Derrière le charme un peu désuet de la BD imaginée par Marcel Marlier et Gilbert Delahaye dans les années 1950, se cacherait en réalité un certain goût pour l'autonomie et l'aventure.
Martine, pour vous c’est une fillette modèle un peu énervante ? Des parodies sur internet ? Des dessins aux couleurs pastel qui fleurent bon les années 1950?
Derrière son allure candide, Martine est beaucoup moins niaise qu’elle en a l’air. Le personnage défendrait même un certain goût certain pour l’aventure, la découverte, la débrouillardise, l’autonomie et l’écologie
Phénomène de l’édition depuis les années 1950, Martine c’est une soixantaine d’albums, des aventures traduites en plus de 30 langues et des dizaines de millions d’exemplaires vendus dans le monde.
Michael Jackson aimait tellement les dessins, qu’il voulait racheter à prix d’or les planches à son créateur.
Martine, le mème
Mais Martine est beaucoup moquée aussi pour son univers très lisse, son esthétique désuète, ses aventures sans accroc, ses stéréotypes de genre et son discours parfois conservateur. Parodiée sur internet depuis des années, les couvertures de Martine font l'objet de détournement.
Laurence Boudart, autrice de Martine, Une aventurière du quotidien (Les Impressions Nouvelles, 2021) : “Quelque part, les enfants ont aussi besoin d’être confrontés dans leurs lectures à un monde qui ne fait pas peur. Et en même temps, Martine vit quand même des aventures. C’est ça qui a permis à l’enfant de s’identifier très fort au personnage de Martine. On offre un univers très reconnaissable pour l’enfant qui pourrait être sa vie à lui et en même temps Martine, elle fait ce qu’elle veut, elle jouit d’une grande liberté, une liberté cadrée, rassurante mais une liberté malgré tout.”
Le premier album de Martine sort en 1954 son dessinateur, le belge Marcel Marlier, illustrait jusque là des albums de catéchisme . Avec Martine, il imagine une petite fille modèle qui découvre des tâches très concrètes du quotidien. Il s’inspire d’une fillette de son quartier, aux attitudes précieuses , comme il le raconte au micro de France Culture en 2003 : “Je lui demandais de venir poser, alors elle était là, assise, toute droite, quand je la questionnais elle répondait par 'Oui', ça m’impressionnait parce que maintenant les enfants disent “Ouais”... Cette petite fille m’est restée dans la tête et puis voilà, c’est devenu Martine.”
Son dessin, à la fois réaliste et naïf figure une petite fille dynamique, toujours en mouvement.
Laurence Boudart : “Elle renferme les caractéristiques à la fois de ce qu’on attend encore d’une petite fille au milieu des années 1950, qu’elle reste bien dans les clous. Mais en même temps elle incarne les espoirs de la jeunesse de l’après-guerre… les Trente Glorieuses, le baby boom et donc il y a une jeunesse dans laquelle on croit”.
Une héroïne coincée dans la bulle d'un monde parfait
Au fil des albums, Martine semble figée pour l’éternité dans cet âge d’or, comme une réclame pour électroménager sortie tout droit des années 1960. Pourtant, l'héroïne évolue subtilement, s’adapte aux modes vestimentaires de chaque époque. L'auteur abandonnera la minijupe qui laissait voir une culotte lui ayant valu de vives critiques sur la sexualisation de son héroïne.
La sociologie de Martine évolue aussi.
Laurence Boudart : “Martine progressivement va quitter cette classe plus élevée de la société pour finalement arriver à avoir des habitudes de vie qui sont plus de l’ordre de cette classe moyenne, c’est-à-dire qu’elle va faire des stages de vacances en groupe, en collectivité, elle va partir en vacances au camping dans une caravane.”
L’univers de Martine propose néanmoins une vision du monde genrée, qui correspond à la norme de son époque mais qui peut paraître très datée aujourd’hui.
Laurence Boudart : “Quand elle fait le ménage dans la maison, dans un album où elle veut faire plaisir à sa maman, son frère l'accompagne dans les tâches et il y a une forme de répartition très équilibrée entre la petite fille et le petit garçon dans ces tâches. Donc on est déjà face à quelque chose de plus nuancé. Elle prend véritablement les rênes de sa vie, dans un univers très rassurant, très cadré, mais elle est motrice des initiatives qu’elle lance.”
Avec le temps, Martine se fait plus sportive. Les tâches ménagères laissent la place à l’apprentissage de nouvelle activités physiques qu’elle pratique de manière indifférenciée avec des garçons. Les histoires mettent en avant de nouvelles valeurs : camaraderie, entraide, bienveillance.
Martine devient plus engagée aussi. En 2009, elle découvre le militantisme, en prônant la défense de l’environnement.
Laurence Boudart : “On a l’impression que les changements de la société ne percolent pas dans l’univers de Martine, rien n’intervient, sauf pour la nature. Martine mène une campagne de protection pour les insectes pollinisateurs, il y a une prise en compte très forte de l’impact de la pollution sur la nature avec cette volonté de défendre les insectes et les abeilles.”
Depuis la mort de Marcel Marlier en 2011, Martine est orpheline. Mais toutes ces choses apprises en 60 albums devraient lui permettre de s'émanciper dans ce monde.