Mort d'Agnès Varda, grande cinéaste de la Nouvelle Vague

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Mort d'Agnès Varda, grande cinéaste de la Nouvelle Vague

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Agnès Varda prend la parole lors d'une conférence de presse sur le film "Varda par Agnès" lors de la 69ème Berlinale
Agnès Varda prend la parole lors d'une conférence de presse sur le film "Varda par Agnès" lors de la 69ème Berlinale
© AFP - TOBIAS SCHWARZ

Cinéaste, mais aussi photographe, plasticienne... l'artiste polymorphe Agnès Varda, grande figure de la Nouvelle Vague, est décédée ce 29 mars. Elle avait 90 ans.

Elle est morte dans la nuit du 28 au 29 mars. Agnès Varda, pionnière du mouvement La Nouvelle Vague, était l'une des rares femmes, avec Nelly Kaplan, à tirer son épingle de ce cinéma novateur des années 1960. Parmi ses films marquants, citons Cléo de 5 à 7, sorti en 1962, qui relate en temps réel les angoisses de mort d'une jeune chanteuse en attente de résultats d'examens médicaux ; ou encore l'incontournable Sans toit ni loi (1985), Lion d'or à la Mostra de Venise, dans lequel Sandrine Bonnaire incarne une jeune femme vagabonde qui terminera sa vie dans un fossé.

Agnès Varda avait également reçu un César du meilleur documentaire pour son film Les Plages d'Agnès, sorti en 2009 : en même temps qu'elle rendait hommage aux plages ayant marqué son existence, la réalisatrice revenait sur sa relation avec Jacques Demy, ses voyages, ou encore ses engagements féministes.

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En 1998, sur France Culture, Agnès Varda s'était longuement confiée, au fil de cinq épisodes, sur ses souvenirs d'enfance, son amour passionné et lyrique de la nature né de son expérience d'"éclaireuse", ses débuts en tant que photographe de théâtre, sa vision du cinéma, son rapport au public... C'était dans l'émission À Voix nue, au micro de Gérard Lefort.

De la photographe de théâtre, à la cinéaste

Elle est née en 1928 en Belgique : sa famille habite Bruxelles "dans une rue au nom magnifique, la 'rue de l'Aurore'" jusqu'en 1940, lorsqu'elle fuit pour s'établir à Sète. C'est là-bas qu'Agnès Varda grandit, dans cette "sorte de Venise loupée mais qui a une beauté particulière".

C'est ensuite à Paris qu'Agnès Varda se rend pour étudier : "Je suis arrivée comme une provinciale humiliée. Je n'ai pas aimé Paris, alors je marchais des heures, je faisais tous les quartiers à pied ; Pantin, les Buttes-Chaumont... tout, tout ! Toutes les bordures de Paris, les portes, les débuts de banlieues...". Elle fait des photographies, avec un appareil acheté sur les Grands Boulevards à un reporter-détective.

Agnès Varda passe un CAP, suit un apprentissage difficile, mais parallèlement, elle trouve à satisfaire sa curiosité en lisant, en se rendant aux expositions... Puis sa vie bascule :

L'autre exaltation de ma jeunesse a été de rencontrer Jean Vilar, - qui était de Sète, mais enfin... - de travailler avec lui. Quand il a commencé le Festival d'Avignon, l'année suivante en 1949, comme personne ne lui donnait de l'argent, il s'est entouré des copains, de la famille, des proches, et j'ai été autorisée à l'aider, à faire quelques photos, et à balayer, à remplir les seaux des comédiens dans les loges... J'ai connu la vie de théâtre, des troupes pauvres et itinérantes, et j'ai beaucoup aimé ça. Déjà dans cette situation pauvre, le talent de Vilar, son incroyable intelligence, sa réflexion sur l'acte de jouer, sur l'étude d'un texte, la pureté, le silence...

De fil en aiguille, Agnès Varda photographie aussi au TNP : "Jean Vilar, malgré son énorme talent, n'était pas très médiatique, jusqu'à ce qu'il s'adjoigne Gérard Philipe, grande star de cinéma, venu jouer Le Cid et Le Prince de Hombourg au festival d'Avignon de 1951. Et c'est là que mes photographies ont inondé la presse... et ces photos-là continuent à être montrées ! Jeanne Moreau dans ses débuts, Gérard Philipe, Jean Vilar... C'était surtout du noir et blanc. Et à chaque fois qu'on commémore les 40 ans, les 50 ans d'Avignon, la presse repasse toutes ces images que j'ai faites à 19-20 ans, à peine remerciée par Vilar, à peine payée..."

Jacques Demy, et la petite cabane du cinéma

Agnès Varda confiait dans cette émission ne pas très bien savoir pourquoi, à 25 ans, elle avait écrit son premier film : La Pointe courte, réalisé en 1954, pour lequel elle avait recruté deux acteurs qu'elle avait connus au TNP, Sylvia Montfort et Philippe Noiret, qui n'était pas encore un grand acteur : "Ils se sont prêtés tous les deux avec une formidable générosité à cette expérience, avec un texte quand même ardu...". Cette série d' À Voix nue proposait une balade dans la filmographie d'Agnès Varda. 

J'aime quand il y a très peu de distance entre le désir d'un film et le film lui même, j'aime quand cette distance est réduite entre l'inspiration de l'idée et l'inspiration du tournage.

Agnès Varda, c'était aussi bien sûr un couple de cinéma mythique, celui qu'elle formait avec le réalisateur Jacques Demy. Une histoire d'art et d'amour née de leur rencontre au festival du court-métrage de Tours : Agnès Varda a 30 ans, Jacques Demy en a 27, et très vite, le couple devient inséparable, aussi bien à la ville que sur les plateaux de tournage, où Demy écrit les dialogues et chansons des films de sa compagne. Interrogée en 2010 dans un Hors-champs sur la relation artistique qu'elle entretenait avec son mari, Agnès Varda explique :

J’ai toujours eu l’impression qu’on faisait un cinéma complètement différent. Mais certaines personnes m’ont dit qu’on retrouvait le goût de la couleur, une certaine façon de ne pas traiter certains sujets… et ça, je crois que c’est vrai.

Quand il meurt du sida en 1990, Agnès Varda entreprend de lui rendre hommage dans Jacquot de Nantes, sorti l'année suivante :

Quand Jacques a été malade, il a écrit non pas un nouveau scénario mais ses souvenirs d’enfance. Tous les soirs, il me les faisait lire. Je trouvais ça vraiment intéressant : au fond, je connaissais ses parents, je connaissais le garage à Nantes, mais je ne savais pas tout ce qu’il racontait. Un jour, j’ai dit "ça ferait un scénario formidable". Il m’a répondu "fais-le". Et Jacques m’a ouvert les portes de sa mémoire. C’était un pari : celui de rentrer dans l’enfance de l’autre. Car les gens qui s’aiment partagent beaucoup de souvenirs, mais c’est l’enfance qui reste la plus secrète. Sans sa maladie et son écriture, je n’aurais jamais su tout ça.

En avril 2018, toujours sur notre antenne, qu'elle avait beaucoup fréquentée, elle confiait encore à Marie Richeux, dans son émission "Par les temps qui courent", "d'une façon générale, on est incapable, on ne fait pas grand-chose pour que le monde aille mieux. Moi, je me mets dans ma petite cabane, et je pense au cinéma, parce le cinéma, c'est partager.

Par les temps qui courent
58 min

Il y a quelques mois, l’émission Plan large revenait elle-aussi longuement sur la richesse de son œuvre, une filmographie polymorphe qui a toujours brouillé les frontières et les genres, cinématographiques comme sexuels, jouant avec les formats sans jamais s’enfermer dans un carcan.

Plan large
59 min

En 2010, alors qu’elle s’apprêtait à recevoir le grand prix des réalisateurs à Cannes, Agnès Varda se confiait à Laure Adler dans une série de Hors-champs enregistrée dans sa maison laboratoire rue Daguerre. Elle revenait sur sa jeunesse, ces années durant lesquelles elle s’est forgé cet esprit d’indépendance qu’elle a gardé toute sa vie.

Hors-champs
45 min

En 1994, à l’occasion de la sortie de son livre Varda par Agnès, Agnès Varda racontait déjà sa pratique du cinéma dans l’émission Du jour au lendemain, une façon de travailler à son image : imprévisible, têtue, n’en faisant qu’à sa tête. 

Ses trois vies, celles de photographe d’abord, de cinéaste ensuite, puis de plasticienne, Agnès Varda les a évoquées au micro d’Antoine Guillot dans une Masterclasse enregistrée en 2017 où elle partageait ses secrets d’artiste :

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