Nouveaux accès au patrimoine : le Pavillon des Indes ressuscité / les politiques de gratuité dans les musées
Par Hélène Combis
Ce week-end se déroule partout en France
la trentième édition des Journées du patrimoine, qui célèbrent cette année un anniversaire : celui des
cent ans de la loi sur la protection des monuments historiques français. A cette occasion, nous vous proposons d'aborder la question du patrimoine et de son accès au public à travers deux articles. D'abord une visite du Pavillon des Indes, bâtiment éphémère de l'exposition universelle de 1878 qui ouvre ses portes ce week-end après restauration. Ensuite un point sur les politiques de gratuité dans les musées, à l'oeuvre depuis une dizaine d'années environ, qui se développent mais montrent parfois aussi leurs limites.
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> dans le cadre des Journées du patrimoine, réécoutez également l'émission Science publique de ce 13 septembre, sur la soufflerie d'Eiffel
Quand l'éphémère devient pérenne : le Pavillon des Indes à Courbevoie
A l'origine, c'était un grand bâtiment de carton-pâte, une simple scénographie hébergée à l'intérieur du Palais du Champ-de-Mars pour l'exposition universelle de 1878. Le Pavillon des Indes britanniques, qui égaye aujourd'hui le parc de Bécon à Courbevoie (Hauts-de-Seine), a été restauré et ouvre ce week-end pour les Journées du patrimoine.
Alors que s'achèvent les derniers préparatifs, visite avec l'un des maîtres d'oeuvre du projet, Stéphane Marets, qui nous explique comment une architecture initialement destinée à l'éphémère peut devenir patrimoine culturel.

Petite histoire du Pavillon des Indes
Exposition universelle de 1878, Paris. Dans le Palais de fer, sorte de longue serre s'étendant sur la totalité du Champ-de-Mars, divers pavillons de tous pays et tous empires coloniaux occupent la "rue des nations ". Parmi eux, le Pavillon des Indes, oeuvre de l'architecte anglais Caspar Purdon Clarke, destinée à présenter l'empire colonial britannique et à exposer les précieux objets d'art indiens du Prince de Galles, futur Edouard VII. La légende voudrait que le bâtiment, construit en à peine un an et demi, vienne directement des Indes, même si rien n'est plus incertain : l’essence principalement utilisée pour sa confection est le mélèze, un bois que l'on trouve absolument partout.

A l'issue de cet événement mondial et à l'instar de toutes les constructions mises en place à cette occasion, le Pavillon des Indes est vendu aux enchères en deux lots. L'un prendra la direction de Saint-Malo, tandis que l'autre ira ornementer le jardin d'un aristocrate de Courbevoie, le prince Stirbey. Qu'il n'a pas quitté depuis...
Emmanuelle Trief-Touchard est attachée de conservation et responsable du musée Roybet Fould, à Courbevoie :
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Stéphane Marets, qui travaille au cabinet 2bdm spécialisé dans la restauration de patrimoine, s'est chargé du projet de réhabilitation du Pavillon des Indes avec Frédéric Didier, architecte en chef des monuments historiques. Il explique que le bâtiment d'origine étant comparable à un jeu de Lego ("ce sont des pièces dont vous faites ce que vous voulez"), le remontage à Courbevoie en 1880 a usé d'une certaine liberté : "On a encore la silhouette générale du pavillon indien, mais par exemple, le-rez-de-chaussée de l’exposition de 1878 est devenu l’étage puisqu’il y avait une grande hauteur sous plafond, or l’étage noble, à Courbevoie, est le premier étage. Et ce qui était l’étage en 1878 est devenu le rez-de-chaussée, qui est un espace plus technique."
Le Pavillon des Indes n'est pas le seul vestige de l'exposition universelle de 1878. Un pavillon russe a par exemple été remonté à Nogent-sur-Marne, tandis que l'on trouve encore à Maisons-Lafitte l'un des cinq pavillons de l'Angleterre.
Quant au Pavillon de la Suède et de la Norvège, légué par son ancienne propriétaire, la peintre Consuelo Fould, l'une des filles adoptives du prince Stirbey, il abrite l'actuel musée Roybet Fould de Courbevoie.
La restauration d'une oeuvre fragile

A l'origine, le Pavillon des Indes britanniques n'est pas étudié pour résister au temps, loin s'en faut : sa durée de vie théorique est d'à peine six mois. Dès 1910, le pavillon de Courbevoie fait piteuse figure.
C'est sur demande de la mairie de Courbevoie qui a consacré 3 millions et demi d'euros au projet (10 000 euros par mètre carré !) que depuis un an et demi, des architectes spécialisés se sont attachés à restaurer le pavillon, reconnu monument historique depuis 1987 :
*"On n'a pas cherché à revenir à l'état de 1878 puisque le bâtiment avait été très modifié. Par exemple, l'un des éléments emblématiques du pavillon ce sont les dômes. Ceux de 1878 sont tous partis à Saint-Malo. A Courbevoie ils ont été fabriqués à neuf et sont de proportions un peu différentes." *
En revanche, les architectes se sont attachés à être fidèles à la manière dont le pavillon avait été remonté à Courbevoie en 1880 : "On a bien sûr installé l'électricité, mais concernant le chauffage, nous avons même réutilisé les grilles mises en place lors de la reconstruction de Courbevoie." ** Stéphane Marets :**
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Visite du pavillon et éloge de l'exotisme
C'est parmi le son aigu des perceuses et les bruits d'escabeaux déplacés que Stéphane Marets nous a gratifiés d'une petite visite du Pavillon des Indes de Courbevoie, ce jeudi 12 septembre. Car en cette veille d'inauguration, l'heure est au peaufinage : on nettoie les vitres à grande eau savonneuse et on appose délicatement les dernières touches de peinture** [diaporama sonore : ]**
A l'intérieur, le rez-de-chaussée, très compartimenté, propose un petit parcours muséal qui retrace l'histoire des pavillons de l'exposition universelle de 1878.
C'est finalement à l'étage, que se trouve l'un des éléments phares de l’édifice, en dehors de sa "carcasse générale " : le décor du salon double** [diaporama sonore] :**
Au fait, pourquoi transformer en patrimoine, une oeuvre originellement vouée à l'éphémère ?
"C’est du carton pâte, du sapin. Vous auriez ces matériaux dans le premier supermarché de bricolage venu. Ce qui en fait toute la valeur, comme un décor de théâtre, c’est la peinture, tout le travail fait sur la matière." , affirme Stéphane Marets. Mais pourquoi donc pérenniser une oeuvre qui n'était pas appelée à durer ?
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Pour Stéphane Marets, la notion de patrimoine est très subjective et évolue en fonction des époques : "Quand le patrimoine est né, au XIXème siècle, on ne considérait comme étant de la belle architecture que les grands édifices religieux de la période romane et gothique ! "
Et plutôt que de s'appesantir sur l'éventuelle question d'une tendance à la sur-patrimonalisation par notre temps (finalement, tout ne serait-il pas patrimoine ?), l'architecte préfère balayer toutes les "grandes pensées sur le patrimoine " : "C'est le bâtiment qui guide la restauration. Par son pittoresque, le Pavillon des Indes, qui est presque le seul patrimoine de Courbevoie, a toute sa place auprès des grands poncifs et des grands exemples de l'architecture. "