
Le droit du sol à la française vit ses dernières heures à Mayotte, où les enfants nés sur le sol ultramarin auront plus de mal à devenir Français. Mais en réalité, la France a d'abord inventé le droit du sang, avant de se ranger au droit du sol. Justement par souci d'intégrer ses immigrés.
Le Parlement français vient d’entériner mercredi 11 juin une version très restrictive du droit du sol. Ce pas en arrière concerne l’île de Mayotte, où l’exécutif et la majorité présidentielle soulignent depuis plusieurs mois l’urgence à limiter une immigration issue principalement des Comores. A Mayotte, argue notamment Ramlati Ali, députée LRM de l’île, “ 74 % des enfants naissent de mères étrangères”au point que la maternité de Mayotte serait devenue première maternité de France.
La réforme adoptée par les députés avait été introduite dans le débat législatif par le Sénat à l’occasion des premières lectures du projet de loi asile-immigration. Elle vise à restreindre la possibilité pour ces réfugiés d’obtenir pour leurs enfants la nationalité française dès lors qu’ils seraient parvenus à accoucher sur le territoire d’outre-mer.
Jus soli contre jus sanguini
A Mayotte, on exigera désormais d’un enfant qu’au moins un de ses deux parents vive sur l’île en règle depuis plus de trois mois au jour de sa naissance pour qu’il devienne français. Cette loi déroge à la tradition du droit du sol qu’on a coutume de présenter comme un pilier des institutions à la française. Sauf que, sans nier le coup de canif que représente la réforme du droit du sol à Mayotte dans l'arsenal juridique français, c’est une idée reçue : non, la France n’a pas toujours été un fer de lance du droit du sol, ce jus soli par lequel l’Hexagone se distinguerait de bien des voisins européens, à commencer par l’Allemagne, qu’on a parallèlement coutume de montrer comme la patrie du jus sanguini, le droit du sang.
L’histoire de la nationalité à la française est en réalité plus complexe, comme le montre l’enquête très fouillée menée par Patrick Weil durant huit années, qui avait donné lieu en 2002 à la publication de Qu’est ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution (chez Grasset) et plusieurs articles académiques. Cet ouvrage fait date parce qu’il fut le premier à embrasser toute l’histoire du droit du sol en France, en démarrant à la Révolution française, tout en nuançant les évolutions successives du droit français qui a emprunté des chemins plus sinueux qu’on ne l’imagine. Patrick Weil montre ainsi que si la France peut se prévaloir d’être devenue le pays du droit du sol, c’est loin d’être une tradition gravée dans le marbre.
En 1789, un droit du sol prévaut en fait déjà. Sous l’Ancien régime en effet, et ce depuis le XVIe siècle, on considère française toute personne qui serait née en France ou qui y demeurerait. En 1790, les révolutionnaires viendront fixer la nationalité dans la Constitution, sans changer les fondements de ce principe.
Au XIXe, la nationalité française se transmet par le père
Mais c’est seulement avec l’adoption du Code civil, c’est-à-dire à partir de 1803, qu’on voit émerger en France un véritable droit de la nationalité : c’est l’Etat qui décide qui peut acquérir la nationalité française, stipulera le Code civil jusqu’en 1889. Le grand principe qui domine alors veut que la nationalité se transmette par le père, c’est “un droit à la personne” et on est Français par naissance, explique Patrick Weil à rebours des clichés habituels. Pour lui, la France a même inventé le droit du sang à cette époque : "La nationalité est désormais un attribut de la personne, elle se transmet comme le nom de famille, par la filiation. Elle est attribuée une fois pour toutes à la naissance, et ne dépend plus de la résidence sur le territoire de la France."
En 1889, la deuxième grande réforme du droit de la nationalité opérera un volte face : la France reviendra à cette époque à sa tradition de droit du sol héritée de l’Ancien régime. C’est à ce moment qu’on voit apparaître l’idée qu’un enfant né sur le territoire français pourra acquérir de droit la nationalité française à sa majorité, même si ses parents sont étrangers. Pourquoi 1889 ? Parce que c’est l’ère de la IIIe République, et que le régime cherche à se consolider autour de l’idée d’une nation choisie où les origines des uns ou des autres ne déterminent pas l’appartenance, par opposition à une vision plus ethnique de la nation, qui peut alors avoir cours en Allemagne, par exemple.
Immigration et intégration
En 1889, prime ainsi l’idée d’une patrie où identité républicaine et nationalité française ne feraient qu’un. Mais ce n’est pas tout, montre Patrick Weil : en 1889, la France est aussi la destination d’une immigration importante, principalement originaire d’Italie, d’Espagne ou d’Algérie. Et l’Hexagone entend faire des enfants de ces immigrés qui souvent se sont exilés pour trouver du travail, des petits Français… bons pour servir sous le drapeau tricolore. Car l’immigration sert alors les intérêts économiques de la France, mais se révèle aussi pourvoyeuse de troupes pour la conscription. En permettant aux enfants d’immigrés de devenir facilement français par le truchement d’un tout nouveau droit du sol, la France qui se découvre terre d’immigration entend au fond faire d’une pierre deux coups : renflouer les rangs de l’armée…. et se prémunir de l’émergence de poches nationalistes étrangères. Qu’on n’appelle pas, encore, “communautarismes” à l’époque.
Et pour aller plus loin, vous pouvez replonger dans l'entre-deux guerres avec cette émission "Concordance des temps " du 12 novembre 2016 consacrée aux réfugiés et apatrides. Jean-Noël Jeanneney y évoquait le défi qui s'est alors présenté aux grandes démocraties, confrontées comme jamais au devoir d'inventer des solutions aux mouvements de populations sans précédents nés des soubressauts de la Première guerre mondiale :