Ni processus ni paix, vingt-cinq ans après l'assassinat d'Yitzhak Rabin

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Ni processus ni paix, vingt-cinq ans après l'assassinat d'Yitzhak Rabin

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Le 13 septembre 1993, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le leader palestinien Yasser Arafat font un geste historique. C’est l’esquisse inédite d’un processus de paix.
Le 13 septembre 1993, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin et le leader palestinien Yasser Arafat font un geste historique. C’est l’esquisse inédite d’un processus de paix.
© AFP - FILJ. DAVID AKE

Le 4 novembre 1995, le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin était assassiné à Tel Aviv. Vingt-cinq ans plus tard, quelles permanences et quels bouleversements ? Que reste-t-il du "processus de paix" ? Presque rien selon deux intellectuels trentenaires, une Palestinienne et un Israélien.

Une génération s'est écoulée depuis l'assassinat d'Yitzhak Rabin et presque trente ans depuis l'entame du "processus de paix" à la conférence de Madrid en octobre 1991 suivie de négociations secrètes à Oslo et de la signature d'un accord historique le 13 septembre 1993 à la Maison-Blanche. A l'époque, la poignée de main entre Rabin et Arafat avait soulevé des espoirs. Peut-être exagérés mais surtout douchés dans les mois et les années qui ont suivi.

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Deux ans plus tard, le 4 novembre 1995, l'assassinat d'Yitzhak Rabin par Ygal Amir à Tel Aviv a définitivement abattu un processus déjà fragilisé par des attentats du Hamas et du Djihad islamique en Israël (83 morts sur deux ans) et l'assassinat de 29 fidèles musulmans palestiniens à Hébron le 25 février 1994. Le Premier ministre travailliste, auréolé d'une glorieuse carrière militaire et partisan de la manière forte avec les Palestiniens pendant des années, s'était finalement rangé à l'idée de négociations avec eux. Plus pragmatique qu'idéaliste, plus tacticien qu'altruiste, il avait fini par considérer que l'occupation telle que pratiquée depuis 1967 mettrait Israël en péril.

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Un processus biaisé dès le départ

Mais aujourd'hui, les mots même de processus et de paix semblent dévitalisés. Inès Abdel Razek, 32 ans, est directrice de plaidoyer à l'Institut pour la diplomatie publique de Palestine (PIPD) une association indépendante de mobilisation citoyenne à l'international en faveur des droits des Palestiniens basée à Ramallah. Pour elle, le processus s'est éteint car dès le début, il était basé sur des hypothèses erronées : 

La première est qu'Israël était vraiment favorable à une solution à deux Etats. Or, Israël n'a jamais signé un seul document qui reconnaîtrait un État de Palestine ou le droit des Palestiniens à leur Etat souverain. Avec Oslo, ils ont simplement reconnu l'OLP comme représentant des Palestiniens. Yasser Arafat, lui, avait signé la reconnaissance de l'Etat d'Israël. Cette solution à deux Etats a été répétée ensuite à de nombreuses fois de façon rhétorique mais sur le terrain, Israël a continué à fragmenter et à annexer de facto. 

Deuxième hypothèse erronée : que les négociations directes permettraient de rêver à une solution juste. Pour que des négociations directes réussissent, il faut deux parties égales avec une symétrie de pouvoir. Ou en tout cas, pas une asymétrie telle qu'entre les Palestiniens et Israéliens. Dès le départ, les Israéliens contrôlaient les ressources naturelles, les frontières, les territoires et donc finalement, ils n'avaient pas vraiment d'intérêt à donner un Etat aux Palestiniens.

A Ramallah en 2019, un portrait de Yasser Arafat signataire des accords d'Oslo et premier président de l'Autorité Palestinienne
A Ramallah en 2019, un portrait de Yasser Arafat signataire des accords d'Oslo et premier président de l'Autorité Palestinienne
© Radio France - Frédéric Métézeau

Beaucoup de Palestiniens à l'époque faisaient confiance à Yasser Arafat et à son leadership pour faire le pari de la paix. Ils pensaient vraiment que ça pourrait amener à un Etat palestinien souverain, même si c'était aussi beaucoup décrié à l'époque par de nombreuses personnalités comme Edward Saïd, qui voyaient déjà les problèmes de ce processus. Le leadership palestinien n'était pas préparé. Ils sont allés aux négociations avec des équipes beaucoup moins bien préparées. Ils avaient moins d'outils juridiques, légaux ou cartographiques en main. Le leadership palestinien a été trop ambitieux. Cette asymétrie de pouvoir est d'autant plus grande aujourd'hui et il est très clair, pour les Palestiniens, qu'il n'y a pas de processus de paix.

Les acteurs principaux n'ont pas changé

Ironie de l'histoire, deux des principaux acteurs des années 1993-1995 sont encore en place aujourd'hui : Mahmoud Abbas alias Abou Mazen et Benyamin Netanyahou que les Israéliens surnomment Bibi. Le premier était proche de Yasser Arafat et le chef des négociateurs palestiniens des accords d'Oslo. Il est président de l'Autorité Palestinienne depuis 2005. Le second, chef de l'opposition de droite à Yitzhak Rabin, a vilipendé le processus de Paix et assisté aux manifestations où certains appelaient à la mort du Premier ministre. Il a été chef de gouvernement de juin 1996 à juillet 1999 puis sans interruption depuis mars 2009. Ni l'un ni l'autre n'ont pu ou voulu relancer le processus de paix.

En face de la présidence israélienne à Jérusalem, une banderole appelle à la Paix
En face de la présidence israélienne à Jérusalem, une banderole appelle à la Paix
© Radio France - Frédéric Métézeau

A Jérusalem, Rémi Daniel est doctorant à l'université hébraïque et chercheur à l'Institut pour les études de sécurité nationale (INSS, indépendant). Il constate "qu'il n'y a plus aucun mouvement diplomatique important, ni même une volonté affichée d'aucune des deux parties par rapport à ce processus de paix. On s'est arrêté en 2009 avec l'échec du processus d'Annapolis et le retour au pouvoir de Benyamin Netanyahou. Depuis, ce processus est gelé. 

Du point de vue de la société israélienne, l'intérêt pour ce processus a même disparu. Quand on regarde les élections, elles ne se font plus sur les relations entre Israéliens et Palestiniens. Du côté de Mahmoud Abbas, il n'y a vraiment plus aucune envie de négocier car le Fatah fait face à la concurrence du Hamas et il y a une fin de règne à Ramallah. Abbas est très âgé, on commence à parler d'héritiers, donc a priori, il n'a pas envie de prendre le risque politique d'une reprise des négociations. En Israël, beaucoup d'Israéliens vous diront qu'en 2009, Netanyahou par son fameux discours de Bar-Ilan a reconnu la nécessité d'une solution à deux Etats. Mais c'était une période différente avec Barack Obama à Washington. Depuis, Netanyahou a changé avec son idée qu'il n'y a pas de partenaire du côté palestinien. Ou bien encore sa grande théorie de Paix contre Paix, c'est à dire l'idée que les Israéliens ne devraient pas renoncer à des territoires, voire à leurs projets d'annexion, pour faire la paix avec les Palestiniens. Pour l'instant, il n'y a pas du tout de volonté du gouvernement israélien de relancer un processus de négociation ou de paix.

Humiliations quotidiennes et "paix froide" 

Au-delà d'un processus qui semble éteint, l'idée même de Paix ne va plus de soi. Le conflit n'a plus la même intensité ni la même létalité que dans les années 1994-1996 puis 2000-2006 (selon différentes sources, la seconde intifada a coûté la vie, entre civils et combattants, à environ 3 100 Palestiniens et plus de 1 000 Israéliens) mais une "paix froide" prévaut en Israël. L'occupation aspire toujours d'énormes ressources financières et logistiques et mobilise des milliers de soldats dans un pays où le service militaire est obligatoire. En Palestine, les espoirs mesurés des années 1990 se sont dissipés depuis longtemps raconte Inès Abdel Razek.

Pour la plupart des Palestiniens, le mot paix a été complètement dévoyé et ne veut plus dire quoi que ce soit. Quand vous n'avez pas de droits égaux, êtes privés de vos droits fondamentaux pour vous marier, pour monter une affaire, pour vous déplacer en passant par des checkpoints... Quand votre vie est une humiliation quotidienne et qu'en face, le gouvernement israélien n'arrête pas de répéter des mantras comme paix, tolérance, coopération alors qu'il construisent toujours plus de colonies et renforcent leur contrôle sur le quotidien des Palestiniens ; alors tous ces termes là deviennent une rhétorique vraiment vide de sens. Même si, au fond d'eux, les Palestiniens veulent vivre en paix, la manière dont les termes sont utilisés est devenue une totale vacuité sur le terrain.

Au pied d'une colonie juive près de Naplouse (Cisjordanie) des soldats israéliens expulsent un paysan palestinien de son champ d'oliviers
Au pied d'une colonie juive près de Naplouse (Cisjordanie) des soldats israéliens expulsent un paysan palestinien de son champ d'oliviers
© Radio France - Frédéric Métézeau

Si la vie des Palestiniens en Cisjordanie demeure encore très compliquée, celle des Israéliens est devenue moins angoissante avec la fin des grandes vagues d'attentats-suicides. Rémi Daniel observe "une espèce de statu quo qui patine de plus en plus, accepté tel quel par la société israélienne. La droite israélienne arrive, plutôt avec succès, à présenter le processus d'Oslo comme déclencheur d'une période extrêmement douloureuse dans la société israélienne. Aujourd'hui, notamment avec la construction de la barrière de sécurité, on a réussi - d'un point de vue très cynique israélien - à repousser les Palestiniens et à créer une séparation qui est en effet moins douloureuse et moins meurtrière. 

D'un point de vue sécuritaire, la situation est suffisamment correcte. Voilà pourquoi beaucoup d'Israéliens n'ont pas envie de prendre un risque qui pourrait conduire à une troisième Intifada. Ou en tout cas à une reprise des violences comme le dit la droite."

Barrière de sécurité pour les uns et de séparation pour les autres, un mur sépare Israël de la Cisjordanie
Barrière de sécurité pour les uns et de séparation pour les autres, un mur sépare Israël de la Cisjordanie
© Radio France - Frédéric Métézeau

Le processus lancé à Oslo établissant une autorité palestinienne pour administrer Gaza et les grandes villes de Cisjordanie a encore été affaibli par les dissensions palestiniennes. Alors que Yasser Arafat, mort le 11 novembre 2004, parvenait à rallier à son keffieh blanc et noir l'ensemble des factions palestiniennes des deux territoires, la Palestine est aujourd'hui fracturée. En 2007, le Hamas a remporté les élections législatives contre le Fatah de Mahmoud Abbas et pris le pouvoir de force dans la bande de Gaza. Depuis treize ans, il y a donc deux entités palestiniennes : une Cisjordanie morcelée et tronçonnée par les checkpoints, les colonies juives et leurs routes réservées, sous contrôle du Fatah, et Gaza coupée du monde, soumise à un blocus israélo-égyptien, sous administration du Hamas considéré comme terroriste par Israël, les Etats-Unis et l'Union Européenne. 

Cette division palestinienne empêche toute renaissance d'un processus de paix juge Rémi Daniel : "malgré les annonces régulières de réconciliation entre les différentes factions palestiniennes, cette réconciliation n'a pas encore eu lieu. C'est un argument pour beaucoup d'Israéliens disant qu'ils n'ont pas intérêt à négocier maintenant. Un éventuel accord avec Mahmoud d'Abbas risque de n'avoir aucune valeur avec Gaza qui demeure l'une des zones les plus problématiques du conflit." 

Inès Abdel Razek estime pareillement que cette division favorise les velléités d'annexion de la Cisjordanie par Israël : "La séparation de Gaza et de la Cisjordanie fait aussi partie du plan d'annexion. Quand on parle d'annexion, on ne pense qu'à la Cisjordanie. Quelque part, le retrait unilatéral des Israéliens de Gaza en 2005 revient à dire : voilà, on ne veut pas de Gaza pour des raisons démographiques, Israël ne veut pas annexer Gaza. Et le fait que Gaza devienne presque un proto-Etat palestinien est très dangereux car cela fragmente encore plus les Palestiniens. Cela fait partie de cette implosion intérieure."

Les droits individuels, socle d'un nouveau processus de paix ?

Lors de l'assassinat de Rabin, Israël n'avait des relations diplomatiques qu'avec l'Egypte et la Jordanie. Mais entre août et octobre 2020, le pays a établi des relations avec les Emirats Arabes Unis, Bahrein et le Soudan sous les auspices de Washington. Les officiels israéliens affirment que la liste va encore s'allonger, enterrant un peu plus la doctrine de la ligue arabe établie en 2002. A l'époque, elle avait stipulé que plus aucun pays ne reconnaîtrait Israël avant la création d'un Etat palestinien aux conditions souhaitées par les Palestiniens. En 2020, cette doctrine a volé en éclats et marginalisé les Palestiniens qui boycottaient déjà l'administration Trump depuis la reconnaissance de Jérusalem unifiée comme capitale du seul Israël en décembre 2017. 

Pour Inès Abdel Razek, l'Autorité Palestinienne - dernier vestige d'Oslo en comptant aussi la coopération sécuritaire avec Israël - a failli. Aujourd'hui estime-t-elle, il ne faut pas repenser le processus de Paix par le haut et la structure d'administration mais par le bas et les besoins de la population palestinienne : "Ils se sont pensés comme un Etat mais ils ne sont finalement qu'une autorité intérimaire vers la création d'un Etat. Ils ont perpétué cette idée et se sont comportés comme un Etat souverain, mais sans aucun des ses attributs, sans pouvoir contrôler ses frontières, les ressources naturelles, les taxes ou la sécurité. 

Comme un symbole à Abou Dis (Cisjordanie) près de Jérusalem, un passeport palestinien jeté aux ordures
Comme un symbole à Abou Dis (Cisjordanie) près de Jérusalem, un passeport palestinien jeté aux ordures
© Radio France - Frédéric Métézeau

Avant de penser à un processus politique et à une solution administrative, il faut se demander sur quelles bases doivent être construits les processus politiques. Les Palestiniens n'ont jamais eu de droits politiques. Aujourd'hui, la diaspora n'est pas incluse dans le mouvement national. Et si demain, il y a des élections de l'Autorité palestinienne, tous les Palestiniens de l'étranger ne pourront pas participer. Donc, il faut penser aussi à une nouvelle représentation nationale qui donne aux Palestiniens une justice égale et l'égalité des droits. Il faut aussi penser à la décolonisation et à la fin de l'occupation avec des droits égaux pour les Palestiniens et les Israéliens. Demain, les Palestiniens veulent pouvoir aller à la plage à Jaffa ou visiter Haïfa en Israël. Mes grands parents viennent d'un village qui est aujourd'hui en Israël où l'on ne va jamais. On ne va pas retourner y habiter mais c'est notre droit de dire que c'est chez nous. Ces choses là sont très importantes, elles n'ont jamais été résolues et restent des points de conflit. On les a oubliées... Ce doit être basé sur les droits collectifs nationaux et individuels des Palestiniens et des Israéliens : droit international, autodétermination, droits de l'Homme, droits fondamentaux et égalité. Avec ça, on a un socle universel sinon, on tombe dans le chaos. C'est ce que veulent Trump et Netanyahou qui redéfinissent la solution à deux Etats comme un apartheid et la paix comme un échange de bons procédés, d'armes et de technologies.

On est là bien loin des dossiers considérés comme "explosifs" lors des différentes initiatives de paix après 1995 : Jérusalem, les lieux saints, le tracé des frontières, le droit au retour des réfugiés palestiniens.

Du côté de Washington

Pour les législatives de septembre 2019, Netanyahou n'avait pas hésité à faire campagne sur sa relation privilégiée avec Donald Trump
Pour les législatives de septembre 2019, Netanyahou n'avait pas hésité à faire campagne sur sa relation privilégiée avec Donald Trump
© Radio France - Frédéric Métézeau

Comme depuis le début des négociations entre Arabes et Juifs à partir de 1917, la question de l'intermédiaire est posée. Après les Etats européens dans l'entre-deux-guerres, l'ONU en 1947-48 et les Etats-Unis jusqu'à aujourd'hui, la région se cherche toujours un honest broker. Depuis 2016, le Président républicain Donald Trump n'a pas été cet honnête courtier mais plutôt un deal maker unilatéral, sorte de négociateur immobilier diplomatique à sens unique en faveur d'Israël. Les questions en suspens sont telles et les autres chantiers diplomatiques tellement gigantesques (Chine, Iran, multilatéralisme...) qu'une éventuelle victoire du démocrate Joe Biden n'initiera pas un nouveau processus de paix israélo-palestinien comme par magie. Cependant, en cas de changement d'administration à Washington, Rémi Daniel prédit des évolutions : "T_ous les acteurs du Moyen-Orient attendent avec une certaine appréhension les élections américaines. On a l'impression que cela risque de changer beaucoup de choses, en particulier pour Israël. Biden, c'était le vice président d'Obama. Des années pas très bonnes pour les relations entre Israël et les Etats-Unis, notamment sur la question iranienne. Donc, il est sûr que si Biden arrive, le gouvernement israélien, s'il continue à être dirigé par Netanyahou, sera dans une position beaucoup plus délicate_."

Trois dirigeants en sursis

Quel avenir pour Mahmoud Abbas, 85 ans, qui annonce des élections en 2021 et n'a pas encore dit s'il se représentait ? Quel avenir pour Benyamin Netanyahou jugé pour corruption et qui a promis de passer la main en novembre 2021 à Benny Gantz ? Donald Trump sera-t-il réélu ? Début des réponses le 4 novembre 2020, jour où l'on espère connaître le prochain hôte de la Maison-Blanche. Vingt-cinq ans jour pour jour après la mort d'Yitzhak Rabin.