En écho à l'émission de ce mercredi 19 janvier (disponible à la réécoute et au podcast), vous trouverez dans ce billet des images et des analyses extraites des travaux de Marc Dumont, invité de *Planète Terre * cette semaine. Comme l'explique cette étude de l'INSEE, la croissance des "couronnes périurbaines" est continue depuis les années 1960 en France, bien qu'elle ait eu lieu à des rythmes différents selon les décennies et selon les régions considérées. Cette évolution soulève de nombreuses interrogations, comme l'illustrent ce court reportage télévisé sur l'espace périurbain d'Ile-de-France (datant de 1999), ainsi que la vidéo militante ci-dessous. Comment la géographie appréhende-t-elle ce phénomène hybride, qui brouille les catégories de "rural" et d''urbain" ?
**"Les nouvelles périphéries urbaines" (Marc Dumont, Emmanuelle Hellier) : des concepts géographiques revisités **
Dans l’
introduction de l’ouvrage
Les nouvelles périphéries urbaines publié sous leur direction en 2010 aux Presses Universitaires de Rennes, Marc Dumont et
Emmanuelle Hellier, affirment que les périphéries urbaines connaissent actuellement des « dynamiques au moins aussi importantes à considérer que celles qui ont traversé, en leur temps, les villes-centres dans les années 1960-1990 » (p. 11). Or ces mutations interrogent selon eux les
catégories traditionnelles de la géographie urbaine : les périphéries urbaines, le périurbain et le suburbain.
*Les périphéries urbaines : la domination comme indicateur *
Pour définir les « périphéries urbaines », les deux auteurs se réfèrent aux travaux d’inspiration marxiste du géographe Alain Reynaud : *« c’est parce qu’il y a exercice de domination que celle-ci contribue à faire émerger n’importe quel type ou fraction d’espace sous la propriété spécifique de périphérie ». * Cette définition a fondé l’approche de ces espaces par les migrations pendulaires, jugée en partie dépassée par les auteurs. Ils préfèrent en effet recourir à un autre indicateur de domination spatiale : le fait que *« ces périphéries n’hébergent pas les lieux de concentration du capital ou, actualisons les termes, de la finance globale » * (p.13).
En outre, selon Marc Dumont et Emmanuelle Hellier, de nombreux espaces périurbains peuvent être considérés comme des périphéries urbaines, au sens où *« ces espaces sont sous condition et sous domination urbaine, mais vis-à-vis d’un système urbain globalisé beaucoup plus que d’une ville particulière » * (p.13).La catégorie de « périphéries urbaines » ainsi conçue est donc plus englobante que celle de « périurbain ».

Périphéries urbaines de la ville de Rome, vue aérienne ©Marc Dumont
Le périurbain * : forme d’urbanité ou espace intermédiaire ? *
Les auteurs dénient en outre à la catégorie de « périurbain » son pouvoir explicatif. Cette notion renvoie à une approche statistique précise de l'urbain développée par l'INSEE reposant sur l'étude des mobilités domicile-travail. Cette approche a été au fondement de nombreux travaux de géographie : ainsi, selon l'appel à communication d'un colloque à venir sur la périurbanisation,* « le terme de « périurbain » est apparu semble-t-il dès les travaux du Ve Plan en 1966. Il entre dans l’édition de 1990 du dictionnaire de Pierre George sous la plume de Henri Nonn il s’agit alors d’un « espace rural situé en périphérie d’une ville et de sa banlieue et qui est l’objet de profondes transformations paysagères, fonctionnelles, démographiques, sociales, culturelles, voire politiques » * (George, Verger 1990). »
Au contraire, selon Marc Dumont et Emmanuelle Hellier, de nombreux espaces périurbains relèveraient en fait de l’urbanité . Ils écrivent ainsi :
« *Dans le sillage de nombreux auteurs, on peut penser que l’espace est l’objet d’une urbanisation généralisée, en France et en Europe, sous l’effet de la métropolisation. Dans ce contexte, les espaces périurbains et les formes d’urbanisation périphériques, pourraient donner à voir des « états de ville » ou « états d’urbain » spécifiques. » * (p.15)
Les deux géographes proposent également une conception alternative du périurbain, celle de l’intermédiarité :
*« Par rapport à un périurbain défini par rapport à l’urbain (dans ses dimensions statistiques et territoriales), l’intermédiarité nous a semblé une notion féconde pour déplacer le regard de modèles historiques – l’urbain et le rural – vers l’idée d’un non-modèle spatial d’une part, et vers l’idée de saisir des états transitoires d’autre part » * (p.16)
---> Ces propositions s'inscrivent dans une controverse scientifique chez les géographes et spécialistes de l'urbain, comme en attestent ces deux articles publiés sur le site des Cafés Géographiques , proposant une autre reconsidération du concept de "périurbain" : "Péri-urbanisation ou désurbanisation" et "Quand le village devient ville...". L'ouvrage L'étalement urbain, un processus incontrôlable paru en 2010 aux Presses Universitaires de Rennes sous la direction de Yamna Djellouli et al. prend également part à ce débat.

"La campagne vous invite" : le périurbain, entre ville et campagne ©Marc Dumont
Le suburbain * : un espace * « occulté » en France au profit de la catégorie dominante de périurbain? (Marc Dumont, Anne Bossé)
Dans leur article "L'au-delà des villes contre l'entre-deux des villes", Marc Dumont et Anne Bossé regrettent la confusion, récurrente en France à leurs yeux notamment dans ce rapport de 1998 du Sénat, entre "périurbain" et "suburbain". Ce flou est selon eux entretenu par la catégorie de "périurbain" qui recouvre des réalités bien différenciées, mais fédère un seul champ de recherche :
"Plus les recherches se succèdent, plus les espaces qui concernent [le périurbain] apparaissent traversés de paradoxes : théâtre de mobilités pendulaires mais aussi lieu des dernières formes d’ancrages marqués, d’héritage d’un ancien monde agricole ** et d’implantations futuristes ou commerciales, de ** conflits aux périphéries des villes et de tranquillité apaisée loin des centres, de relégation résidentielle choisie ** mais aussi subie, de ** paysages dégradés tout autant que de grande qualité naturelle, de retour d’une convivialité villageoise tout comme de l’émergence d’une nouvelle tendance à la fragmentation sociale."
Pourquoi ces contradictions ? Elles ne tiennent pas tant selon les auteurs au fait que "les espaces périurbains présentent précisément cette spécificité d’être insaisissables parce que non bornés , non limités par des critères objectifs aisément applicables" , qu'à l'omniprésence des modèles géographiques dits "radioconcentriques" pour analyser l'évolution urbaine. Les auteurs soutiennent que l'analyse spatiale permet au contraire une identification plus nuancée des différents types d'espaces périurbains.

Paysage suburbain, commune de Marin-Épagnier dans la périphérie de la ville de Neuchâtel (Suisse) ©Marc Dumont, 2006
*Pour une analyse de l'imaginaire périurbain **
L'article
"Actualités des mythologies pavillonnaires" d'Anne Bossé,
Laurent Devisme et Marc Dumont cherche à répondre à la question « le périurbain structure-t-il un
imaginaire et le cas échéant comment le qualifier ? ». * Il se situe dans la lignée des travaux
sémiologiques des années 1960-1970 sur l’imaginaire pavillonnaire (de Roland Barthe et Jean Baudrillard notamment) qu’il cherche à « actualis[er] » . L’enquête repose sur un matériau foisonnant : « la publicité sous tous ses registres (affiches, plaquettes et brochures, vidéo TV et clip en Flash diffusés sur Internet), le cinéma ou encore les séries télévisées par leurs allusions latentes. »

Pavillon expo : le mythe rêvé de la maison individuelle ©Daniel Le Couédic
Cette démarche de déconstruction vise à approcher le rôle joué par l'imaginaire périurbain dans la production économique de cet habitat, trop souvent délaissée aux yeux des auteurs au profit d’études de la mobilité par exemple. Ils revendiquent l’héritage des travaux de Pierre Bourdieu sur le rôle de l’imaginaire individualiste dans le marché immobilier.

La route Rennes/St Malo, urbanisation linéaire et urbanités commerciales ©Marc Dumont
L'étude de leur corpus de publicités et de films liés, plus ou moins directement, au périurbain permet aux auteurs de distinguer trois catégories de documents :
- Le « périurbain vu par ses objets dont le principal, l’habitat », le registre privilégié de la publicité (cf la publicité ci-dessus pour les meubles), depuis l’immobilier au jardinage, en passant par les prêts à la construction, mais également incarné par certains films
- Le « périurbain comme personnage » * quand « un monde spécifiquement périurbain [...] intervient en tant qu’acteur à part entière, plus qu’un simple cadre »* : c’est le cas de certaines publicités pour automobiles, notamment pour le GPS ou de films comme *Dog days * d’Ulrich Seidl ou *American Beauty * de Sam Mendes, ou encore (dans un autre registre) les films français Podium ou *Je vais bien, ne t’en fais pas * ;
- Le* « hors-champ périurbain » qui « recoupe les deux [fonctions] précédentes, les plantes, la connexion haut débit, les aliments du petit déjeuner, mais déroulent par choix, une trame de l’histoire périurbaine. »*

Route de Vannes (Nantes), urbanisation linéaire et urbanités commerciales ©Marc Dumont
Les auteurs concluent leur étude de la manière suivante :
*« * *Ce projet d’actualisation des mythologies pavillonnaires est porté par la volonté de replacer au sein des analyses sur le périurbain celles cherchant à révéler les effets d’un système économique, dont l’actualité (et par là celle des travaux sur lesquels nous avons souhaité revenir) est bien celle de la question de l’illusion de la liberté individuelle et de ses effets, entre autres, sur l’espace . Du passage des mythologies pavillonnaires à celles périurbaines, de celui d’un objet à une quantité d’objets et une diversification des structures d’offres, l’enjeu était de mettre en débat ce qui concourt au renouvellement des racines du mythe et au maintien de ses fictions légitimes. » * (p. 10)
**Etude de cas : une comparaison des développements urbains de Tours et Orléans **
On l'a vu, Marc Dumont estime que les périphéries urbaines relèvent de l'urbanité et permettent par conséquent d'appréhender les dynamiques urbaines dans leur ensemble. Ces périphéries fonctionnent en un sens comme un révélateur des mutations de la ville, notamment des recompositions du rapport au politique . On peut illustrer cette proposition à travers les exemples de Tours et Orléans présentés dans l'article
"Le développement urbain dans les villes intermédaires".
Dans ce texte, le géographe estime que certaines villes moyennes connaissent un processus de métropolisation, non pas au sens où elles se transformeraient en métropoles, mais au sens d’un *« * nouveau modèle de métropolisation socio-environnementale » . (p.144) Ce phénomène se manifesterait à la fois dans les mutations des formes urbaines et des politiques d’aménagement : *« l'extension du cadre de l'action urbaine et de ses opérateurs avec leur entrée dans une logique d'agglomération , la réduction des échelles des aménagements à des opérations de plus petites tailles , plus centrées en particulier sur le traitement des espaces publics (cadre de vie) et la complexification simultanée des instances intervenant dans l'organisation du territoire urbain (dispositifs participatifs en particulier). » * (p.144)
L'exemple de Tours :

Les transformations contemporaines de la ville de Tours (1970-2004) ©Marc Dumont
Le développement de la ville de Tours se caractérise par deux phénomènes en partie contradictoires. La ville a d’abord réalisé des « opérations d'envergure et d'éclat » comme « la construction d'un quartier d'habitat social au sud de la ville, les Rives du Cher, la création d'un site technopolitain en périphérie et la réalisation d'un centre international des Congrès, le Vinci » , ce qui se justifie selon Marc Dumont par « préoccupation d'ouvrir la ville à un contexte de concurrence interurbaine régionale et internationale » . Pourtant, la municipalité tourangelle organise la « fermeture de la ville par rapport à sa périphérie immédiate avec un refus systématique de réaliser des actions coordonnées avec celle-ci ».
L'exemple d'Orléans :

Les transformations urbaines contemporaines de la ville d'Orléans (1960-2004) ©Marc Dumont
La ville d’Orléans, au contraire, « a entrepris très tôt la construction d'une entité métropolitaine avec ses communes périphériques (fin des années 1960 dans le cadre d'une politique d'intercommunalité puis avec le passage en Communauté d'Agglomération). » * Mais « à cette intercommunalité précoce vont correspondre des politiques de développement urbain entreprises jusqu'à la fin des années 1980 assez peu signifiantes ».*
***Pour aller plus loin : * **
Le concept de périurbain fait débat, d'où une abondante littérature sur le sujet. Outre les ouvrages et les liens présentés sur la
page de l'émission du mercredi 19 janvier et ceux qui émaillent ce billet, vous pouvez consulter les références suivantes :
**DOSSIERS **
- le dernier numéro de la revue Articulo - Journal of Urban Research "Revisiting Urbanity and Rurality" qui propose des articles en français et en anglais
- un numéro de 2009 de la même revue intitulé "Splendeurs et misères du périurbain"
- le numéro 205 de la revue Norois "Vivre les espaces périurbains" paru en 2007, dont les articles sont disponibles dans leur intégralité
**ARTICLES **
- sur les périphéries urbaines françaises : quelques études de cas :
"Modes de vie périurbains en France. Le cas d'une aire urbaine de taille moyenne, La Roche-sur-Yon (Vendée)" de François Madoré (2004)
"Mobilités et discontinuités périurbaines : le cas de la métropole lilloise" de Sylvie Letniowska-Swiat (2005)
"Le modèle périurbain à l’épreuve de la catastrophe. Ethnographie d’un village du Narbonnais touché par des inondations catastrophiques." de Julien Langumier (2007)
"Les dynamiques du périurbain dijonnais entre 1990 et 1999" d'André Larceneux (2009)
"Paris-banlieue : je t’aime, moi non plus" d’Alexandra Monot sur le site des Cafés Géographiques
Une recension de l'ouvrage "Les périurbains de Paris. De la ville dense à la métropole éclatée" de Martine Berger, par Vincent Houilon (2005)
Les chapitres 12 ( "Habiter les territoires périurbains") et 13 ( "L’habitat périurbain dans la ville contemporaine Librino") de l’ouvrage Habiter, le propre de l’humain de Thierry Paquot, Michel Lussault, Chris Younès (dir.), Paris, La Découverte, 2007
- sur l'agriculture dans les espaces périurbains :
"Quelle agriculture pour les espaces périurbains ?" de Matthieu Bacchialoni (2001)
"Agriculture et projet urbain durables en périurbain : la nécessité d’un réel changement de paradigme" de Christian Peltier (2010)
"L’agriculture périurbaine : interactions sociales et renouvellement du métier d’agriculteur" de Cécile Bernard et al. (2005)
- pour une approche économique et environnementale de ces espaces :
"Le prix des paysages périurbains" de Jean Cavailhès et al. (2007)
"S’installe-t-on en périphérie aux frais de la communauté ?" de Xavier Baron sur le site des Cafés Géographiques
"Mutabilité du périurbain. Le modèle pavillonnaire face à la crise énergétique" de Dominique Dias et al. (2008)
- sur l'expression " exode urbain" :
Merlin Pierre, L'exode urbain , La Documentation Française, Paris, 2009
La chronique de Julie Clarini "A quand un bouclier rural ?" (11.01.2011)
COLLOQUES
- la présentation d'un colloque qui s'est tenu à Amiens les 30 septembre et 1er octobre 2010 : "Le périurbain : territoires, réseaux et temporalités"
- le programme d’un colloque international prévu les 14 et 15 septembre prochain à Blois sur le thème "Les paysages périurbains, des héritages à une gestion différenciée des territoires"