
Imagine la culture demain . Arnaud Laporte s'entretient avec Macha Makeïeff, artiste pluridisciplinaire et directrice de La Criée, Théâtre national de Marseille. Elle livre sa vision du futur pour un secteur culturel en crise profonde.
Alors qu’une sortie du confinement s’annonce peut-être, le secteur culturel va continuer, nous le savons déjà, à être durablement paralysé par les mesures de fermetures des salles de théâtre, d’opéra ou de cinéma, des grands musées, par l’annulation des festivals, ou encore la suspension sine die des tournages. Dans ce contexte, nous interrogeons chaque jour une personnalité du monde de l’art, car la culture ne témoigne pas que pour la culture. Elle témoigne pour la société tout entière.
Aujourd’hui, Arnaud Laporte, producteur de La Dispute et des Masterclasses, donne la parole à la metteure en scène, scénographe, créatrice de costumes, plasticienne, auteure et directrice de La Criée, Théâtre national de Marseille, Macha Makeïeff.
Arnaud Laporte : à quoi pensez-vous?
Macha Makeïeff. En me réveillant, j’écoute le bruit de la ville ; un monde presqu’immobile. J’imagine la bascule, l’agitation qui vont s’en suivre. Ce temps étiré laisse venir mes fantômes aimés et je ne les sens pas trop loin, souriants. Je pense aussi à ceux qui sont au bord de la famine à cause de deux mois de ralentissement de nos économies… Je pense, à l’heure dite, au spectacle qui n’aura pas lieu chaque soir. Je suis comme un chien qui attend un maître qui n’arrivera pas. Manque organique et comme infini. Ce qui n’a pas lieu de l’art n’existera plus. Il y a un paradis-enfer pour les spectacles qui ne se jouent pas ? Alors, je descends à l‘atelier travailler. Les choses de mon atelier me consolent.
Je ne veux renoncer à rien dans un moment où le destin joue avec nous. Les dés sont pipés. J’essaierai cependant d’être moins frénétique.
Qu’attendez-vous des autres ?
J'attends qu'ils fassent preuve de clairvoyance, de bienveillance et plus que jamais de fantaisie. La grâce aussi, venue d’ailleurs. Et surtout pas de violence ni d’arrogance, pas d’insurrection ni d’opprobre.
De quelle façon la crise que l’on traverse a-t-elle changé votre rapport au temps ?
Rien n’a changé ; je le ressens depuis toujours (j’aime cette expression : depuis toujours ) comme un empilement de séquences, une sédimentation des moments, pas du tout un vecteur qui file vers l’avenir avec au bout le précipice. Et la séquence primordiale, l’enfance, qui ne passe pas. Alors, c’est le temps ressenti comme dans l’enfance, faite de longs moments et de journées courtes. La nuit quant à elle vient toujours trop tôt, par surprise.
Qu’avez-vous envie de partager ?
La salle de répétition. Le plateau. L’effervescence dans le hall du théâtre. Les loges. Le noir qui se fait dans la salle. Et par dessus-tout, le plaisir.
Macha Makeïeff, mardi 5 mai 2020