité a pris un tournant en 2014. La loi du 4 août 2014 sur l'égalité entre les femmes et les hommes lui donne la possibilité de sanctionner les images ou comportements choquants à l’égard des femmes. Le Conseil a également pour mission de veiller à l’image des femmes dans les programmes. A ce titre, il précise qu'il est intervenu huit fois auprès des chaînes en 2018 : cinq lettres simples et trois mises en garde ont été adressées.
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Malgré des évolutions observées, notamment en 2016, la parité dans les médias est donc loin d'être respectée. Une "contre-performance préoccupante" selon le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Le paradoxe des invitées politiques
Le rapport compte toutes les femmes qui apparaissent dans l'audiovisuel, qu'elles y travaillent ou qu'elles y soient invitées (présentatrices, journalistes chroniqueuses, politiques, expertes, etc.)
Dans chacune de ces catégories les résultats ne sont pas bons. Le nombre de présentatrices comme le nombre de journalistes n'augmente pas. Il baisse depuis 2015, en plateau comme en studio, même si les femmes sont encore 47% à présenter des émissions. Elles sont par ailleurs plus nombreuses à la télévision comparé à la radio.
Le rapport pointe également une incohérence. Les femmes politiques sont les moins bien représentées, elle compte pour moins d'un tiers des invités. Le CSA observe une baisse de 5 points par rapport à 2016. Pourtant, les femmes n'ont jamais été aussi présentes à l'Assemblée nationale, rappelle le Conseil dans son rapport (39%). Selon Carole Bienaimé-Besse, en charge de la cohésion sociale au CSA, cela s'explique notamment par de mauvaises habitudes : "Il y a eu l'effet campagne présidentielle en 2016. Par ailleurs, les chaînes nous expliquent que ces nouvelles femmes qui arrivent sur la scène politique sont moins biens rodées à l'antenne. On préfère donc aller chercher 'les bons clients', ceux avec lesquels on travaille d'habitude".
Les chaînes et antennes en sont conscientes mais il y a des habitudes à changer, changer le logiciel, le mettre à jour, changer ces réflexes... Qu'on ne fasse plus appel à tel ou tel bon client qui vient s'exprimer sur le sujet depuis des années.
Le CSA dénonce également le peu de présence des femmes aux heures de fortes audience. A la télévision, elles ne sont que 29% sur la tranche 21h-23h contre 42% de manière général. Par ailleurs, il ajoute que le nombre d'invitées politiques baisse également lors des matinales (entre 6 heures et 9 heures) les plus écoutées de France. Ainsi, la proportion d’invitées politiques est en deçà de la barre des 30 % pour France Inter (22 %) et de tout juste 30 % pour RTL.
Les expertes davantage présentes mais toujours pas assez
Seul progrès signalé par le CSA toutes chaînes confondues : l'évolution du nombre d'expertes à la radio comme à la télévision (37% soit deux points de plus qu'en 2017).
Cette évolution constante s'explique notamment grâce à la création ces dernières années d'annuaires d'expertes en ligne comme le site "Expertes France" créé en 2015. Il recense aujourd’hui 3 400 femmes expertes dans 400 domaines différents. "C’est un site qu’on a créé sur un constat : en 2015, 80% des experts qui interviennent dans les médias sont des hommes. Alors que nous vivons dans un pays où l’on a énormément de femmes diplômées et énormément de femmes expertes dans différents domaines", raconte Pauline Chabbert, coordinatrice du projet.
Aujourd'hui, près de 2 000 journalistes sont accrédités sur le site selon Pauline Chabbert. Pourtant, le nombres d'expertes sur les plateaux de télévision ou dans les studios radio n'atteint toujours pas la parité. Là encore, ce serait une question d'habitude. Pauline Chabbert parle aussi de création d'un "réflexe égalité" : "Si demain, on veut qu’il y ait vraiment la parité sur les plateaux télé ou radio, il faut que chaque journaliste, chaque étudiant et étudiante journaliste, se crée un réflexe égalité, c’est-à-dire que de manière systématique, quand on organise une émission, on pense à avoir un panel qui est paritaire et mixte".
L'égalité, ce n’est pas quelque chose de 'naturel'. De manière spontanée, on a plutôt tendance à reproduire les stéréotypes et les inégalités. Donc on va avoir tendance à rappeler toujours les mêmes personnes, souvent des hommes.
La coordinatrice du projet pointe aussi l'impact des stéréotypes dans l’information : "On peut être porteur de stéréotypes dans la façon dont on va interviewer une femme politique ou un homme politique".
Le CSA précise que la présence d’expertes à la télévision est toujours "beaucoup plus importante sur les chaînes généralistes publiques que privées (42 % vs. 28 %)". Il rappelle également que France Télévisions s’est engagé à augmenter de cinq points par an la part des femmes expertes sollicitées sur ses antennes, jusqu’à atteindre la parité en 2020. "Le groupe public devra donc faire progresser cette part de huit points en deux ans afin d’atteindre la parité en 2020".
Radio France s'est également engagée en 2017 à ce que la présence des femmes à l’antenne progresse de 5 % par an : "En 2018, le groupe a partiellement atteint ses objectifs puisqu’il compte toujours, au global, sur l’ensemble de ses antennes, 38 % de femmes (vs. 38 % en 2017)".
Les femmes parlent deux fois moins que les hommes à la radio et à la télévision
L'Ina a de son côté réalisé une étude inédite publiée en début de semaine. Plus de 700 000 heures de programmes ont été analysées depuis 2001 afin de mesurer le temps de paroles des femmes et des hommes dans les médias français grâce à une intelligence artificielle.
L'Ina démontre ainsi que les femmes ont parlé deux fois moins que les hommes en 2018. Elles représentent moins d'un tiers du temps de parole total, radio et télé confondues, et lors des heures de fortes audiences, les écarts sont encore plus importants, notamment sur les chaînes privées.
Dans son rapport, l'Ina distingue les radios musicales des radios généralistes. Ainsi, en ce qui concerne les radios d'information, RFI est la plus exemplaire avec seulement 33% de temps de parole accordé aux femmes.
L'étude montre sans surprise que les chaînes sportives sont celles où les femmes sont le moins présentes. Sur RMC, les femmes s'expriment deux fois moins par exemple. Ce phénomène se retrouve également à la télévision (Eurosport et L'Equipe).
En revanche, le temps de parole féminin est plus important lorsqu'ils s'agit de programmes qui leur sont "destinées" comme sur Teva ou Chérie 25. La chaîne d'information France 24 se démarque tout de même, avec un temps de parole réservé aux femmes qui s'élève à 45%.
Malgré ce triste constat, l'auteur de ce rapport, David Doukhan, rappelle que ces inégalités se réduisent au fil des années : "Ce sont des phénomènes qui ont tout de même évolué, en 2001 les hommes parlaient trois fois plus que les femmes, en 2018 ils parlent deux fois plus, c'est plutôt encourageant".
Au début de l'étude, on imaginait qu'il y aurait peut-être un basculement en 2013, parce que depuis 2013, le CSA doit veiller à une plus juste répartition des hommes et des femmes dans les médias, mais ça n'a pas été le cas. L'évolution est plutôt régulière, tous les ans, les femmes parlent 0,5% en plus.
Quelle image de la femme dans ces médias ?
Le baromètre du CSA met également en lumière la qualité des émissions proposées à la télévision et à la radio. Il analyse les programmes permettant de lutter contre les stéréotypes, les images dégradantes ou encore les violences faites aux femmes.
En 2018, Le Conseil souligne que sur vingt-sept chaînes de télévision, seulement dix ont accordé plus de temps d'antenne à ce genre de programmes par rapport à 2017 : TF1, France 5, C8, Cnews, France Ô, L'Équipe, RMC Découverte, LCI, France 24 et Paris Première. Le CSA reste très vigilant en ce qui concerne les émissions de télé-réalité, particulièrement regardées par les jeunes.
Il précise en revanche qu'un "grand nombre de fictions audiovisuelles mettent en avant des femmes à travers des personnages principaux dénués de préjugés sexistes". La chaîne Gulli se distingue par le nombre important de programmes non stéréotypés diffusés sur son antenne tout comme TF1 Séries Films qui "est une nouvelle fois la chaîne à avoir consacré le plus de temps d’antenne à ce type de programmes (42,1 % contre 48,3 % en 2017)".
Côté radios, le régulateur salue l'augmentation des émissions et des des sujets contribuant à la lutte contre les préjugés sexistes et les violences faites aux femmes, notamment dans les radios du service public (RFI, France Inter et France Culture), précise l'AFP.
De timides avancées qui amènent le Conseil supérieur de l'audiovisuel à lancer un appel à la mobilisation des chaînes durant cette année 2019. "C'est un enjeu de société", conclut Carole Bienaimé-Besse :
On ne peut pas se dire que la télévision ou la radio, qui sont des médias de masses regardés et écoutés chaque jour, ne véhiculent pas ces valeurs de parité. Elles sont un synonyme de mieux vivre ensemble. Ça s'inculque dès le plus jeune âge et cela passe par les ondes et par les images.