Lire ou pas "Anéantir", le nouveau roman de Michel Houellebecq ?
Critique . Paru ce vendredi 7 janvier 2022, "Anéantir" est le huitième roman de l'auteur Michel Houellebecq. Qu'ont pensé nos critiques de cet ouvrage de plus de sept cents pages qui a déjà beaucoup fait parler de lui ?
Dans Anéantir, le nouveau roman de Michel Houellebecq qui paraît ce 7 janvier 2021, le plus connu des écrivains français contemporains dresse un portrait de notre époque par d'étranges similitudes avec des personnages publics, comme un ancien ministre de l'Economie, ou Carrie-Ann Moss, l'interprète de Trinity dans Matrix qui n'est pas sans rappeler Prudence, la femme de Paul Raison, le personnage principal. Si l'ouvrage présente en premier plan une intrigue de "roman d'action" sous couvert d'histoire d'espionnage, un drame personnel vient donner une teinte plus intime au récit. Mais le moins que l'on puisse dire c'est que ce huitième roman de l'auteur d'Extension du domaine de la lutte s'avère décevant pour les trois critiques réunis par l'émission La Grande Table critique.
- De quoi parle 'Anéantir' ?
Paul Raison, son personnage principal, la cinquantaine, est haut fonctionnaire au Ministère de l'Economie et des finances. Pris dans un vide existentiel et alors que son couple est en bout de course, il sort peu à peu de cet état pour renouer avec son père. A partir de ce scénario, Anéantir entrelace trois fils, un fil politique – l'action se situe en 2027, en pleine campagne pour l’élection présidentielle, à laquelle se présente le personnage de Bruno Juge, directement inspiré de Bruno Lemaire. Un fil d’anticipation qui met en scène pêle-mêle le surgissement d'inscriptions mystérieuses inspirées de Lovecraft, des vidéos terroristes, avec une fausse exécution de Bruno Juge, des attaques de porte-conteneurs et un massacre de masse de migrants. Et enfin il y a un fil plus intime, voire métaphysique, qui décrit Paul Raison aux prises avec l’effondrement de son père dans la vieillesse, ainsi qu'avec sa propre maladie.
- Les avis de nos critiques
Marie Sorbier : "Un roman plat qui ne suscite qu'ennui"
Après avoir vécu avec les personnages d''Anéantir' pendant 730 pages, Marie Sorbier, productrice d'Affaire en cours, pointe une construction romanesque bancale, un roman "plein de lignes dramaturgiques qui ne mènent nulle part" et avoue avoir avant tout éprouvé à sa lecture... de l'ennui : "Pendant les 100 premières pages, on a l'impression que l’on embarque pour une sorte de thriller politique-ésotérique, mais après on suit le personnage principal ; Paul Raison est un personnage très plat, terriblement banal, dépourvu même de la médiocrité des personnages des précédents romans de Houellebecq, ce qui provoque un ennui terrible."
Pour elle, le seul sujet qui finalement émerge de ce roman-fleuve est celui de la mort : "On connaît la passion de Houellebecq pour les hôpitaux, les EHPAD, les descriptions de cancers et autres pendaisons. Dans 'Anéantir' finalement, la seule chose à laquelle le lecteur peut se raccrocher, c’est cette thématique morbide : on est dans la description de personnages, et au-delà d’une société, d’une civilisation en train de mourir." Une dimension métaphysique dans laquelle Johan Faerber, co-rédacteur en chef de Diacritik, ne voit qu'un leurre supplémentaire parmi les nombreuses promesses non tenues de ce roman : "Houellebecq instrumentalise la mort au bénéfice de son storytelling. Comme on le sait, vieillir est censé produire des réflexions métaphysiques, vous élever au-dessus du commun des mortels. Ce gros livre participe pour lui de la construction du mythe du grand écrivain."
Johan Faerber : "L'œuvre d'un d’éditorialiste plus que d'un romancier"
A son tour, Johan Faerber rejoint Marie Sorbier sur la platitude du dernier roman de Michel Houellebecq, et l’ennui poli qui saisit son lecteur. Mais aussi pour souligner les nombreuses incohérences du récit. Le journaliste va même plus loin en dénonçant la pauvreté de l'ambition littéraire dont fait preuve l'écrivain ici : "Cette absence d’écriture qui au début des années 2000 pouvait passer pour de l'ironie, la platitude jouant sur la platitude, mais ici, Houellebecq est mis à nu. Cette forme plate qu’il adopte révèle son absence totale d'intérêt pour la littérature, de réflexion sur la construction formelle. C’est juste le fond qui l’intéresse. Et quand le fond remonte, chez lui, c’est de la vase. En particulier une vase misogyne." Mais contrairement à ce qui a pu paraître ici et là dans la presse, il n'y a pas pour Johan Faerber matière à monter sur ses grands chevaux : "Ce n’est pas comme on a pu le lire ici ou là un roman de l’extrême-droite, c’est un roman de la banalisation de l’extrême-droite. Ce qui finalement est encore plus pervers : Houellebecq écrit comme si l’extrême droite était devenu un fonds commun."
Lucile Commeaux : "La dimension de thriller politico-mystique n'est qu'un leurre"
Pour Lucile Commeaux précisément, c'est bien ce discours du personnage principal, Paul Raison, qui lui fournit un motif de colère : "Contrairement à d'autres ouvrages, Paul Raison n’est pas la cible de la satire houellebecquienne. Nouvel avatar de l'écrivain, il est le seul à bénéficier d'une forme d’empathie de la part de l'auteur alors que tous les autres personnages prennent très cher : les femmes, les Noirs, les classes populaires, les journalistes. Donc si l’on considère que ce personnage de Paul Raison est un point de vue, il y a quand même de quoi s’énerver !"
Et maintenant, à vous de vous faire votre avis !
Écouter ou réecouter l'ensemble des critiques échangées à propos de Anéantir de Michel Houellebecq dans le studio de La Grande Table critique :
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