La dague retrouvée dans le sarcophage de Toutankhamon a été forgée dans le métal d'une météorite. La météorite, un cadeau envoyé par les dieux aux hommes ? Ces pierres tombées des cieux ont de tous temps fasciné l'être humain, sans qu'il soit capable d'en expliquer les origines.
Le poignard découvert en 1925 dans le tombeau de Toutankhamon, en Egypte, est bien en fer météoritique. C'est ce que viennent de confirmer des chercheurs italiens de l'Ecole polytechnique de Milan dans la revue Meteoritics and Planetary Science. L'arme vient s'ajouter à la longue liste des objets forgés à l'aide de métal d'origine météoritique, dont une parure de perles découverte en 1911, dans un cimetière situé le long du Nil, et datée de 3 300 ans avant J-C.
Peut-on en déduire que les météorites étaient, dès cette époque, sujet d'adoration. Les objets d'apparat forgés à l'aide de ces pierres tombées des cieux témoignent surtout d'une simple réalité : en 3300 avant notre ère, à l'âge du cuivre, le fer météoritique était le seul type de fer que l'on pouvait trouver à l'état naturel, c'est-à-dire sans chercher un filon, comme l'expliquait récemment sur Twitter le doctorant en archéologie Clément Salviani. Sa rareté en faisait donc un métal extrêmement précieux, souvent à destination des élites. Le fer météoritique a ainsi été travaillé très tôt par des artisans, et ce que la matière première soit trouvée au milieu du désert par des Égyptiens ou dans les régions arctiques par des Inuits.
Les "aérolithes", un phénomène incompris
Mais si les météorites ont été exploitées dès la protohistoire, elles ont aussi été source d'interrogations, voire de défiance. On doit les premières références écrites aux météorites à Anaxagore, philosophe et astronome grec. Non seulement il évoque la chute d'une météorite en Crète, en - 1478 avant J-C, mais il prédit, lors du passage d'une comète en - 476, une chute de pierres en Thrace et fournit une explication à leur origine. Là où le regard théologique estimait que les astres étaient des dieux, l'astronome ne les considérait que comme des masses de pierres incandescentes : ainsi, selon lui, les météorites étaient des pierres détachées du soleil. Sa vision des choses, peu conforme aux croyances de l'époque, lui vaut d'être condamné à mort. Anaxagore échappe de justesse à la sentence, grâce au soutien de Périclès, et est contraint à l'exil.
Les météorites fascinent les humains, qui peinent à expliquer ces événements irrationnels : les traînées de feu dans le ciel, l'effrayant son de tonnerre retentissant et la violence de l'impact au sol sont autant de phénomènes rares qui conduisent les gens à craindre ces chutes de pierre... ou à l'inverse à leur vouer un culte :
"Dans tout le Bassin méditerranéen, les pierres tombées du ciel étaient révérées sous le nom grec de bai-tuloV (bétyl), provenant probablement du sémite Beth’El (demeure de dieu), relate ainsi Matthieu Gounelle dans "Les Météorites" (PUF, 2009). C’était le cas de la pierre de Cybèle, objet de culte en Phrygie (Asie Mineure). En 205 avant notre ère, la pierre fut apportée à Rome pour satisfaire un oracle qui liait la victoire de Rome sur Hannibal (247-183) au transport de la pierre dans les rues de la ville. Peu après son arrivée, elle fut placée sur la colline Palatine et devint le centre d’un culte qui dura jusqu’au Bas-Empire. La pierre de Cybèle faisait partie des sept objets sur lesquels la sécurité et la prospérité de Rome reposaient. La pierre noire d’Émèse (Homs dans l’actuelle Syrie) fut apportée à Rome par Héliogabale, proclamé empereur en 219 de notre ère. Son culte se substitua à celui d’Apollon pendant les trois ans du règne mouvementé d’Héliogabale. Toutes ces météorites ont malheureusement été perdues."
En Chine, les chutes de météorites sont soigneusement consignées, car considérées comme un signe divin. En 1804, le sinologue Jean-Pierre Abel Rémusat dresse d'ailleurs un Catalogue des bolides et aérolites observés à la Chine et dans les pays voisins :
"En 211, la planète Mars étant dans le voisinage d'Antarès, une étoile tomba à Toung-Kiun, et parvenue à terre elle se changea en pierre. On grava sur cette pierre six caractères qui signifiaient 'l’empereur va mourir et son empire sera divisé'. L'empereur envoya sur les lieux des officiers pour arrêter et châtier les auteurs de cette supercherie et fit brûler la pierre."
Les premières interprétations scientifiques de l'origine des météorites ont bien du mal à conceptualiser l'idée de pierres tombant du ciel et ont longtemps été tributaires de la conception aristotélicienne du ciel : Aristote pensait en effet que le passage des comètes provoquait des souffles de vent capables de projeter en l'air de simples pierres. Selon lui, les météorites avaient pour origine notre propre monde, par opposition à la perfection du monde céleste. "S'il pleut des pierres, c'est que les vents les ont d'abord enlevées", estimait également le naturaliste Pline l'Ancien (23 à 79), dans Extrait d'histoire naturelle.
Les érudits estiment donc que les météorites sont ou bien une illusion d'optique ou bien des phénomènes atmosphériques. Au Moyen Âge, l'Eglise considère ainsi ces pierres comme des symboles païens, qu'il faut jeter ou détruire. Les témoignages de chutes de pierres tombées du ciel sont d'autant moins pris au sérieux par les érudits qu'elles sont associées à d'autres phénomènes "miraculeux", tels des chutes de veaux, de feu et de souffre, ou encore de sang. Les témoignages des paysans, qui rapportaient ces fameuses pierres aux autorités locales, sont jugés peu crédibles.
Les érudits de la Renaissance ne portent pas plus de crédit à ces témoignages : en 1492, 127 kilos de pierres météoritiques tombent à Ensisheim, en Alsace. Le son provoqué par la chute fut entendu à plus de 150 kilomètres. Les habitants du village prélevèrent de nombreux fragments de la météorite et s'en firent des talismans, avant que les autorités ne récupèrent la pierre et ne la placent dans l'église locale. Des poèmes pamphlétaires, écrits par le poète Sébastien Brant, firent circuler la rumeur que les aérolithes prophétisaient la victoire du roi Maximilien, archiduc d'Autriche, sur le roi de France Charles VII. Ladite victoire , qui prit place en janvier 1493, assura la célébrité de la pierre. C'est probablement pour cette raison que le philosophe et médecin Paracelse l'examina en 1528, avant de conclure que la pierre était "identique à la matière terrestre" et de "renvoyer les habitants d’Ensisheim à leurs superstitions et à leur église". Un peu moins de deux siècles plus tard, Goethe, de passage, examina à son tour la pierre et se moqua de "la crédulité des humains qui imaginaient voir tomber des pierres dans leurs champs". (Matthieu Gounelle, "Les Météorites", Presses Universitaires de France, 2009).
Le tournant : la chute de météorites de L'Aigle
Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que des théories valides sur les météorites apparaissent. En 1794, le physicien allemand Chladni, dans "Sur l'origine de la masse de fer trouvée par Pallas, d’autres masses de fer similaires, et d’autres phénomènes reliés à ces masses", expose sa thèse : les pierres tombées du ciel sont des fragments d'autres planètes ou de corps ayant échoué à s'agglomérer en un corps plus grand. Cette hypothèse, qui viole certains principes de la physique newtonienne, est fortement remise en cause par la communauté scientifique.
Neuf ans plus tard, le 26 avril 1803, la chute de milliers de pierres sur la commune de l'Aigle, en Basse-Normandie, va contraindre les scientifiques à réviser leur conception de ces corps extraterrestres :
"Mardi dernier, 6 floréal (26 avril 1803), entre une et deux heures après midi, nous fûmes surpris par un roulement qui était semblable au tonnerre : nous sortîmes et fûmes surpris de voir l'atmosphère assez net, à quelques petits nuages près; (...) mais la surprise fut bien autre chose, lorsqu'on apprit qu'il était tombé de ce nuage, des pierres très grosses et en grande quantité, parmi lesquelles il y en avait de dix, onze et jusqu'à dix-sept livres. (...) Chacun dans le pays est curieux d'en posséder une ou un morceau, comme étant un objet de curiosité. Les plus grosses ont été lancées si violemment, qu'elles sont entrées dans la terre au moins à un pied de profondeur : elles sont noires extérieurement et grisâtres intérieurement, il semble qu'il y ait dedans une espèce de métal." Témoignage du citoyen Marais, publié dans le Journal de la Physique.
Le jeune astronome Jean-Baptiste Biot se rend sur place pour procéder à une enquête. C'est la première fois qu'un scientifique va se déplacer pour observer une chute de pierres météoritiques. L'ampleur de l’événement lui permet de réunir à la fois des preuves morales, en interrogeant des témoins de toutes les classes sociales, et des preuves physiques, en prélevant les fragments de la météorite. La publication de son rapport, en août 1803, bouleverse la conception scientifique des pierres météoritiques et ouvre un nouveau champ d'études scientifiques.
En 2004, l'émission "Le Vif du sujet" consacrait une émission à cet événement peu ordinaire, ponctuée d'extraits de textes de Jean-Baptiste Biot, que nous vous proposons de réécouter :
La Chute des météorites de L'Aigle
59 min
(Avec l'aide d'Arthur Béranger)