Les occupants du cinéma La Clef menacés d'expulsion : "Autant assumer l'illégalité et le défendre"
Par Louis-Valentin LopezLe fil culture. Sur décision de justice, les occupants du cinéma d'Art et d'essai La Clef peuvent désormais être expulsés. Depuis trois mois, ils investissent illégalement les lieux et organisent des projections, pour continuer de faire vivre ce poumon culturel du 5e arrondissement de Paris.
L'histoire se répète pour La Clef, le dernier cinéma associatif à Paris. Cette salle emblématique est à nouveau menacée de fermeture car son propriétaire, le comité d'entreprise de la Caisse d'épargne, vient de vendre ces 600m2 près du Jardin des Plantes. En 1981, son fondateur, Claude Frank-Forter, avait déjà dû vendre en raison du développement de la télévision et des prix toujours plus réduits des téléviseurs. Pour éviter cette fois une fermeture définitive, d'anciens salariés et des étudiants occupent illégalement l'endroit depuis le 21 septembre. Alors que le Centre national du cinéma ou la mairie de Paris se sont aussi engagés dans sa défense.
"Nous sommes expulsables"
Devant le rideau de fer couvert de graffitis rouges et orangés, difficile d'imaginer que La Clef, petit cinéma du 5e arrondissement de Paris, est occupé. Et pourtant : Derek Woolfenden, quarantenaire dégingandé au large sourire, ouvre une porte dérobée. "Entrez !" Le programmateur en milieu alternatif, aussi cadreur pour la Cinémathèque française, ne quitte presque plus les lieux. "Le rideau de fer est fermé parce qu'on n'ouvre qu'à partir de 19h30 tous les jours, pour faire battre le cœur du cinéma régulièrement".
Il faut s'accrocher pour faire battre le cœur de La Clef, dont l'histoire récente est pour le moins mouvementée. En avril 2018, le propriétaire, le conseil social et économique de la Caisse d'épargne Île-de-France (CSECEIDF), vend l'immeuble. Le cinéma d'Art et d'essai, associatif et indépendant, est obligé de fermer ses portes.
Depuis septembre dernier, il connaît une nouvelle vie grâce à l'association "Home Cinema" : devenu sous la houlette des occupants La Clef Revival, des séances continuent d'être programmées, souvent en présence des réalisateurs et suivies de débats enflammés.
Mais depuis fin décembre le temps est compté : "Nous sommes expulsables", lâche Derek, qui s'attendait à cette décision de justice.
Jusqu'à la dernière séance
Derek se faufile avec aisance dans les couloirs exigus, qu'il connaît comme sa poche. Il traverse une salle polyvalente, où se tenaient auparavant des expositions. Contre le mur, un piano droit. Au-dessus, une affiche du film cubain de 1968 "Mémoires du sous-développement", où un couple s'enlace avec fougue. Puis, au sous-sol et à l'étage, les cœurs battants du bâtiment de 600 mètres carrées : deux salles de projection, équipées respectivement de 64 et 120 fauteuils molletonnés.
Non sans fierté, Derek enclenche un système qui permet de rétracter un écran dans le plafond. "C'est comme mon meilleur pote, ce cinéma. Je me dis qu'on ne peut pas le laisser mourir comme ça : autant assumer l'illégalité et le défendre, ce serait au moins lui offrir les derniers feux, si derniers feux il doit y avoir".
C'est un volcan en ébullition encore actif"
Depuis la décision de justice, Derek s'attend à voir débarquer les huissiers d'un jour à l'autre. "On n'est pas beaucoup à dormir ici, entre 3 et 5 grand maximum", souligne-t-il, en indiquant préférer le le terme d'"occupant" à celui de "squatteur" : "On a prouvé pendant trois mois que ce cinéma existait, que c'est un volcan en pleine ébullition encore actif. Donc quelque part, à tout point de vue, on a gagné".
Derek assume d'occuper illégalement le cinéma pour défendre sa pérennité
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Devant son ordinateur, Luc, diplômé d'un master en cinéma et audiovisuel à la Sorbonne-Nouvelle, vient prêter main forte : "J'aide surtout sur tout ce qui est événements, Facebook... Et puis on est enfin dans l'Officiel du spectacle et dans les sorties de Télérama. On peut encore plus toucher les gens du quartier. Je me suis aussi occupé d'une programmation papier, qu'on affiche sur le grand panneau à l'entrée".
Solidarité des riverains
Cela fonctionne : les passants et riverains s'arrêtent, interloqués, devant la façade. Henri réside rue de la Clef et il se souvient des séances passées : "des films que je n'aurais pas vu ailleurs, je pense à 'Il était une fois en Anatolie', un film qui m'avait beaucoup marqué, des films sur l'occupation du Portugal par Napoléon..." égrène-t-il, "des tas de films qui sont assez extraordinaires et rares". Le vieil homme considère que c'est une chance d'avoir un cinéma comme La Clef, "surtout ici, dans ce quartier historique" : "C'est un peu du vieux Paris qui s'en va, du vieux Paris cultivé. Ça m'a attristé, ça m'a fait de la peine."
Henri se souvient avec nostalgie des films qu'il a vus à La Clef
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Aujourd'hui, la "Clef Revival" compte plus de 4 000 adhérents. Une pétition, lancée il y a trois mois pour préserver le cinéma d'Art et d'essai, se dirige doucement vers les 6 000 signatures. Un collectif de spectateurs, nommé "Laissez-nous la Clef", s'est même constitué. Sans compter le soutien de personnalités intellectuelles et d'artistes, comme Edwy Plenel, Édouard Louis ou Valérie Donzelli.
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Des soutiens culturels et politiques
En outre, l'endroit qui était né avec trois salles et un restaurant associé - l'Auberge de La Clef - peut se targuer de nombreux soutiens institutionnels. Du monde de la culture, comme le Centre national du cinéma (CNC) ou la quinzaine des réalisateurs. Mais aussi des appuis politiques, en la maire Les Républicains du 5e arrondissement Florence Berthout, ou encore en la ville de Paris.
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Frédéric Hocquard, adjoint à la mairie de Paris chargé de la vie nocturne et de la diversité de l'économie culturelle, défend la spécificité du lieu : "C'est un cinéma de quartier qui fonctionne très bien. C'est la dernière salle avec notamment cet esprit de documentaires, beaucoup de documentaires militants y sont diffusés. Nous, la ville, avons une responsabilité par rapport à l'offre culturelle, créative et artistique sur Paris. On veut à tout prix garder de la diversité. Un cinéma qui ferme, ce n'est pas un signe de bon fonctionnement".
Nous avons dit au Conseil de Paris que nous souhaitions préempter le cinéma.
Devant l'apathie selon lui du conseil social et économique de la Caisse d'épargne Île-de-France, qui possède les murs, Frédéric Hocquard assure que la ville serait prête à préempter La Clef. Mais pour ce faire, il faut que le propriétaire fasse une demande de droit d'aliénation, qu'il dise vouloir vendre le cinéma. "Dans un premier temps, il a fait croire qu'il allait vendre. Or, il n'a jamais fait la démarche juridique qui nous permettrait de préempter", déplore l'élu.
Lors du dernier budget que nous voté au Conseil de Paris au début du mois de décembre, pour le budget 2020, Frédéric Hocquard a d'ailleurs fait inscrire une ligne spécifique pour pouvoir préempter des lieux culturels. "Sauf que pour l'instant, nous avons un propriétaire qui est en situation de blocage. Le propriétaire aurait un projet, on n'aurait pas besoin de préempter, s'il disait vouloir développer un projet de cinéma de type associatif et documentaire."
Frédéric Hocquard, adjoint à la ville de Paris, défend la singularité culturelle des lieux.
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Nous avons tenté à plusieurs reprises de joindre le propriétaire des murs, le conseil économique et social de la Caisse d'Épargne Île-de-France, qui a déposé plainte pour occupation illégale et envoyé les forces de l’ordre le 24 septembre. Sans succès.
En cas d'expulsion, la ville de Paris demanderait à la préfecture de surseoir à l'exécution de la décision, le temps de trouver une solution.