Longuement déconsidérés, ils sont maintenant portés aux nues tant ils reflètent un pan de notre Histoire. Retour sur ces personnages aux pouvoirs quasi-divins, à cette mythologie de l’Amérique et à tout ce qu’elle nous dit de notre société et de notre passé, en commençant par sa dimension artistique
Ils sont partout. Au cinéma, sur les tee-shirts, sur les murs... mais surtout dans des pages de BD. Impossible d’échapper aux super-héros, passés de la pulp culture des années 20 et des magazines à 10 cents au panthéon de la pop culture. Moins d’un siècle après leur naissance, les super-héros ont quitté le fond des cartables pour venir s'installer dans les salles du musée de l’Art ludique.
On m’a demandé si je pouvais imaginer les super-héros exposés ou conservés dans des musées dans le futur. Je peux l’imaginer, c’est certain. J’ignore si ça arrivera, mais ça me ferait très plaisir. [...] J’espère que ça se fera vite, que je puisse y assister.
Moins d’un an après avoir tenu ces propos dans le documentaire Derrière le masque des Super-Héros , sorti en avril 2013, Stan Lee fait l’objet d’une exposition au Musée de l'Art ludique, dans le XIIIème arrondissement de Paris, jusqu'au 31 août . Accompagnés du directeur du musée, Jean-Jacques Launier, et d’ Alex Nikolavitch, scénariste de bande-dessinées et traducteur de comics, nous vous proposons de découvrir un échantillon de cette exposition richement fournie.
Au coeur de l’exposition “L’Art des Super-Héros Marvel”, comme l'a suggéré le génial inventeur d’une quasi-mythologie , les statues d'Iron Man ou de Thor ont été préférées à celles, plus traditionnelles, d’Apollon ou Jupiter. Tout autour sont présentés des costumes et concept art des tournages des différents films Marvel mais aussi et surtout près de 300 planches originales de comic books , signées de grands noms du comics pourtant quasi inconnus du grand public : Jack Kirby, John Buscema, Jim Steranko, Steve Ditko, Franck Miller et nombre d'autres artistes.
Il aura fallu plus de 70 ans, pour que les comic books acquièrent leurs lettres de noblesse . ‘“Depuis que je suis petit je trouve qu’il n’y a pas de reconnaissance des grands artistes de l’art figuratif-narratif. Lorsque je lisais Strange ou Marvel quand j’étais jeune c’était extrêmement déconsidéré, c’était de la sous-sous-culture” , estime Jean-Jacques Launier, directeur du Musée de l'Art ludique :
Art Ludique - dimension artistique du musée
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Impossible de représenter l'intégralité des 5000 héros Marvel. Chaque pièce est cependant consacrée à un des personnages phares de l'éditeur, qu’il s’agisse d’Iron Man, de Spiderman, de Daredevil , ou bien de groupes de super-héros tels les Quatre Fantastiques, les Avengers ou encore les X-Men.
De la BD au blockbuster
L’exposition s’ouvre sur une salle dédiée à Captain America, l’un des plus anciens héros de la franchise, créé en 1940 par Jack Kirby et Joe Simon. Le choix du personnage est-il dicté par son statut d'aïeul des super héros ou par la sortie en salle de “Captain America, the Winter Soldier ” ? Qu’importe, les visiteurs, après avoir contemplé un gigantesque portrait du super-héros patriote, se retrouvent face au fameux bouclier du Capt’, aux couleurs de la bannière étoilée . A droite, Stan Lee, rétro-projeté sur le mur, discute super-héros face caméra. La place du cinéma est centrale, et les visiteurs instantanément replacés dans le rôle du spectateur plutôt que celui de lecteur.
Les comic books ont beau être à l’origine de nombreuses adaptations cinématographiques, ce sont bel et bien ces blockbusters millimétrés qui incitent les visiteurs à venir se balader dans les 1200 m² du musée, bien plus que les planches exposées aux murs. D’où de nombreux accessoires issus des plateaux de tournage : moto de Crâne Rouge, storyboards d’Iron Man, sculptures préparatoires. *"Il y a un vrai travail artistique pour rendre crédible Captain America au cinéma qui, à la base, est en collants avec des petites ailettes sur les côtés du crâne * " , souligne Jean-Jacques Launier à propos du travail de Ryan Meinerding :
Art ludique - Ryan Meinerding
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“*Je pense que le succès des super-héros au cinéma est dû au fait que la technologie permet enfin de restituer l’impact et la puissance que les scénaristes avaient inventés à l’époque * , précise Jean-Jacques Launier. Il y avait dans les pages cette notion de super pouvoir, quand ils s’envolaient, quand ils bondissaient, qu’ils s’envoyaient d’énormes coups de poing, qu’on ne retrouve que maintenant. Avec la technologie, quand on voit Avengers, d’un seul coup, ça devient crédible.”
Le rapport entre comics et films s’est inversé. L’âge d’or des comic books, leur popularité, avait conduit à leur adaptation au cinéma. Ce sont maintenant les films qui marquent les esprits. Aux yeux des créateurs de l'exposition, il était important de montrer aux plus jeunes que, derrière la technologie, il y a à la base un travail artistique .
Un genre élevé au rang d’art Une dizaine de vidéos didactiques animent le parcours. A l’instar de Stan Lee, des auteurs comme Olivier Coipel, dessinateur de comics français, mais aussi Joann Sfar et Zep, y rappellent l’influence qu'ont eue les super-héros sur leurs propres BD. Pourtant, malgré les commentaires proposés aux visiteurs, l'exposition manque cruellement de mise en contexte, d’explications techniques sur cet art ducomics qui s'est cherché tout au long du XXème siècle.
“*Ce sont des personnes très douées en dessin qui, finalement, à cette époque, ramènent sur le devant de la scène le côté un peu sculptural avec un courant artistique parallèle et majeur qui est issu de Duchamp, du dadaïsme * ”, raconte Jean-Jacques Launier.
Les artistes de comics puisent leur inspiration dans toutes sortes de courants, du surréalisme au dadaïsme, empruntant à Picasso ou Dali. Sur un mur, la couverture originale de “Nick Fury, agent of SHIELD n°7 ”, dessinée par Jim Steranko, calque ainsi les montres molles de l’artiste catalan. En s’approchant, le visiteur peut nettement distinguer les techniques de collages utilisées par le dessinateur.
“J’en prends plein les yeux , assure Alex Nikolavitch, traducteur et scénariste de comics. Il y a des planches des années 80, de 68 et de 2010 côte à côte, ça créé un effet de kaléidoscope très intéressant et montre l’unicité de l’oeuvre derrière les différences de style.”
Alex Nikolavitch - Expo Art Ludique
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Art Ludique - Les 4 fantastiques et le rôle des encreurs
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Au fil du temps, les techniques de dessin se sont affinées : travail à l’encre, à la brosse à dents, effets d’optique avec des décors en négatifs . Une planche de Captain America en particulier retient l’attention d’Alex Nikolavitch :
Art ludique - Le dessin de Captain America
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Contrairement aux idées reçues, la psychologie des super-héros, leur profondeur, évolue constamment, se complexifie à mesure qu’ils se réécrient. En témoigne une planche de Daredevil, “sans doute ce qui a été écrit de plus beau à propos du contrôle des armes ”, assure Alex Nikolavitch.
Art ludique - Daredevil
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“Avant Franck Miller il y a eu toute une période dessinée par Gene Colan et encrée par Tom Palmer. C’est l’arrivée d’une ambiance polar, d’un aspect roman noir. Il y a un sens du contreplongée, du cadrage de Colan, qui donne un impact dramatique extrêmement efficace ”, raconte Alex Nikolavitch.
Héros urbain, Daredevil dispute l’affiche à Spiderman, une des plus grosses franchises Marvel. “A l’origine, Spiderman avait des petites toiles d’araignées sous les bras , se souvient Jean-Jacques Launier. Mais c’était tellement galère à dessiner qu’elles ont été supprimées”.
Des années 40 à notre époque, le dessin a considérablement évolué. La légende veut que Hulk ait à l'origine été gris mais que, problèmes d’impression aidant, sa couleur ait viré au vert pour faciliter la production des comics. L'essor des technologies a, depuis, balayé ce genre de difficultés. Pourtant, en découvrant une planche originale de Thor dessinée par Bryan Hitch pour Ultimates Avengers n°4 , Alex Nikolavitch constate que le dessin, une fois colorisé par ordinateur, a perdu beaucoup de ses détails.
Art ludique - Thor
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Des 4 Fantastiques aux X-Men, en passant par le Punisher, Iron Fist, le Surfer d’Argent ou les Gardiens de la Galaxie, une palanquée de super-héros ornent les murs du musée de l'Art ludique. De la planche de bande-dessinée au cinéma… le musée s'est attaché à démontrer que ces personnages imaginaires sont sans cesse réécrits, redessinés, réinterprétés en fonction des besoins de l'époque .
Certes, le manque d'explications didactiques, contextualisantes, est un crève-coeur lorsqu'on constate la qualité de certaines oeuvres exposées, et force est de constater que le profane passera probablement à côté de tout un pan de l'exposition.
Elle offre néanmoins aux curieux une véritable entrée dans l'univers des super-héros. Leurs fans, qu'ils aient appris à les aimer via les comics ou les films, y trouveront leur compte , et découvriront - et c'est bien là le but - toute la portée artistique de ces personnages.
Le talent des scénaristes, dessinateurs, sculpteurs ou bien encreurs est incontestable. Et si l'identité des super-héros se trouve derrière leur masque, celle de leurs créateurs se cache elle derrière leur plume.