Première femme élue leader du monde occidental, elle est la personnalité politique qui divise le plus les Britanniques. Voici comment Margaret Thatcher a changé durablement la Grande-Bretagne en y appliquant sa vision de la liberté.
"Je ne pense pas que je verrai une femme Première ministre de mon vivant", déclarait à la télévision britannique Margaret Thatcher en 1969. Dix ans plus tard, elle réalise ce qu’elle pensait impossible et devient la première femme élue à la tête du gouvernement britannique.
C’est une victoire écrasante pour le parti conservateur et son élection va inaugurer une nouvelle ère politique anti-socialiste en Grande-Bretagne.

1979 : le début de la révolution libérale
Margaret Thatcher est déterminée à sortir le pays de la crise économique qui le ravage depuis le début de la décennie 70. Les pays voisins pointent du doigt la Grande-Bretagne comme "l'homme malade de l'Europe" mais "Maggie" est bien décidée à moderniser l'économie du pays. Elle veut y appliquer ses idéaux conservateurs et libertariens.
Madame Thatcher est la leader politique la plus animée par des valeurs à laquelle je puisse penser. Ronald Reagan l’était. Le Général De Gaulle l’était. Quand Madame Thatcher est devenue Première ministre en 1979, la chose la plus importante pour elle était de restaurer l’autorité du gouvernement et l’indépendance de l’état. Deux choses qu’elle considérait compromises dans les années 1970 et qui, depuis toujours, est à la racine de la perception de Margaret Thatcher comme une leader forte, faisant autorité voire autoritaire. Dennis Kavanagh, politologue

Un choc social qui fait souffrir les régions ouvrières
Les trois premières années de son mandat sont difficiles et ses réformes drastiques font l’effet d’un choc social. Elle va libéraliser l’économie, baisser les impôts et baisser les dépenses publiques. Dans le même temps, le chômage atteint le niveau record de 3 millions de personnes sans emploi en 1981. L’inflation est très élevée et les prix explosent.
Margaret Thatcher décide de fermer les mines détenues par l'État qui ne sont plus compétitives, quitte à faire durement souffrir des régions qui vivaient quasi exclusivement de l'exploitation du charbon.

Elle s'attaque au pouvoir des syndicats et aux droits des grévistes, qu'elle juge trop grands. La tension sociale explose en 1984 avec des affrontements violents entre travailleurs et forces de l'ordre comme à Orgreave. Mais malgré la colère des ouvriers, Margaret Thatcher garde le cap et refuse tout compromis.
Les leaders précédents, Harold MacMillan et Edward Heath en particulier, étaient plutôt des conservateurs unionistes. Ils cherchaient le consensus. Il voulaient trouver des compromis avec les syndicats, protéger l’État-providence et garder le taux de chômage bas. Madame Thatcher pensait que tout cela était allé trop loin. Que ce dont le pays avait besoin, c’était une dose de liberté d’entreprendre, de compétitivité, de plus grandes opportunités. Même si le taux de chômage remontait, cela était vu comme un prix à payer dans une certaine mesure. Dennis Kavanagh, politologue
Une femme au tempérament intransigeant
Pour comprendre l’idéologie de Margaret Thatcher et son tempérament intransigeant, il faut revenir à son enfance modeste dans la campagne britannique. Margaret Thatcher naît dans l’entre-deux-guerres d’un père épicier et d’une mère couturière. Elle est brillante et étudie la chimie à la prestigieuse université d’Oxford.
Seule femme dans un monde quasi exclusivement masculin, elle évolue dans une société où la place des femmes est à la maison. À 24 ans, elle est la plus jeune femme à être candidate pour devenir députée.
En 1959, elle rejoint la Chambre des communes et se fait une place en politique. Dans une interview qu'elle donne chez elle à la télévision britannique en 1960, elle déclare : "J'ai déjà fait beaucoup d'autres discours mais parler au sein de la Chambre des communes est assez différent. C'est une expérience unique." Une déclaration à laquelle le journaliste répond : "Est-ce que vous pensez que c'est plus difficile parce que vous êtes une femme ?"

Grâce à son intelligence et à une force de caractère unique, elle devient tour à tour : parlementaire, secrétaire d’état, leader des Conservateurs puis Première ministre. Pour elle, le succès est une affaire de volonté personnelle.
Elle était du côté des gagnants, tant d’un point de vue économique qu'individuel. Et je pense que cela a alimenté son attitude face à l’État-providence, et la perception qu’elle était dure et qu’elle manquait de compassion. Comme elle avait réussi par elle-même, elle pensait que les autres pouvaient aussi y arriver. Elle est méritocrate. Pour elle, les femmes doivent réussir en suivant les règles. Et donc, en ce sens, c'est une femme tout à fait particulière et cela explique sa sorte d'agressivité. Elle est entourée d'hommes durant 90% de sa vie d'adulte. Dennis Kavanagh, politologue
Une "Dame de fer" qui refuse de négocier avec ses opposants
Surnommée "la Dame de fer" par les Soviétiques, en raison de son refus de céder à ses opposants, Margaret Thatcher a gouverné sans négocier, et ce, peu importe l'ampleur de la contestation citoyenne.
Elle mène son gouvernement avec poigne durant trois mandats successifs de 1979 à 1990 et est continuellement critiquée pour son incapacité à faire des concessions.
En 1979, elle demande à l'Europe de "lui rendre son argent" et pose les bases de l'euroscepticisme britannique. En 1982, elle défend la souveraineté de la Grande-Bretagne en disputant les îles Malouines à l'Argentine. Elle devient admirée comme cheffe de guerre malgré un bilan humain lourd : 649 morts argentins et 255 britanniques. En octobre 1984, elle est visée par un attentat à la bombe, alors qu'elle séjourne dans un hôtel de Brighton avec une partie de son cabinet, à la veille d'une conférence du parti conservateur.
L'attaque a été revendiquée par l'IRA, l'Armée républicaine irlandaise, dont Margaret Thatcher était devenue une cible depuis 1981, lorsqu'elle avait laissé dix grévistes de la faim mourir, plutôt que d'accéder à leurs demandes.
Décédée en 2013, la personnalité de Margaret Thatcher et son héritage politique continuent de diviser. Elle reste une héroïne du libéralisme pour certains. Pour d'autres, elle est responsable de la destruction du syndicalisme ouvrier et des services publics britanniques.
À écouter :
La Grande traversée : Margaret Thatcher, produite par Judith Perrignon. France Culture, juillet 2020.
À lire :
The Reordering of British Politics : Politics After Thatcher, de Dennis Kavanagh, Oxford University Press, 1997.