"Liberté" poème d'amour devenu hymne de la Résistance

Nusch et Paul Éluard
Nusch et Paul Éluard

"Liberté" le poème d'amour devenu hymne de la Résistance

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"Liberté" poème d'amour devenu hymne de la Résistance

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Les mots de Paul Éluard, inspirés par sa femme, ont connu un destin hors du commun. Non seulement, ils ont été récités par des générations d'écoliers, mais déjà lors de la Seconde Guerre mondiale, ils étaient parachutés depuis les avions de la Royal Air Force sur les maquis des résistants.

Imaginez, des avions qui bombardent un poème… Cette scène surréaliste est pourtant bel et bien arrivée en pleine Seconde Guerre mondiale. Ce poème, c’est "Liberté", de Paul Éluard, dont nous célébrons ces jours-ci les 80 ans de la publication. Cet hymne de la Résistance était à l’origine un poème d’amour comme l'explique le poète lui-même : "Je l’ai commencé en pensant que le nom qui viendrait à la fin, serait celui de la femme que j’aimais".  

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Un poème au destin exceptionnel

Sur mes cahiers d’écolier                            
Sur mon pupitre et les arbres                            
Sur le sable sur la neige                            
J’écris ton nom

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Première strophe de "Liberté" récité par Paul Éluard

10 sec

En avril 1942, des groupes de résistants recopient, publient, et diffusent clandestinement "Liberté" d’Éluard. Le poème passe de la zone occupée à la zone libre, puis à l’Angleterre. Quelques mois plus tard, le gouvernement libre du Général de Gaulle donne une nouvelle portée aux mots du poète.

Imprimé sur des milliers de tracts, le poème est embarqué sur les avions anglais de la Royal Air Force, puis parachuté sur la France occupée, notamment dans les maquis d’où agissent les résistants.  

Le titre de "Liberté" a été modifié comme le montre le manuscrit original de 1941
Le titre de "Liberté" a été modifié comme le montre le manuscrit original de 1941
- Musée d'art et d'histoire Paul Éluard

"On n’a pas le tirage du nombre de tracts qui ont été diffusés, la quantité est difficile à apprécier. Ce qui est certain, c’est que la plupart des résistants ne pouvaient pas ne pas le connaître. C'est ça qui est phénoménal", explique Olivier Barbarant, essayiste spécialisé en poésie du XXe. 

Mots intimes devenus universels

Mobilisé pendant la Première Guerre mondiale puis au début de la Seconde, Paul Éluard, horrifié par la boucherie de 14-18,  est un fervent pacifiste. Pourtant, pendant l'été 1941, dans Paris occupé, quand il écrit ce poème ce n’est pas la paix qui l’anime... c’est une femme.  

Portrait de Nusch et Paul Éluard
Portrait de Nusch et Paul Éluard
© Getty

Ses vers sont destinés à Nusch, sa compagne, artiste et muse du dadaïsme. Le nom à la fin du poème devait être le sien "mais je me suis vite aperçu que celui-ci faisait place à mon désir de liberté, de libération. Il l’incarnait", décrit le poète, en 1950. 

Olivier Barbarant : "Au moment même de la rédaction, quelque chose s’est déplacé. Le poème ne s’appelle pas au début "Liberté", mais il s’appelle "Une seule pensée". Il est bien un poème fondé sur l’idée d’une sorte d’obsession ou de conviction intime très forte, ce que prouve la structure anaphorique. La répétition n’est pas seulement là pour nous tympaniser et embêter les élèves, elle est là d'abord parce qu’elle dit quelque chose de l’ordre de l’obsession, de la seule valeur qui compte et cette valeur pour Éluard, ce n’est pas étonnant, c’est l’amour. Comme si, d’une certaine façon, il y avait une sorte d’équivalence entre l’amour et la liberté."

Fresque du poème "Liberté" réalisée par Fernand Leger
Fresque du poème "Liberté" réalisée par Fernand Leger
© AFP

Ses mots intimes, Paul Éluard les transforme en une valeur commune. C’est justement ce passage du personnel au collectif qui donne sa force à "Liberté".  

Sur toute chair accordée                            
Sur le front de mes amis                            
Sur chaque main qui se tend                            
J’écris ton nom 

Ces mots d’amour deviennent ainsi l’hymne de la Résistance.

Victime de son succès

Appris par des générations d’écoliers, "Liberté" a éclipsé les autres poèmes d'Éluard et a même perdu de son imaginaire surréaliste au profit d’une interprétation simpliste.  

Olivier Barbarant : "Simplicité, par exemple, de l’image du chien qui est une image tout à fait banale, transparente, où la symbolique de la fidélité est claire, mais en même temps vous avez cet "étang soleil moisi" qui apparaît. Il me semble que les premières strophes qui sont dans la transparence. Le cartable, le pupitre, l’arbre, l’école… occultent, pour certains lecteurs, la puissance de déflagration de certaines images qui se mêlent à ces images quotidiennes. C’est ce va-et-vient, entre un imaginaire explosif et un imaginaire qui peut parfois être très limpide, qui fait les tensions qui existent à l’intérieur de ce texte. Sa puissance, c’est de cacher sous une forme transparente une complexité réelle."

Sur tous mes chiffons d’azur                      
Sur l’étang soleil moisi                      
Sur le lac lune vivante                      
J’écris ton nom 

Portrait de Paul Éluard, devenu un des poètes de la Résistance.
Portrait de Paul Éluard, devenu un des poètes de la Résistance.
© Getty

Porté par les mouvements associatifs et communiste, ce poème d’amour et de combat est mis en chanson, en dessin, en fresque… jusqu’à devenir un emblème de la liberté.  

Et par le pouvoir d’un mot                    
Je recommence ma vie                    
Je suis né pour te connaître                    
Pour te nommer                    
Liberté

Dernière strophe de "Liberté", récité par Paul Éluard

14 sec