Mais où va la Hongrie d’Orbán ? La solitude dans l’UE ou, carrément, le “Hungaroexit” ?
Par Bruno Cadène
Dans un discours haineux prononcé en Roumanie fin juillet, Viktor Orbán s’est éloigné encore un peu plus des valeurs européennes. Se rapprochant de Poutine et de la Russie, le dirigeant hongrois joue à un jeu dangereux, tant la Hongrie dépend économiquement de l’Europe.
La Hongrie a décidé de s'écarter de toutes les décisions communes de l’Union européenne, même si elle est complètement seule dans l’UE. Elle a rompu avec le groupe de Visegrad d’Europe centrale - Pologne, République tchèque et Slovaquie. Elle se rapproche à vitesse “grand V” de la Russie. Jusqu'où ? Au “Hungaroexit” peut-être ? Un problème quand on sait que l'économie hongroise est complètement intégrée à l’Union européenne.
Fin juillet, Viktor Orbán s'est rendu à Baile Tusnad, une ville orientale de la Roumanie au cœur de la Transylvanie, en plein pays Sicule (une ancienne région où une partie importante de la population parle la langue magyare). Devenue roumaine en 1918, Transylvanie a longtemps été hongroise le Royaume de Hongrie et de l’Empire Austro-Hongrois. Dans cette région, Viktor Orbán se sent chez lui. Il a donné des passeports hongrois à toutes les minorités magyares de la Transylvanie roumaines, mais aussi en Voïvodine serbe, en Prékmurie slovène, en Ukraine subcarpatique, et dans les régions slovaques près la frontière magyare.
Ces minorités votent, largement, pour le FIDESZ d’Orbán et vénèrent le Premier ministre hongrois. Ce qui fait un important réservoir de bulletin de votes pour le dirigeant. Donc, c’est en “ami” que Viktor Orbán, s’est rendu dans le pays Sicule, Tusnadfürdo, le nom hongrois de Baile Tusnad, pour la 31e Université d'été des Hongrie. Et devant un public gagné d’avance, il a pu tenir un discours très musclé sur la défense de la nation magyare, très au-delà des frontières hongroises. Devant un public chauffé à blanc, Viktor Orbán a pu défendre “une race hongroise non-mixte", qui ne “veut pas un peuple multi-ethnique avec des non-Européens". Durant tout son discours, il a joué avec le terme de “peuple hongrois” sans parler de “citoyens hongrois”, comme si la Hongrie avait reconstitué “la nation hongroise”. Il ne parle plus de citoyens roumains, serbes, slovènes, slovaques. Un discours “à la Poutine” qui ne tient pas compte des frontières de l’Europe ? Un discours qui va plus loin encore : Orbán défend la théorie complotiste du grand remplacement pour expliquer pourquoi il défend chaque magyar, peu importe dans quel pays européen il se trouve.
Visegrad détruit
Ce discours fait peur à l’opposition hongroise. Le Mouvement Momentum (MM) un parti centriste, libéral et pro-européen, a réagi en s’adressant à chaque personne non-blanche : “Votre couleur de peau peut être différente, vous pouvez venir d’Europe ou d’ailleurs, mais vous êtes des nôtres et nous sommes fiers de vous. La diversité renforce la nation, elle ne l’affaiblit pas”. Et les réactions en Roumanie ? Tusnadfürdo c’est quand-même en Roumanie, à Baile Tusnad ! Même réaction scandalisée à Bucarest. Alin Mituta, Eurodéputé libéral, du mouvement centriste, Union Sauvez la Roumanie ! (USR) : “Parler de race, de pureté ethnique dans une région comme l’Europe centrale et orientale est délirant et dangereux ! Comme l’est M. Orban”.
De plus, dans ce discours, Viktor Orbán détruit, (définitivement ?), le Groupe européen Visegrad - Pologne, République tchèque, Slovaque et Hongrie. Viktor Orbán dénonce ces trois (ex ?) “amis” : “La Pologne fait entièrement partie de ce conflit en Ukraine, la République tchèque et la Slovaquie essayent de gagner les faveurs de Bruxelles”. Prague et Bratislava des traitres et des “hypocrites” pour Budapest ? C’est terminé, Visegrad 4 ? Le ministre des Affaires Étrangères slovaque, Ivan Korcok rejette ces affirmations selon lesquelles la République tchèque et la Slovaquie veulent faire plaisir à l’Union européenne sur les questions de la guerre en Ukraine. “Nous sommes particulièrement inquiets si notre proche voisin a besoin de dire que la Slovaquie et la République tchèque font plaisir à Bruxelles, c’est incroyable. Nous faisons ce que nous pensons être juste”.
Dépendante de l’Europe mais attirée par la Russie
Le but de Budapest est de saisir toutes les opportunités pour s'écarter de la route européenne commune au sein de l’UE. Et ça, c’est une chose nouvelle : un état membre qui n’est jamais d’accord avec les idées des autres membres. La Hongrie est visée par un processus européen pour des actions contre l’Etat de Droit. Elle est déjà privée d’une partie des fonds européens malgré le fait qu’elle dépend fortement de ces fonds. L’économie hongroise dépend notamment beaucoup de l’industrie automobile européenne. Audi à Gyor, Mercedes à Kecskemet, Suzuki à Esztergom, Opel à Szentgotthard et une future usine BMW à Debrecen. Mais pas uniquement : Bosch, Michelin, Continental, Hankook, Valeo, Fauricia etc... Plus de 150 000 emplois. L'économie hongroise peut-elle réellement se passer de l’Europe ?
En attendant, elle s'éloigne de l’Europe et se rapproche de la Russie. Les relations avec la Russie vont se développer “stratégiquement" dit le Kremlin et Serguei Lavrov, le ministre des Affaires étrangères déclare : “J’apprécie réellement nos relations. Nos discussions aujourd'hui ont confirmé leurs natures durables et stratégiques. Et nous allons les développer de toutes les façons possibles”. Ça sent le “Hungaroexit” ? Le 20 juillet 2022, en Ligue des Champions, le club le plus populaire de Hongrie, Ferencvaros TC (un club de Budapest) recevait le club le plus populaire de Slovaquie, le SK Slovan Bratislava. Le bus du Slovan a été endommagé, caillassé. Les supporters de Ferencvaros ont inscrit, dans le stade, des slogans racistes, anti-slovaques, ils appellent Bratislava, de son nom hongrois Poszony, et soutiennent, soi-disant, la minorité magyare en Slovaquie. Des inscriptions remettant la légitimé historique de la Slovaquie : “Terre volée, symboles volés, pas d’histoire, on e... la Slovaquie”. Les blessures d’un conflit qu’on croyait disparaître avec l'intégration européenne. Ces hooligans, proches politiquement de Viktor Orbán, ont coupé les ponts avec leurs voisins slovaques, mais aussi roumains, ukrainiens. Mais où va la Hongrie ? En Europe... où ailleurs ?