
On lui doit Roissy, la Grande Arche de la Défense, le Théâtre National de Pékin... L'architecte Paul Andreu est mort ce 12 octobre. Il était passé plusieurs fois sur notre antenne. Ecoutez-le raconter de sa belle voix la manière dont il espérait que ses bâtiments fassent "grandir" nos sentiments.
Il avait 80 ans. L'architecte Paul Andreu, surtout connu pour ses constructions aéroportuaires (il a conçu plus de soixante projets d'aéroports), mais aussi pour celle du Grand Théâtre national de Pékin (parfois appelé un peu vite "Opéra de Pékin") est mort ce 12 octobre.
En juin 2013, dans l'émission "Une fois pour toutes", il était venu se confier au micro du producteur Dominique Souchier, à mots choisis, quasi-poétiques, passionnés.
Paul Andreu se remémorait la construction de Roissy, livrait les secrets de son carnet de croquis, et surtout, laissait deviner la conception très humaniste qu'il avait de son métier de bâtisseur. C'était à l'occasion de la parution de son livre Archi-mémoires (Odile Jacob), dans lequel il racontait notamment un rêve qu'il avait fait, une nuit, d'une maison totalement transparente :
D’une certaine manière c’est ce dont rêve tout architecte, d’avoir cette vision globale des choses. Comme on dit que les musiciens ont une vision totale de leur musique, indépendante du temps, nous au fond, on voudrait avoir pour bien composer une vision totale de l’espace, se libérer même de cette représentation trop simple qu’on a des choses sur le papier, et pouvoir accéder directement dans le cerveau à des représentations qui ne sont sans doute pas de la géométrie habituelle.
Paul Andreu se souvient du jour de l’inauguration (tumultueuse) de Roissy

Le 8 mars 1974, l'aéroport de Roissy est inauguré. Le président de la République, qui est alors Georges Pompidou, est malade et ne peut être présent -il mourra quelques jours plus tard : "J’étais désolé, parce que Pompidou était un moderniste, un homme de culture qui comprenait la vie moderne, donc ce bâtiment allait lui plaire…", se souvenait Paul Andreu.
C'est Pierre Messmer, le premier ministre, qui fait les honneurs de l'aéroport flambant neuf. L'architecte avait gardé un vif souvenir de cette inauguration... mouvementée, comme il le racontait à l'époque à Dominique Souchier :
Il arrive, et là un trublion jette au milieu de la foule une espèce de chose qui faisait de la fumée. C’est là qu’on voit que les gens ont des ressources qu’on ne connait pas, parce que les types ont sauté par dessus les banques d’enregistrement... des gens qu’on croyait perclus de rhumatismes ! Panique à bord. Un journaliste de la TV, formidable, a foncé au milieu en criant “Du fil, du fil !”, et le premier ministre lui, n’a pas bougé. Il en avait vu d’autres… On enlève le brûlot, tout reprend. Pour l’histoire je crois que c’est un fils de gendarme, qui avait fait ça. Ensuite on fait dix ou vingt mètres et on attaque la montée dans les escalators. Et là, quand le premier ministre pose le pied dessus, il tombe en panne. J'étais pas loin derrière, et j’ai cru que ma dernière heure était arrivée ; mais non. Il a dit : “C’est pratique, ces tapis, parce que quand c’est en panne, on n’a qu’à marcher”. Il avait de l’humour, et tout s’est bien passé.
Preuve que Pierre Messmer ne s'était pas laissé décourager par les aléas... il tiendra ce discours qui associera dans l'histoire l'aéroport de Roissy à l'avion supersonique :
Les voyages aériens correspondent aux goûts, aux rêves et aux besoins des hommes. Par ces baies, nous pouvons voir se profiler Concorde. Cet aéroport et cet avion ne sont pas liés seulement par la beauté de leurs lignes : l’un et l’autre expriment une même ambition, celle d’un pays qui a voulu d’abord, qui a appris ensuite, à épouser son siècle.
Dans cette même émission, Paul Andreu parlait aussi de ses dessins, cassant l'idée reçue d'un croquis qui, pour l'aéroport de Roissy, aurait fait office de révélation : “C’est une approche beaucoup plus lente, par paliers. Quand vous regardez en arrière, vous voyez bien le moment où les choses sont venues, mais sur le moment, vous ne le voyez pas, vous êtes dans un certain inconfort, une certaine tension, et il faut beaucoup de discernement pour arriver à voir ce qu’il se passe, ce qui est bien. Et vous ne l’avez pas forcément le jour même, ni même huit jours après."
"Je voudrais passionnément que les gens qui entrent dans mes bâtiments se sentent libres de leurs sentiments"

De sa belle prose, Pierre Andreu confiait qu'il n'avait pas pour ambition, dans son travail, de susciter chez les gens des sentiments émerveillés par rapport à son architecture. Il se voyait plutôt comme "un constructeur de serres, où on met les plantes pour qu’elles grandissent" :
Bien sûr les espaces sont contraignants, mais [les gens] peuvent les aimer, ne pas les aimer, s’y opposer... pourvu que leurs sentiments grandissent, quels qu’ils soient. Les leurs, pas les miens.
Enfin, il évoquait aussi son autre grand oeuvre, le Grand Théâtre national de Pékin. Paul Andreu avait choisi d'entourer ce grand dôme de titane, inauguré en 2007, d'une pièce d'eau sous laquelle les visiteurs devaient passer pour entrer. Car pour l'architecte tout juste disparu, le concept de passage était capital :
L’aéroport c’est le passage de la terre à l’air, l’opéra c’est le passage de la vie courante à celle de la fiction, qui est plus vraie que la vraie d’ailleurs, souvent. Donc mon travail c’est d’abord de faire que tous ces espaces qui vont de la rue, du moment où l’on pénètre, jusqu’au moment où on va s’asseoir dans une salle d’opéra, soit un moment de création et de liberté. Que les gens soient passés de l’un à l’autre le plus sereinement possible et en respirant le plus profondément possible.