Les civic tech ou technologies à visée citoyenne entendent offrir des solutions aux citoyens pour les aider à s’engager et à participer davantage à la vie publique. Comment ces outils numériques sont-ils apparus ? Offrent-ils la possibilité d’un renouveau démocratique ?
La promesse est ambitieuse : « hacker la démocratie »[1], comme on l’entend chez certains promoteurs des civic tech, à l’heure où 35% des français seulement pensent que la démocratie fonctionne bien[2]. Comme souvent lorsque la technologie se développe dans un secteur, les effets d’annonce laissent rapidement place à une réalité moins reluisante et souvent difficile à percevoir, au-delà du discours porté par les entreprises qui développent ces solutions. Les civic tech n’échappent pas à cette règle et les élections municipales, qui auront lieu les 15 et 22 mars 2020, sont l’occasion de s’intéresser au rôle de ces technologies dans ces élections.
Les technologies pour s’engager et participer davantage à la vie publique
Les civic tech visent à transformer la relation entre les citoyens et le pouvoir, à rendre la démocratie, la vie publique et les institutions plus transparentes, participatives et collaboratives.
La principale critique émise par les acteurs des civic tech sur le fonctionnement actuel de notre démocratie est son incapacité à faire participer l’ensemble des citoyens à la vie publique. D’après un sondage IFOP de 2018, « les scénarii d’une plus grande "attention portée aux intérêts collectifs" (15%), d’une "participation croissante des citoyens à la vie publique" (26%) et d’une plus grande "transparence et démocratie grâce aux médias" (29%) restent visiblement assez peu plausibles aux yeux des Français »[3]. Et c’est bien ce à quoi les civic tech tentent de répondre, faire participer davantage les citoyens à la vie publique et favoriser la transparence et l’exercice de la démocratie.
En dehors des élections, les citoyens sont encore peu invités à s’exprimer sur la vie publique et politique, quelques tentatives du gouvernement français ont émergé, avec notamment la consultation en amont de la Loi pour une République Numérique (2015) ou encore le grand débat national en 2019. Les civic tech offrent de multiples solutions d’expression aux citoyens, par exemple la mise en contact avec les élus ou encore le vote des budgets participatifs.
Les civic tech améliorent les processus d’échange entre élus et citoyens, en prenant par exemple la forme de plateformes de consultation où chacun peut aller donner son avis et faire des propositions. Les élus peuvent ensuite s’appuyer sur les orientations issues de ces consultations pour prendre leurs décisions.
Les civic tech permettent aux citoyens de s’engager et de participer davantage à la vie publique. Souvent elles reproduisent des actions politiques qui ont toujours existé (lancer des pétitions, des consultations, contrôler les institutions …). Comme le disait le chercheur Loïc Blondiaux à l’antenne de France Culture : « Ce sont des prolongements dans l’espace numérique de mobilisations qui pourraient avoir lieu dans l’espace public »[4].
Les civic tech en campagne : mobiliser et faire participer des citoyens devenus militants
Ces interfaces numériques qui visent à transformer les relations entre les citoyens et les pouvoirs sont destinées à d’autres acteurs dès lors qu’on entre dans une logique de campagne électorale. En effet, les citoyens deviennent militants : ils soutiennent une liste ou un candidat. Pour commencer, un premier cas d’usage de ces technologies : faire participer les militants à la construction des programmes des candidats. Il existe de nombreuses solutions pour centraliser les sujets mis au débat et les propositions (on peut citer en exemple : Cap Collectif, Open Source Politics, Fluicity, ID City, DigitaleBox). Cette co-construction peut se faire lors de réunions physiques — surtout à l’échelle municipale — mais l’avantage d’une plateforme est qu’elle permet d’archiver toutes les propositions et les votes. De plus, elle permet à chacun de participer au projet à son rythme. Par ailleurs, même dans des petites villes, il n’est pas toujours évident de rassembler tous les candidats d’une liste, en témoignent ces nombreuses photos de campagne où des candidats sont ajoutés via un logiciel de retouche photos[5].
La consultation a ses règles et pour embarquer les citoyens, il est de plus en plus important qu’ils puissent eux-mêmes faire leurs propositions. S’ils ne font que voter pour ou contre des propositions déjà faites, alors le processus démocratique est moins abouti. La co-construction d’un programme lui donne davantage de légitimité et favorise son appropriation par les militants qui vont aller le défendre sur le terrain.
L’autre élément de campagne qui peut-être plus participatif est la constitution de la liste des candidats. On avait déjà vu les initiatives en ce sens se multiplier lors des élections présidentielles de 2017 avec par exemple laprimaire.org, qui a organisé des primaires pour que les citoyens choisissent les candidats qu’ils veulent voir se présenter à des élections. Pour les élections municipales, un candidat parisien a intégré des volontaires tirés au sort sur ses listes. Ici le numérique permet pour les citoyens de se porter plus facilement candidat et de garantir la transparence des tirages au sort.
Davantage de transparence au service de la démocratie
Le processus démocratique tel qu’il est mis en avant par de nombreux acteurs des civic tech souligne l’importance de faire de la pédagogie et d’expliquer les processus de décision[6]. Cette clarification permet aux citoyens et militants de s’impliquer davantage dans une campagne ou d’y être candidat. Il est important de reposer le fonctionnement de l’élection et ses enjeux. Pour les municipales par exemple, il peut être pertinent de clarifier le rôle des conseillers municipaux, le principe d’être en position éligible sur la liste ou non ou encore de cadrer les fonctions et attributions d’une mairie.
Exploiter les données publiques, respecter et protéger les données personnelles
Pendant la campagne, même sur un petit territoire, les données sociodémographiques disponibles vont permettre d’identifier des éléments qui vont structurer les débats et les prises de position des candidats. Il existe aussi des données qui permettent de mieux comprendre les élections passées, notamment les votes des différents bureaux et les taux d’abstentions. Toutes ces données sont en open data, elles sont accessibles gratuitement et chacun est libre de les exploiter selon ses besoins. L’analyse de ces données prend une place croissante dans les campagnes municipales car elles permettent de mieux concentrer les efforts de mobilisation.
Avec le développement des civic tech dans les campagnes électorales, le nombre de données personnelles (mails, téléphone, noms) récoltées a augmenté. Ces données sont sensibles car elles sont liées à des contacts, des orientations politiques. L’utilisation de ces données doit se faire en accord avec les règles de la CNIL [7]. Il est important que l’objectif et l’utilisation de ces données soient clairement définis et qu’elles ne soient pas réutilisées à des fins politiques ou économiques. La CNIL souligne[8] que le potentiel des civic tech est important mais qu’il pourra être exploité seulement si les utilisateurs peuvent faire confiance au traitement qui sera fait de leurs données.
Les conseils municipaux sont l’instance de gouvernance en laquelle les français ont le plus confiance (60% d’entre eux)[9]. Les candidats aux municipales sont plutôt en position de force mais pour maintenir cette confiance, ils peuvent être plus transparents et cela passe par des déclarations d’intérêts, par des méthodes transparentes pour choisir les candidats, ou encore par l’utilisation de logiciels en open source[10]. Certaines civic tech sont d’ailleurs développées en open source[11], c’est-à-dire avec un code accessible à tous et réutilisable par tous. Le code devient alors un bien commun au même titre que l’est la démocratie.
Au-delà des civic tech, quels usages de la technologie en campagne pour les municipales ?
Des applications comme Pivot, développé par EXplain, permettent de transmettre à l’ensemble des militants d’une liste ou d’un candidat, une carte des zones et rues à parcourir pour aller rencontrer des citoyens ciblés suite à une analyse précise de données sociodémographiques et électorales — ces informations étant le résultat d’une analyse de données. Chaque militant coche sur l’application les numéros de rue qu’il a visitées en précisant si la personne était présente ou non.
Sur le principe, ce type de solution peut faire rêver bon nombre de candidats mais dans les faits, 48% des français vivent dans des communes de moins de 9000 habitants[12], avec des campagnes qui reposent sur des moyens financiers réduits. Par exemple, Pivot est seulement disponible pour les communes de plus de 16 000 habitants. Par ailleurs, la fracture numérique existante est également un frein pour le développement de ces technologies : 13 % des Français se déclarent en pénibilité sur le numérique, un chiffre qui s’élève à 40 % pour chez les publics en précarité sociale[13]. Dans les faits, l’outil le plus fiable dans les équipes de campagne n’est pas issu des civic tech, ce sont les appels et les messageries instantanées. Cela s’explique par un temps de campagne souvent trop court (quelques mois). Les équipes de campagne doivent composer avec l’existant et n’ont pas le temps de former les militants.
Pour être plus démocratiques et répondre aux besoins des citoyens, les campagnes ont tendance à vouloir s’horizontaliser, à être moins hiérarchiques. Un mouvement qu’elles souhaitent poursuivre dans l’exercice de la mandature. Or dans les campagnes électorales, on a aujourd’hui d’une part ceux qui maitrisent les civic tech et leurs données et d’autre part ceux qui ne sont pas en capacité de les utiliser. Il faut résoudre cet écart pour permettre à tous les citoyens d’envisager être véritablement acteurs des municipales.
Ainsi, les civic tech ouvrent des perspectives pour améliorer la démocratie et permettre aux citoyens de jouer pleinement leur rôle, en leur donnant notamment davantage de moyens de participer à des campagnes à toutes les échelles, voire même de se porter candidat. En revanche, cette appropriation de ces technologies par les citoyens ne se fera pas sans une formation et une éducation à ces enjeux numériques.
- [1] Ce que « hacker la démocratie » veut dire. Pratiques et représentations des entrepreneurs de la civic tech, France Culture, 09/01/2019.
- [2] En qu(o)i les Français ont-ils confiance aujourd'hui ? Baromètre Opinion Way pour le CEVIPOF, février 2020.
- [3] Les Français et la citoyenneté, IFOP pour Ouest France, janvier 2018.
- [4] Loic Blondiaux, France Culture, La Méthode Scientifique, 09/01/2019.
- [5] Photoshop, allié indispensable des "petits" candidats aux municipales, BFMTV, Pauline Dumonteil, 04/03/2020.
- [6] Le manifeste pour une démocratie ouvert, Démocratie Ouverte.
- [7] Campagne électorale et utilisation des données personnelles : grands principes et points de vigilance, CNIL.
- [8] Civic tech, données et Demos, Cahiers IP Innovation & Prospective n°07, CNIL, décembre 2019.
- [9] En qu(o)i les Français ont-ils confiance aujourd'hui ? Baromètre Opinion Way pour le CEVIPOF, février 2020.
- [10] À Barcelone, un modèle original de « commun numérique », Le Monde, Claire Legros, 07/06/2019.
- [11] À Barcelone, un modèle original de « commun numérique », Le Monde, Claire Legros, 07/06/2019.
- [12] INSEE
- [13] Emmaus Connect, exclusion numérique.
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