Nouveau Musée de l'Homme, "à mi chemin entre la Cité des Sciences et le Quai Branly"
Par Hélène CombisVoilà six ans qu'il était en travaux. Le Musée de l'Homme rouvre ses portes à Paris ce 17 octobre. L'institution avait dû faire le deuil d'une grande partie de ses pièces d'exposition, transférées au Musée du Quai Branly en 2003, et au Mucem à Marseille, en 2005.
Pour cette raison, il propose aujourd'hui des collections renouvelées à 90% et servant à étayer un tout nouveau discours scientifique, interdisciplinaire et rythmé par trois questions : "Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ?".
En 2003, sur décision de Jacques Chirac, 300.000 pièces de la collection d'ethnologie extra-européenne du Musée de l'Homme sont transférées au Musée du Quai Branly - qui ouvrira ses portes trois ans plus tard, en 2006. Il a donc fallu entièrement renouveler et repenser les collections que les visiteurs pourront découvrir à partir de ce 17 octobre au nouveau Musée de l'Homme de Paris : 90% des 1800 objets qui y sont exposés ne l'avaient jamais été auparavant ; alors que les salles d'exposition de l'ancien Musée de l'Homme étaient essentiellement dédiées à l'ethnographie (objets de culte, instruments de musique, vêtements, statues, parures...), qui occupait 80% des surfaces d'exposition, le nouveau parcours est surtout riche de pièces d’anthropologie ou de préhistoire (cires anatomiques, bustes de plâtre, crânes d'hommes de Cro-Magnon, ou encore propulseurs en bois de renne).
Un nouveau discours scientifique
Le départ des collections, il y a douze ans, a été un coup dur pour l'institution : "On aurait préféré avoir l’argent qui a été investi pour rénover nous-mêmes les pièces", *regrette* Evelyne Heyer, commissaire général à la rénovation de l'établissement._* Mais le musée y voit aussi l'occasion de redéfinir le parcours et le discours scientifique : la politique d’acquisition des pièces en ethnologie est dorénavant "_recentrée sur les interactions entre l’homme et l’environnement et sur les aspects d’interactions biologie et culture* ".
Cette dernière idée est surtout développée dans la première partie du parcours, qui s'intéresse aux spécificités corporelles du corps humain et au fait que l'homme travaille toujours son corps d'un point de vue culturel, dans n'importe quel endroit du monde. Autres thèmes abordés : celui de la pensée et de la conscience du temps qui passe, de la perception de la nature, des liens sociaux et du langage. En termes de nouveaux objets, attendez-vous à voir par exemple des crânes déformés intentionnellement pour inscrire l'appartenance à un groupe ou un statut social, des cires anatomiques, des momies, ou encore des éléments représentant la cosmogonie dans les différentes sociétés.
_Cette idée du façonnement de l’homme à la fois par la biologie et la culture, c’est plutôt ce qu’on trouve dans la première partie du nouveau parcours. Et le lien entre l’homme et son environnement au sens général, c’est plutôt les objets qu’on trouve dans la troisième partie. Tous ces objets là n’étaient pas au Musée de l’Homme _avant .
Evelyne Heyer
Une cinquantaine de scientifiques a travaillé sur le nouveau parcours qui s’articule en trois temps : "Qui sommes-nous ?", "D’où venons-nous ?" et "Où allons-nous ?". Si, sur les 90 % de pièces nouvellement exposées, la moitié environ provient directement des réserves et faisait donc déjà partie des collections, l’autre moitié est elle composée de nouveaux objets, glanés par des chercheurs depuis 2003. Il s'agit d'illustrer le discours scientifique, et non plus d'ajuster le discours aux pièces muséales, comme c'était le cas auparavant :
Écouter
1 min
Membre du comité d'orientation du musée, le paléontologue Yves Coppens donne son sentiment sur le nouveau musée au micro de Stanislas Vasak
Il s’intéresse à la médecine traditionnelle et à la construction du corps.
Le nouveau Musée de l'homme lui doit notamment une présentation d’amulettes, visibles dans la troisième et dernière partie du parcours, "Où allons-nous ?" : il s'agit de montrer comment on transforme un objet (os, animal, matière minérale) en amulette magique par des ajouts et combinaisons de différentes matières.
L’idée de cette troisième partie de parcours est de "montrer à la fois la contemporanéité, les processus de la mondialisation, et essayer d’envisager les perspectives d’avenir" (il n'avait auparavant jamais été question de l'avenir de l'espèce humaine, au Musée de l'Homme).
Ecoutez l'anthropologue commenter quelques nouveaux objets présentés, dans cette optique, dans une vitrine du parcours, et raconter comment s'est passée sa collecte, dans une décharge à ordures de Dakar :
Écouter
3 min
*Avant on avait la partie Afrique blanche, la partie Afrique noire, la partie Europe. C’était des salles qui se succédaient. Là, le projet d’ensemble du Musée de l’homme, c’est l’homme depuis les origines jusqu’à nos jours, avec beaucoup plus qu’avant des approches pluridisciplinaires où sont réunis à la fois les préhistoriens, les archéologues, les généticiens, les ethnologues, etc.
*Alain Epelboin
Alain Epelboin a aussi enrichi les collections du musée avec un car rapide du Sénégal, que son chauffeur a protégé avec des amulettes comparables à celles qui recouvraient son corps.
Ce véhicule haut en couleur permet d'illustrer l'ancrage du discours scientifique dans une modernité, dans une révision des rapports coloniaux, bien loin du discours du musée d'Ethnographie du Trocadéro (précurseur du Musée de l'Homme créé en 1878 pour l'Exposition universelle de Paris) : il s'agissait alors d'exposer les outils et ornements de "primitifs contemporains".
Écouter
3 min
Et que les aficionados de squelettes et de fossiles se rassurent, ils trouveront encore leur compte dans la deuxième partie du parcours, "D'où venons-nous ?". Cette dernière tend à décrypter pour le public le buisson évolutif de l'homme à l'aide de quatre plateaux sur lesquels sont présentés les restes crâniens et squelettiques des différentes espèces humaines, de - 7 millions d'années (homme Toumaï), jusqu'à aujourd'hui. Il est aussi question de l'évolution culturelle de l'homme : bipédie, apparition des outils il y a 3,3 millions d'années, maîtrise du feu, pensée symbolique avec les premières sépultures, etc. Une "salle des trésors" hébergera, elle, quatre objets précieux du Paléolithique supérieur, dont la célèbre Vénus de Lespugue, statuette en ivoire de mammouth.
- C'est une nouvelle offre parce que c'était présenté différemment. On a comblé énormément de lacunes. Et en particulier, cette contemporanéité des espèces n'était pas présente dans l'ancien musée. Les dernières datations concernant les Homo erectus plaçaient cette espèce beaucoup plus tardivement dans le temps, alors que là on sait qu'ils étaient présents jusque 70 000, 100 000 ans.
*Dominique Grimaud-Hervé, paléoanthropologe au département de Préhistoire
Enfin, une ambition affichée de ce nouveau musée est aussi de privilégier les interactions entre le public et les chercheurs grâce à des espaces dédiés. Dans les années 1930, le directeur de l'époque, Paul Rivet, avait déjà lancé l'idée d'un musée-laboratoire, mais celle-ci s’était fortement estompée.
Au micro, Evelyne Heyer affirme que le Musée de l'Homme ne conserve pas d’amertume aujourd’hui, à l'égard du Musée du Quai Branly, même si elle dénonce un déséquilibre en terme de budget : "Nous, on est un musée de l’Education nationale, alors que pour le Quai Branly, la fée présidentielle s’est penchée sur lui à sa naissance avec le budget qui correspondait. *"
L’offre du Musée de l’Homme et celle du Quai Branly sont très complémentaires. Eux montrent l’aspect artistique et culturel de la production humaine, alors que nous on essaye de montrer que l’être humain est à la fois du biologique et du culturel dans son rapport à l’environnement, dans sa production, sa pensée et son évolution. En fait, on est un peu à mi-chemin entre la Cité des Sciences et le Musée du Quai Branly. _*_Evelyne Heyer
Le 15 octobre, le musée était inauguré par François Hollande. Écoutez-le "insister sur la dimension sociale et universaliste de l'homme " dans le journal d'Antoine Mercier. Un discours analysé ensuite par la journaliste Marie-Pierre Vérot. Il s'agit de mieux "éclairer ce qui fut ", pour "interroger ce qui vient " :