Mélenchon, Pécresse et Zemmour champions du temps de parole sur Twitch et YouTube
Par Grégory PhilippsSur Internet, le temps de parole des candidats à la Présidentielle n'est pas soumis au principe d’égalité. Le Monde a donc mis en place un outil numérique pour mesurer l’exposition des candidats sur Twitch et YouTube, le Minuteur.
Selon Médiamétrie, environ 19 millions de Français se connectent chaque jour sur YouTube pour y regarder des vidéos. Parmi eux, beaucoup de jeunes qui s’informent par ce biais. Or, sur YouTube comme sur Twitch, de plus en plus d’émissions sont consacrées à la Présidentielle et reçoivent des candidats. Cela se fait sans aucun contrôle des temps d’antenne et des temps de parole, puisque ces médias en ligne ne sont pas soumis aux règles d’équité et d’égalité fixées par l’ARCOM (ex CSA). Pour la première fois, le journal Le Monde a donc mis en place un outil numérique, le Minuteur, qui mesure la visibilité des différents candidats ou de leurs porte-paroles sur 19 chaînes YouTube et Twitch, parmi les plus populaires. Explications d’Asia Balluffier, cheffe adjointe du service vidéo du Monde.
Qu’est-ce que le Minuteur ?
C'est un outil que nous avons créé il y a trois mois. Il est semi-automatisé, car cela serait trop fastidieux de réaliser un décompte des temps de parole manuellement. Nous avons donc utilisé un logiciel de transcription audio (que les journalistes utilisent quand ils ont des entretiens et qu’ils souhaitent convertir des fichiers vidéo ou audio en texte). L’idée est donc de faire passer toutes les vidéos qui nous intéressent dans ce logiciel afin d’obtenir un fichier texte. Surtout, cet outil est équipé d’un système de reconnaissance vocale qui fonctionne très bien. Cela nous permet d’identifier les différents locuteurs, l'intelligence artificielle permet cela. Ainsi, l’on peut mesurer à la seconde près le temps de parole de chaque candidat, ou de ses porte-paroles.
Le but est donc de mesurer le temps de parole sur YouTube et sur Twitch ?
Absolument. Deux raisons ont motivé la création de ce Minuteur. D’abord, il y a de plus en plus d'émissions politiques, à la fois sur YouTube et sur Twitch. Elles donnent la parole à des hommes et des femmes politiques. Elles existent même en dehors de la campagne. Mais le phénomène s’est intensifié à la faveur de cette campagne présidentielle. C'était déjà un peu le cas en 2012. Plus encore en 2017. Et encore plus cette année. C’est pourquoi nous avons décidé de "monitorer" 19 chaînes sur YouTube et Twitch. Toutes ces chaines proposent des émissions ou des programmes consacrés à l’élection présidentielle. Or, ces émissions ne sont pas prises en compte par l’ARCOM (ex CSA) comme c'est le cas pour la télévision et la radio. Tout simplement parce que cela se passe sur Internet.
Dans le passé, il y a déjà eu des débats sur le fait que la presse en ligne n'était pas soumise à ce contrôle. Mais la presse en ligne, c'est de l'écrit. Or là, on parle de YouTube et de Twitch, c'est de l'audiovisuel, c'est du son et de l'image. Donc cela interroge. Et c’est pour cela qu’on a imaginé cet outil de mesure. La deuxième raison, c'est que pour une grande partie de la population française, et les jeunes notamment, c’est sur ces réseaux que se joue la campagne présidentielle. Certains jeunes n’iront jamais écouter les propositions des candidats à la radio ou à la télévision. Mais ils le feront sur YouTube et sur Twitch. Il nous a donc semblé important de savoir comment les candidats étaient exposés auprès de ces jeunes. Combien de temps ? Et combien de vues ?
Sur ces réseaux sociaux, les principes d’équité et d’égalité du temps de parole sont-ils respectés ?
Pas du tout, étant donné qu'il n'y a pas de contrôle indépendant de la part de l’ARCOM. Cette contrainte n’existe pas. Alors, c'est variable. Certaines émissions sur Internet ne s’embarrassent pas avec ces considérations. Certaines chaînes n'invitent que des personnalités de droite, parce que cela correspond à leur sensibilité politique. Même chose à gauche. Mais sur les 19 chaînes que nous mesurons, disons que cinq ou six font quand même cet effort de respecter l’égalité des candidats en matière de temps de parole.
Sur YouTube, par exemple, l’émission "Hugo décrypte" a choisi d’inviter tous les candidats qui ont reçu les 500 parrainages, et qui donc sont reconnus comme des candidats officiels par le Conseil Constitutionnel. Cette émission fait cet effort.
Sur Twitch, Jean Massiet va recevoir tous les candidats. Là, il s’agit d’une émission en direct et qui dure plus longtemps.
Pour afficher ce contenu Twitter, vous devez accepter les cookies Réseaux Sociaux.
Ces cookies permettent de partager ou réagir directement sur les réseaux sociaux auxquels vous êtes connectés ou d'intégrer du contenu initialement posté sur ces réseaux sociaux. Ils permettent aussi aux réseaux sociaux d'utiliser vos visites sur nos sites et applications à des fins de personnalisation et de ciblage publicitaire.
Quels enseignements peut-on tirer ? Quel candidat est le plus présent sur ces réseaux ?
Sur la période du 1er janvier au 4 mars, Jean-Luc Mélenchon est arrivé en tête, à la fois en temps de parole (lui et ses soutiens) et en nombre de vues. Valérie Pécresse occupe la deuxième place. Eric Zemmour est troisième. Depuis le début de la campagne, on voit bien que les équipes de la France Insoumise accordent beaucoup d’importance à ces médias alternatifs. L’entretien de plus deux heures que Jean-Luc Mélenchon a accordé à la chaine Thinkerview a enregistré près de 1,3 million de vues. Ses soutiens aussi sont très présents, par exemple sur Le Média. Cette chaine d’ailleurs ne se soucie pas d’égalité de temps de parole, puisqu’elle accorde la parole essentiellement à la gauche, et en particulier à Mélenchon.
D'un point de vue démocratique, faut-il imaginer qu’à terme ces émissions diffusées sur Internet soient aussi contrôlées ? Ou bien considérez-vous que ce qui se passe sur Internet doit conserver une liberté totale et absolue?
C'est un vrai débat. Au fil du temps, ces émissions se sont professionnalisées, incontestablement. Plusieurs enregistrent désormais des centaines de milliers de vues. Leurs audiences ont explosé. Le fait que tout ce ceci soit diffusé via un lien URL et non pas sur un canal hertzien, ne paraît plus être un argument solide aujourd’hui.
> Découvrez notre dossier " 2022 : une présidentielle sur les réseaux sociaux"