Obama-Trump, Sarkozy-Hollande... mode d'emploi de la transition numérique
Par Farah Keram
Entre deux gouvernements, comment s'organise la transition numérique sur les sites internet officiels ? Que deviennent les contenus sur les réseaux sociaux et les sites web du président sortant ? Explications.
Vendredi 20 janvier, Donald Trump, le 45e président des Etats-Unis a hérité du patrimoine numérique de la Maison Blanche : des réseaux sociaux au site internet, en passant par les nombreux outils numériques existants. Cette transition numérique entre le président sortant, Barack Obama, et le président élu ne s'est pas faite sans bruit. De nombreux médias et internautes ont souligné la disparition de plusieurs onglets du site internet de la Maison Blanche relatifs aux droits LGBT et au changement climatique. Cette suppression de contenus est-elle une démarche fréquente lorsqu'un président élu accède au pouvoir ? Nous avons demandé à Nicolas Vanbremeersch, président et fondateur de Spintank, agence de communication qui a réalisé le site internet de la Présidence de la République en 2012, de nous expliquer les règles et les usages qui régissent la transition numérique d'un gouvernement à un autre, d'une présidence à une autre.
En France, à quelle échelle s'opère la transition numérique sur les sites internet officiels des institutions politiques ? Cette transition ne concerne-t-elle que l'Elysée ou bien s'applique-t-elle également à Matignon, aux ministères ?
Nicolas Vanbremeersch : En France, tout est lié à un cadre institutionnel. Le gouvernement français est entouré d'administrations qui dirigent les choses de manière opérationnelle et qui répondent elles-mêmes à des ministres. Par exemple, le site du ministère de l’Éducation, education.gouv.fr, est tenu et organisé par une administration. Bien que les ministres changent, les sites web continuent de tourner, tout comme les prestataires qui disposent de contrats. Le seul cadre un peu particulier en France est celui de la Présidence de la République, parce que le président n'est pas une institution soutenue par une administration avec des services qui sont censés être permanents. Le président est lui-même une institution. Normalement, quand le président élu arrive au pouvoir, il change tout en terme d'organisation, dont le numérique. La réalité est quelque peu différente : certains services restent. Mais il n'y a pas de services qui courent de manière durable ; on est dans un système un peu hors-sol du point de vue des marchés publics et de l'organisation de la commande de l’État, qui peu à peu se normalise depuis Nicolas Sarkozy et avec François Hollande.
"Concrètement, le site du gouvernement ne change pas dès que le nouveau gouvernement est élu, il y a un projet d'évolution des choses qui s'organise. Mais cela prend du temps. Par contre, avec le site du Président de la République, il y a quelque chose de plus instantané, puisqu'il s'agit du site du président plus que de celui de la présidence." Nicolas Vanbremeersch

Les modifications faites par Donald Trump et son équipe ont instantanément été pointées du doigts. Accorde-t-on autant de vigilance au site internet français de la Présidence ?
NV : Les sites internet de l’Élysée ont toujours fait scandale dans leurs évolutions au fur à mesure des années, sauf sous la présidence de François Hollande. Jacques Chirac est le premier président à avoir ouvert un site internet qui avait été pastiché dans la nuit, sous elysee.org, nom de domaine qui n'avait pas été déposé à l'époque. Quand Nicolas Sarkozy a été élu en 2007, il a immédiatement changé le site internet, ce qui avait fait scandale à l'époque. Le premier site de Nicolas Sarkozy a été confié à la personne incompétente qui avait été en charge de son site de campagne. « Nicolas Sarkozy » était marqué en énorme au lieu de « Président de la République » et le symbole de la République n'apparaissait nulle part. Puis, en 2010, Nicolas Sarkozy a fait un copier-coller intégral du site de la Maison Blanche d'Obama. En d'autres termes, le site de l’Élysée a toujours été source de blagues.
Les équipes de communication du gouvernement chargées de créer l'identité numérique d'un site internet officiel font systématiquement appel à un prestataire privé tel qu'une agence de communication ?
NV : Quand François Hollande a pris ses fonctions en 2012, il a continué de payer une agence prestataire, qui avait été choisie par Nicolas Sarkozy, pour tenir le site web pendant quelque temps. Puis, il a nommé une équipe qui a mis le site en veilleuse et qui l'a peu à peu remplacé en travaillant sur une nouvelle version. Ils ont fait un appel d'offre auquel nous [l'agence de communication Spintank], avons participé. Nous avons travaillé à la conception du site qui est sorti en décembre 2012. La question des appels d'offres auxquels répondent des agences de communication n'était pas d'actualité sous Nicolas Sarkozy mais cela a été le cas avec François Hollande. L’Élysée est un cas un peu particulier, mais tout le reste du gouvernement est soumis au marché public et donc les règles font que l'on ne peut pas faire appel à des prestataires facilement.

Existe-t-il un archivage des sites internet des différents gouvernements ainsi que de leurs comptes officiels sur les réseaux sociaux ? Si oui, qui en est en charge ?
NV : Oui, ce système d'archivage existe, tout comme aux États-Unis où il est organisé par la National Archives. C'est la Bibliothèque Nationale de France qui s'occupe en continu de l'archivage des sites web des anciens présidents français. En 2012, l'ensemble des fichiers du site web de la présidence Sarkozy a été versé à la BnF.
Concernant les réseaux sociaux : "Les comptes officiels des institutions publiques (Élysée, gouvernement, ministères) sur Twitter, Facebook et autres plateformes font l'objet de captures régulières. Les archives les plus anciennes remontent à mars 2010 pour le compte 'Élysée' et janvier 2015 pour 'Gouvernementfr'. Bien que faisant l'objet d'un suivi particulier et régulier, ces captures ne sont pas exhaustives pour des raisons techniques (capacité de collectes et limites de récupération imposés par les plateformes) et documentaires (planification des collectes). Un principe de représentativité générale a été adopté pour l'ensemble des collections. Les comptes sont ainsi particulièrement collectés en période électorale et dans le cadre de collectes spécifiques." Sara Aubry, coordinatrice des travaux informatiques sur l'archivage du web à la BnF.
Une fois un président élu, l'ensemble du patrimoine numérique lui appartient-il ? Est-ce que le choix de supprimer des pages d'un site officiel ne revient qu'à lui ?
NV : Sur des sites web qui relèvent plus de l'explication de l'action du gouvernement, il revient à la liberté de chaque président de mettre en valeur tel ou tel aspect de sa communication. C'est évidemment du même ordre à la Maison Blanche. Le président américain est plus contraint sur la transparence de son action que le président français, il est libre de faire de la communication sur ce qu'il veut. Le fait que Donald Trump enlève des pages sur le réchauffement climatique du site de la Maison Blanche est tout à fait en ligne avec le personnage et ça ne lui est pas interdit.
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