"On l'a sauvée structurellement et on va lancer le cœur des travaux" : Notre-Dame, trois ans après l'incendie
Par Éric Chaverou, Diane Berger, Benoît GrossinL'architecte en chef des monuments historiques chargé du chantier de restauration détaille l'avancée des travaux. Découvrez aussi notre reportage sur les pierres choisies actuellement pour redonner vie à la cathédrale, quand l'enquête sur les causes de l'incendie met en avant deux pistes.
Où en est le chantier de restauration de Notre-Dame de Paris trois ans après son gigantesque incendie ? Et alors qu'Emmanuel Macron avait promis que les travaux seraient achevés au bout de cinq ans. L'architecte en chef des monuments historiques chargé du chantier de restauration, Philippe Villeneuve, a répondu aux questions de Diane Berger dans notre journal de 22h de ce jeudi. En complément de ses précisions, découvrez un reportage sur la sélection des nouvelles pierres de calcaire qui vont redonner vie à la cathédrale et les derniers éléments concernant l'enquête sur l'origine de l'incendie.
"Nous allons lancer ce qui est véritablement le cœur du projet"
Qu'est-ce qui a pu être réalisé en trois ans ?
On a déjà sécurisé la cathédrale, c'est-à-dire qu'on l'a sauvée structurellement. Elle ne peut absolument plus s'effondrer, les voûtes sont parfaitement maintenues, les arcs-boutants aussi. Les voûtes sont protégées par un grand parapluie. Tout l'intérieur de la cathédrale est rempli d'échafaudages. Et en réalité, la phase de sécurisation comportait déjà des éléments qui nous servent pour la restauration. Nous avons conçu tous ces dispositifs là pour servir non seulement à sauver le monument mais aussi pour le restaurer.
Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historiques chargé du chantier de restauration
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Maintenant, on va lancer ce qui est véritablement le cœur du projet : on va lancer la reconstruction de la flèche, de la croisée, de la charpente, de la couverture, de la voûte et du transept. Donc la première phase de travaux sera l'élément du transept avec évidemment son point culminant : la flèche. Dans un second temps, très rapidement, dans la foulée, on va également lancer les travaux de reconstruction des charpentes et couvertures ainsi que des voûtes, de la nef et du coeur. On va donc restaurer les vitraux, les maçonneries, pouvoir les reposer, de sorte que lorsque la cathédrale sera fermée, on pourra remonter le grand orgue et l'harmoniser pour qu'il soit prêt pour 2024 et la réouverture de la cathédrale.
À quoi va ressembler la cathédrale pendant cette phase d'accélération des travaux ?
Ceux qui voient régulièrement la cathédrale de l'extérieur ont dû s'apercevoir qu'elle disparaissait progressivement sous une peau d'échafaudages. Elle a pratiquement disparu sous cette carcasse de tubes d'échafaudages et à l'extérieur, nous sommes en train de terminer le montage des échafaudages autour du chevet, il va y avoir la même chose au niveau de la nef, tout cela pour nous permettre d'avoir des accès aux parties supérieures pour reconstruire la charpente mais également pour refaire les balustrades, pour retraiter les corniches et ensuite aussi pour travailler sur les baies dont les vitraux ont été déposés juste après l'incendie et qui vont pouvoir être remis en place alors qu'ils sont en cours de restauration, dans des maçonneries qui seront solides et restaurées.
Dans un second temps, au-delà de 2024, il est prévu d'enchaîner la restauration des extérieurs et en particulier du chevet de la cathédrale avec ses arcs-boutants.
Le chantier, hier, aujourd'hui et dans les mois à venir décrit par Fiona Moghaddam
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Hors les murs, trois ateliers sont mobilisés pour la restauration du grand orgue, 45 scieries pour le bois, 22 tableaux sont en cours de restauration... Au total, combien de personnes participent à cette grande fourmilière ?
Dans ce vaste chantier, il va y avoir en période de pointe environ 300 personnes. Elles ne vont pas forcément travailler toutes ensemble. Prenons l'exemple des maîtres verriers. Ils travaillent aujourd'hui dans leurs ateliers, tout comme les prochains qui vont être désignés. Donc ils ne seront pas sur la cathédrale. Et les maçons ainsi que les serruriers vont préparer les vitraux pour qu'ensuite ils puissent venir reposer leurs vitraux. Il y aura une sorte de roulement : le serrurier ne sera pas là tout le temps, ni le maître maçon ou le maître verrier. Tous ces gens-là vont finalement se suivre, se coordonner. Cela va être un gros travail de coordination de tous ces corps de métier. Le chantier va être assez difficile de ce point de vue. C'est un édifice de 130 mètres de long, 35 voire 45 m de haut avec la charpente, donc vous imaginez les déplacements, c'est long pour aller d'un point à l'autre. Mais c'est aussi cela qui est intéressant. On aura une telle activité, une telle passion, que mon rêve, en réalité, serait de retrouver le même élan, le même esprit de fraternité qui a vraiment présidé à toute la sécurisation. J'ai eu le bonheur d'être un architecte entouré de compagnons extraordinaires et mon vœu est que les nouveaux venus acquièrent cet état d'esprit pour que ce soit une très belle aventure.
Ces pierres de l'Oise choisies pour redonner vie à la cathédrale
Environ 1 000 m³ de pierres seront nécessaires pour restaurer Notre-Dame de Paris. Avec en tout 13 types de pierres issus de six carrières. C’est dans le Bassin parisien, comme au Moyen Âge et au XIXe siècle pour l’édification de la cathédrale, que le matériau - en grand volume - a été finement recherché, en vue d’obtenir les calcaires les plus remarquables et compatibles avec le monument. Et la moitié de ces pierres viendra de la carrière de 5 hectares de la Croix-Huyart, à Bonneuil-en-Valois, dans l’Oise (à 70 km au nord-est de Paris), pour notamment permettre la reconstruction des voûtes et des murs bahuts (murs porteurs). Une vaste opération d’extraction de roches a débuté le mois dernier sur place et une visite de presse y était organisée ce mercredi.
L'extraction des nouvelles pierres dans la carrière de la Croix-Huyart. Reportage de Benoît Grossin
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Pour le général Jean-Louis Georgelin, à la tête de l'établissement public chargé de la restauration, "Là, on sent vraiment que la reconstruction est enclenchée. Vous avez les pierres que l'on va retrouver dans la voûte du transept. C'est inouï ! Cela veut dire que l'on est dans les temps et cela veut dire que j'y veille, surtout !". Et d'assurer que Notre-Dame rouvrira bien au public avant fin 2024.
J-L Georgelin : "C'est assez impressionnant de voir tout ce qui a été fait malgré des difficultés"
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Et où en est l’enquête ?
La piste accidentelle est privilégiée depuis le début des investigations. Mais les causes restent mystérieuses.
La zone exacte du départ de feu est maintenant déterminée, au niveau d’une poutre horizontale dans la charpente. De source judiciaire, il s’agit de “la sablière du mur gouttereau du chœur”, précisément “à l’angle sud-est de la croisée du transept”.
Deux pistes sont aujourd’hui mises en avant : celle d’un mégot de cigarette mal éteint - toujours à l’étude - et celle d’une imprudence de chantier par l’utilisation d’un outil générateur d’étincelles. Les expertises se poursuivent. Mais l’hypothèse d’un court-circuit, sans être privilégiée, n’est pas totalement écartée non plus. Sachant que des cloches de la flèche étaient électrifiées, malgré l’interdiction de ce type d’installation à cet endroit, si l’on en croit le Canard Enchaîné. La révélation a été faite le mois dernier par l''hebdomadaire avec une pièce à conviction en possession des enquêteurs, un des marteaux pour les carillons retrouvé bloqué en "position de frappe qui pourrait constituer la preuve d’un court-circuit, pendant une sonnerie.
Des failles qui auraient pu favoriser la propagation des flammes ont aussi été très vite identifiées, dans le dispositif d’alarme et sur le système électrique d’un des ascenseurs. La Cour des Comptes, en septembre 2020, avait pointé une gestion insuffisante des risques avant la catastrophe. Depuis cette date, depuis la pandémie, le “plan cathédrales” de 80 millions d’euros, inscrit dans le plan de relance, vise justement à améliorer leur sécurité : 86 cathédrales en plus de Notre-Dame, dont l’État est propriétaire, sont concernées.