Les mutations de la droite lors des grandes échéances électorales depuis 1969
Par Antoine Guerrier, Stéphane RobertCARTE. Depuis la création de la Ve République en 1958, la droite est habituée à exercer le pouvoir. Néanmoins, au fil de l'Histoire, des luttes fratricides l'affaiblissent et empêchent l’ascension aux fonctions de gouvernances. Retour sur les événements marquants de la droite française.
Après la seconde guerre mondiale et suite à l'échec de la quatrième République, la droite héritière du gaullisme s'estime seule légitime à exercer le pouvoir. Mais elle va petit à petit, au fil des scrutins, perdre du terrain et devoir partager l'exercice des responsabilités avec la gauche de gouvernement. Tout commence par le référendum de 1969 qui voit le général de Gaulle contraint de quitter le pouvoir.
Échec du référendum de 1969
A l'origine, le référendum organisé par le Général de Gaulle se veut une réponse aux événements de Mai 1968 et doit initier une "mutation de la société française". Programmé initialement en juin 1968 avec des réformes envisagées pour les universités, les entreprises et les régions, il est finalement reporté au mois d'avril 1969 et ne contient plus qu'un volet institutionnel. Il propose aux Français de se prononcer sur la création des Régions en tant que collectivités territoriales et de transformer le Sénat en un organe uniquement consultatif.
A écouter : Mai 1968, la mémoire contestée
Le président de la République annonce qu'en cas de rejet par les Français, il en tirerait les conséquences et démissionnerait de sa fonction. Le résultat est que les Français se réapproprient la question et se prononcent sur le maintien ou non au pouvoir de Charles De Gaulle.
C'est alors le NON qui l'emporte, et le Général démissionne. Cela ne fragilise pas pour autant l"hégémonie de la droite dans le paysage politique français. Puisque le deuxième tour de la Présidentielle qui s'ensuit oppose deux candidats de droite. Alain Poher, qui assure l'intérim de la Présidence de la République en tant que Président du Sénat, est ainsi battu par l'ex-Premier ministre du Général de Gaulle, Georges Pompidou...
Victoire de Valéry Giscard d'Estaing, l'anti-De Gaulle
Ce scrutin marque le reflux du gaullisme et consacre l'avènement au pouvoir de ce que René Rémond a défini comme la droite "Orléaniste". Il s'agit d'une droite plus europhile, plus républicaine et plus centriste si on la compare à la droite "Bonapartiste", dont le gaullisme était jusqu'ici l'incarnation politique.
Le jeune ministre de l’Économie et des finances Valéry Giscard d'Estaing, alors âgé de 48 ans, se présente, avec l'appui du ministre de l'Intérieur Jacques Chirac, contre celui qui apparaît comme l'héritier du gaullisme, Jacques Chaban-Delmas. Giscard s'impose assez facilement au 1er tour comme le candidat des forces de droite avec 32,6% des voix, contre 15,1% à Jacques Chaban-Delmas. Et il bat François Mitterrand, candidat de l'union de la gauche, au second tour en recueillant 50,8% des suffrages. Cette élection est marquée par le premier grand débat télévisé entre les deux finalistes qui va ensuite devenir un rendez-vous incontournable. Valéry Giscard d'Estaing y prononce, notamment, cette phrase à l'encontre de son adversaire "vous n'avez pas le monopole du cœur, Monsieur Mitterrand"...
A écouter : Valéry Giscard d'Estaing - L'exercice et la conception du pouvoir présidentiel
1986 : première cohabitation
Les élections législatives de 1986 sont pour la première fois organisées à la proportionnelle. Elles conduisent à l'entrée de 35 députés du Front national à l'Assemblée et au retour de la droite au pouvoir. François Mitterrand fait appel à celui qui apparaît comme le chef de file de la droite, Jacques Chirac, pour constituer un gouvernement. Sa nomination au poste de Premier ministre entraîne la première cohabitation de la Ve République. C'est d'ailleurs à cette occasion que le terme "cohabitation" est employé pour la première fois.
Dans l'esprit de la Ve République telle qu'elle a été pensée par le Général De Gaulle, une cohabitation était inenvisageable. Il ne pouvait, selon lui, y avoir de dyarchie au sommet de l’État. Une victoire de l'opposition devait donc nécessairement conduire à une démission du Président. Beaucoup ont par la suite estimé qu'une cohabitation était néfaste à l'exercice du pouvoir en ce sens qu'elle ne permet pas de mener de réformes importantes. C'est d'ailleurs cette considération qui a conduit à l'instauration du quinquennat au début des années 2000...
La défaite historique de 1988
L'élection présidentielle de 1988 érige l'habileté politique au rang de qualité essentielle pour le maintien au pouvoir et consacre le fait que les temps sont à la stratégie plus qu'à l'idéologie. En instaurant la proportionnelle aux élections législatives, deux ans plus tôt, François Mitterrand a donné un poids politique sans précédent à l’extrême droite. Ce qui, par un effet de vase communiquant, conduit à un affaiblissement de la droite dite "républicaine". Le résultat est un Jean Marie Le Pen à 14% au premier tour de l'élection présidentielle de 1988 et une victoire du Président sortant avec un score de 54% face à son Premier ministre, Jacques Chirac...
1995 : l'affrontement des droites
L'élection présidentielle de 1995 semble rejouer l'affrontement entre une droite qu'on pourrait qualifier, selon les terminologies de René Rémond, de "Bonapartiste" et une droite dite "Orléaniste". Mais en réalité, ce sont deux hommes du même camp politique qui s'affrontent. Le Premier ministre du gouvernement sortant, Edouard Balladur, ayant décidé de ne pas respecter sa parole donnée deux ans plus tôt à Jacques Chirac en échange de sa nomination à Matignon.
Longtemps distancé dans les sondages, Jacques Chirac, qui fait une campagne sur le thème "socialisant" de la "fracture sociale", voit la courbe des intentions de vote en sa faveur s'inverser deux mois avant le premier tour de scrutin. Au bout du compte, il devance son rival, Balladur, de 2% à l'issue du premier tour et bénéficie d'un report de voix suffisant pour s'imposer au second tour face au candidat de la gauche, Lionel Jospin...
A écouter : Existe t-il un devoir de gratitude en politique ?
La "rupture" Sarkozy de 2007
Nicolas Sarkozy réussit le tour de force, au cours de la campagne électorale qui précède ce scrutin, d'incarner la rupture d'avec le chiraquisme finissant, alors qu'il est membre du gouvernement sortant. Il bénéficie de la condamnation de l'héritier naturel de Jacques Chirac dans l'affaire dite des "emplois fictifs de la Mairie de Paris", Alain Juppé. Il réussit aussi, en 2004, à ravir la tête de l'UMP, le Parti créé deux ans plus tôt pour la réélection du Président sortant. Et il en fait une machine de guerre destinée à la conquête du pouvoir.
Son dynamisme et l'emprunt des thèmes identitaires à l’extrême droite conduisent à un siphonnage, en sa faveur, de l'électorat du Front national. Le résultat est qu'il arrive en tête au premier tour, reléguant le candidat FN, Jean Marie Le Pen, en 4ème position, à 10,4% des suffrages. Il s'impose au second tour face à la candidate socialiste, Ségolène Royal, avec plus de 53% des voix...
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La droite en mutation s'ouvre à une primaire
La campagne électorale en vue de l'élection présidentielle de 2017 consacre la "primaire" comme un rendez-vous préalable incontournable. Un préalable inédit dans l'histoire d'une droite habituée à de grands chefs portés par leur parti. Le résultat de cette "primaire de la droite et du centre" en novembre 2016 semble entériner la fin de règne d'une droite qu'on pourrait qualifier de "radicale socialiste", c'est à dire une droite qui se fait élire sur des thématiques de droite mais qui, une fois arrivée au pouvoir, gouverne au centre.
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Le candidat François Fillon semble en effet avoir remporté ce scrutin plébiscité sur la sincérité et la crédibilité de son programme de gouvernement. La difficulté, pour lui, est maintenant d'élargir son socle électoral pour convaincre une majorité de Français et remporter l'élection présidentielle malgré un programme qualifié "d'austère"', y compris par certains de ses laudateurs...
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