Effacée de l'histoire du féminisme français, Monique Wittig a été redécouverte aux États-Unis dans les années 1990 à travers les études de genre.
Pionnière du Mouvement de Libération des Femmes (M.L.F.), elle a théorisé l’identité lesbienne, les stéréotypes de genres et remis en question le sexisme de la langue française. Voici comment Monique Wittig a fait de son homosexualité une révolution féministe.
Une voix unique en littérature
En 1964, Monique Wittig s’impose comme une voix unique en littérature avec son premier roman qui obtient le Prix Médicis. Dans L’Opoponax, l'autrice fait une critique du neutre masculin.
Pour raconter la vie d’une petite fille, elle utilise le “on” à la place du “elle” ou du “je”. Un pronom qui échappe volontairement aux catégories de genres. Monique Wittig continuera de bouleverser la langue française dans : Les Guérillères (1969) et Le Corps lesbien (1973).

Sa volonté de dépasser le genre est bien plus que linguistique : Monique Wittig veut mettre un terme aux stéréotypes associés au genre féminin qui conditionnent les femmes.
Monique Wittig est une féministe matérialiste, ce qui signifie que, pour elle, la différence sexuelle est un produit d’un rapport d’exploitation domestique qui se matérialise notamment par le mariage, la reproduction forcée ou l’assignation des femmes à des tâches domestiques. En cela, la position lesbienne est une position révolutionnaire puisque c’est une position qui refuse l'assignation des femmes à la domesticité et à la maternité. Ilana Eloit, chercheuse au CNRS
Après Mai 68 et la révolution politique, Monique Wittig participe à la fondation du Mouvement de Libération des Femmes (M.L.F.) et organise des actions coups de poing. Comme lorsqu'elle brandit une banderole : “Il y a plus inconnu que le soldat inconnu : sa femme." Elle cosigne le “Manifeste des 343” pour défendre le droit à l’avortement.

L'hétérosexualité comme régime politique
Son deuxième roman, Les Guérillères, qui décrit une utopie lesbienne et féministe, va faire d’elle l’une des voix les plus influentes du mouvement lesbien français, dont elle co-crée le premier groupe : “Les Gouines Rouges”. Pour Monique Wittig c’est simple : il n’y a pas de révolution féministe possible, sans révolution lesbienne.
Ce qui l’intéresse, c’est politiser l’hétérosexualité, c’est démontrer que l’hétérosexualité est un régime politique, une norme dominante. Que l'hétérosexualité s’incarne par tout un tas d’habitudes, de pratiques au quotidien. Et c’est ça qui a choqué : à l’époque, l’hétérosexualité était une évidence. On ne pensait pas l’hétérosexualité comme “une” sexualité. C’était “la” sexualité.
Monique Wittig dit : “Les lesbiennes ne sont pas des femmes” car ce qui fait une femme c’est une relation sociale particulière à un homme. Relation à laquelle les lesbiennes échappent en refusant de devenir ou de rester hétérosexuelles. Ilana Eloit, chercheuse au CNRS
Une féministe mise à l'écart
Monique Wittig est de tous les combats féministes décisifs du début des années 1970 mais au lieu de naturellement s’imposer comme une voix majeure du féminisme français, elle se sent mise à l’écart, parce qu’elle est lesbienne.
Il y a des archives de Monique Wittig conservées à l'université américain de Yale, où elle explique que son expérience au sein du MLF a été très dure, qu’elle a été forcée au silence par les militantes féministes, qui empêchaient les lesbiennes d’être visibles en tant que lesbiennes. Et donc, qui l’ont sans cesse empêchée de politiser et de revendiquer cette identité lesbienne au sein du MLF. Ilana Eloit, chercheuse au CNRS

Redécouverte grâce aux études de genre aux États-Unis
Amère et déçue par le féminisme français, Monique Wittig s’exile aux États-Unis avec sa compagne Sande Zeig. Elle y trouve des militants et des chercheurs plus réceptifs à ses idées. Elle s’impose là-bas comme une pionnière des études de genre.
Monique Wittig est redécouverte dans les années 1990 à travers “Troubles dans le genre” de Judith Butler__, un ouvrage canonique dans les études de genre et les études queer. Elle a été effacée parce qu’elle s’est exilée aux États-Unis mais aussi parce que le féminisme français s’était opposé à elle. Et ensuite ce n’est qu’en 2001 que son ouvrage “The straight mind” (“La Pensée straight”) a été traduit en français. Ilana Eloit, chercheuse au CNRS
Devenue professeure dans plusieurs facultés américaines prestigieuses, Monique Wittig passe la fin de sa vie à enseigner les études féministes et le français, et à s'essayer au théâtre, au cinéma. Elle meurt en 2003 en étant une icône lesbienne aux États-Unis.
Merci au Fonds Monique Wittig pour ses archives. Il réunit de très rares clichés de Monique Wittig, pris par des photographes telles que Colette Geoffrey, Adele Prandani ou Babette Mangolte.
Des archives sur le MLF sont disponibles dans la collection de la Bibliothèque Marguerite Durand (BMD), seule bibliothèque en France consacrée uniquement aux archives de l'histoire des femmes, du féminisme et du genre.