
Disparition. Représentant du mouvement altermondialiste, Immanuel Wallerstein est mort dimanche 31 août 2019, à l’âge de 88 ans. Le sociologue américain père du concept de “système-monde”, militait aussi pour l’union des sciences sociales.
Il avait créé la notion de "système-monde", qui permet selon lui de définir les effets de la mondialisation. Sociologue et économiste de gauche, Immanuel Wallerstein était considéré comme l'une des grandes figures du mouvement altermondialiste. Il est décédé dimanche 31 août, à l’âge de 88 ans.
Né à New York dans une famille juive-polonaise, Immanuel Wallerstein fait ses études à l'université Columbia, de laquelle il sort diplômé d’un doctorat de philosophie. C’est à cette époque qu’il commence à s’intéresser au mouvement anticolonial qui se développe en Inde et à l’Afrique de l’Ouest post-coloniale. Pendant de nombreuses années, il enseigne la sociologie à l'Université McGill puis à celle de Binghamton. Francophone, il fonde le centre Fernand-Braudel pour l’Étude de l’Économie, des Systèmes historiques et des Civilisations et occupe le poste celui de directeur d’études associé à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris. Il reçoit en 2014, le Prix inaugural d’excellence dans la recherche et la pratique de l’Association internationale de sociologie en 2014 (l’équivalent du prix Nobel pour la sociologie), et devient chercheur résident à la Maison des sciences de l’homme, à Paris.
Au cœur du "système-monde"
Il ressort de son œuvre, complexe et riche, deux thématiques majeures. Premièrement, l’analyse de ce qu’il appelle le “système-monde”, dans le sillage de la pensée de Fernand Braudel et de son “économie-monde”. Sous ce concept, le sociologue désigne une unité socio-spatiale qui intègre différents États dans une même organisation de relations économiques, culturelles et politiques. Apparaît alors un nouvel objet géographique et économique : le système monde, sorte de grand réseau d'échanges. Avec cette notion, Wallerstein est l’un des premiers à décrire les effets de la mondialisation dans les années 1970. Fin du capitalisme, réchauffement climatique, pollution... Dans le livre Le capitalisme a-t-il un avenir, Immanuel Wallerstein voyait dans la conjoncture actuelle certaines tendances qui pourraient mener à la fin de l’économie de marché. Il s'en expliquait dans l'émission "La Suite dans les idées", le 15 novembre 2014, sur France Culture, au micro de Sylvain Bourmeau :
La possibilité d'accumulation du capital, qui est la raison d'être du capitalisme, n'existe plus. Les capitalistes eux-mêmes ne trouvent plus de moyens de faire une belle accumulation du capital. Pour moi, la crise structurelle du système moderne a commencé dans les années 1970. Il devrait aller jusqu'à 2030 ou 2050. Immanuel Wallerstein
Figure de l'altermondialisme
La seconde préoccupation du penseur concerne la réunification des sciences sociales. Avide de comprendre le monde dans sa globalité, Wallerstein se positionnait contre les frontières disciplinaires, appelant de ses vœux au dialogue entre les sciences humaines, à la circulation des idées. Intellectuel militant et engagé à gauche, il participait à des rassemblements altermondialistes, comme le Forum social mondial de Porto Alegre en 2001, qui s'était ouvert par une grande “marche contre le néolibéralisme”.
En plus de ses articles réguliers sur son blog, le penseur intervenait souvent dans le débat public. Parmi ses principaux ouvrages traduits en français, on trouve Comprendre le monde (éd. La Découverte), dans lequel il explore les origines de la mondialisation et du terrorisme, souvent décrits à tort comme des phénomènes du monde actuel, et Race, nation, classe (éd. La Découverte), co-écrit avec le philosophe Étienne Balibar, qui traite de l’immense question de la survivance et progression du racisme dans le monde.
En 2015, Immanuel Wallerstein était l'invité de Caroline Broué de l'émission "Le Grande table", sur France Culture. Il décryptait notamment la fin de ce qu'il appelle la "gauche mondiale" et les conséquences du chômage sur les classes moyennes :
La gauche mondiale se trouve dans une grande difficulté. La gauche mondiale a enterré un certain nombre de débats. Aujourd'hui, tout le débat antérieur revient, mais on en est toujours au même point. La droite aussi a de gros problèmes. C'est une situation de "crise structurale" du "système monde", mais c'est normal, car tout système arrive un jour à une crise. On entre dans un système de transition. Immanuel Wallerstein
Une nouvelle gauche va être portée sur les classes moyennes. Mais en prétendant être la porte-parole de cette classe moyenne qui ne peut plus vivre comme avant, elle se met en difficulté avec la classe ouvrière. Cela pourrait ressembler à une gauche plus inclusive. Certains peuvent pencher vers l'extrême droite qui jouent sur ces arguments : les immigrés qui voleraient le travail des Français. Immanuel Wallerstein
Le chômage est la question clé. Dans le passé, quand on éliminait des postes d'ouvriers, on en créait d'autres pour les classes moyennes. Aujourd'hui, avec l'arrivée des nouvelles technologies, on se dispense de ces ouvriers, et ils se retrouvent au chômage. Immanuel Wallerstein
Le sociologue évoquait également les conséquences indirectes du capitalisme mondial qui provoque, selon lui, des replis nationalistes dans différents pays, particulièrement en Europe :
C'est un grand danger. La nation semble être un rempart contre le néo-libéralisme, et à la fois elle renforce ce qui est mauvais dans la vie politique. Je prêche une mondialisation classique. Evidemment, chaque cas doit être considéré en particulier. Théoriquement, la gauche est née d'un sentiment que les nations sont le passé. Il faut essayer de créer un "universalisme universel". Immanuel Wallerstein