Pandora Papers : les affaires offshore de Dominique Strauss-Kahn
Par Abdelhak El Idrissi, ICIJ, Cellule investigation de Radio FranceAprès avoir bénéficié pendant cinq ans d’une exonération d’impôts sur les sociétés au Maroc, Dominique Strauss-Kahn a fait créer en 2018 une société offshore aux Émirats arabes unis, dans une zone où les entreprises ne paient aucun impôt.
“On pourrait concevoir qu’il y ait des places offshore qui ne soient pas des paradis fiscaux.” Devant les sénateurs chargés d’enquêter sur le rôle des banques dans l’évasion fiscale en juin 2013, Dominique Strauss-Kahn n’a pas développé davantage la distinction qu’il faisait entre les deux concepts. Et pour cause. Un mois seulement avant son audition devant les sénateurs, il a lui-même domicilié sa société personnelle, Parnasse international, dans la place offshore de la zone franche de Casablanca, au Maroc (CFC). Parnasse International a ainsi bénéficié d’une exonération d’impôts sur les sociétés pendant cinq ans. Un régime tellement favorable qu’il a valu au Maroc d’être placé sur la liste grise des paradis fiscaux de l’Union européenne en 2017.
DSK connaît bien cette zone, CFC. Lors d’une audition devant les enquêteurs en charge de l’affaire LSK, l’ancienne société financière qu’il présidait au Luxembourg et qui a fait faillite, il a indiqué qu’il avait eu “l'occasion de travailler pour le gouvernement marocain au développement de CasaFinanceCity, le projet d'une zone franche financière à Casablanca.”
Mais Casablanca n’est pas la seule zone offshore que Dominique Strauss-Kahn a choisie pour héberger ses sociétés. Dans les Pandora Papers, une fuite de données obtenue et partagée par le Consortium International des Journalistes d’Investigation (ICIJ) avec ses partenaires, dont la Cellule Investigation de Radio France, on apprend qu’en 2018, il a créé une société baptisée “Parnasse Global Limited” à Ras al-Khaimah, aux Émirats arabes unis. Ce territoire bénéficie d’un statut très particulier au sein des Émirats. Il a progressivement concurrencé des paradis fiscaux tels que les Îles Vierges britanniques ou les Seychelles. Il est par ailleurs au cœur de l’affaire Dubaï Papers, qu’avec nos confrères de l’Obs, la cellule investigation de Radio France avait révélée. Une affaire de fraude fiscale internationale.
De nouveaux clients
Les Pandora Papers permettent de comprendre ce qu’a été l’activité de DSK une fois qu’il s’est installé au Maroc après l’affaire du Sofitel de New-York. Les documents qui ont fuité contiennent en effet les Grands Livres de Comptes de sa société marocaine Parnasse International durant son activité en 2016 et 2017. Les noms de certains de ses clients, bénéficiant de ses prestations de conseil ou des conférences avaient déjà été révélés. Mais les Pandora Papers dévoilent l'identité de nouveaux clients ainsi que les montants des prestations. Par exemple, sur l’ensemble des années 2016 et 2017, le géant pétrolier russe Rosneft a été le principal client de Parnasse International. 1 750 000 euros de prestations facturées apparaissent dans les livres de comptes auquel nous avons eu accès.
Puis vient une entreprise du secteur pétrolier, Orion oil, dirigée par un homme d’affaires congolais, Lucien Ebata. Orion Oil a versé plus d’1,4 million d’euros à Parnasse International. Apparaissent également quatre factures référencées “Présidence” pour un montant total de 3,5 millions d’euros.

En 2017, un nouveau client, le conglomérat chinois HNA est listé parmi les clients. Parnasse International lui facture 400 000 euros de prestations. Selon nos calculs, sur l’ensemble des deux années 2016 et 2017, DSK a ainsi perçu sept millions d’euros en salaires et dividendes cumulés, le tout net d’impôts. Cette somme s’explique par le montant de facturation des factures, mais aussi par l’absence de taxes payées sur les bénéfices.
Mais tout a une fin. L’exonération accordée à la société de DSK par le régime fiscal avantageux de CFC au Maroc se termine au printemps 2018, cinq ans après son installation. Hasard du calendrier ? Quelques semaines seulement avant l’expiration de cette ristourne fiscale, Dominique Strauss-Kahn décide de créer une nouvelle société offshore, Parnasse Global Limited, qu’il domicilie cette fois-ci à Ras al-Khaimah. Il retrouve là-bas une fiscalité très avantageuse, puisqu’on n’y taxe pas les sociétés offshore sur leurs bénéfices, et on offre une grande souplesse sur la tenue d’une comptabilité.
L’arrivée de DSK aux Émirats a été facilitée par le cabinet d’avocats Bonnard Lawson.

Selon un document interne que les partenaires de l’ICIJ ont pu consulter, DSK a mandaté le cabinet en janvier 2018. Le mois suivant, la branche de Dubaï de Bonnard Lawson enclenche le processus de création de la société offshore. Son activité concernera, selon les mots du cabinet : “des services de conseils dans la région du Golfe”. Pour créer la société, Bonnard Lawson s’adresse à SFM Corporate Services, une société historiquement basée en Suisse qui opère désormais depuis Dubaï. SFM va se charger d’inscrire la nouvelle entité auprès du registre des sociétés. Mais avant cela, il faut étudier la situation du client.
Dans un courrier confidentiel envoyé par Bonnard Lawson à SFM, le cabinet d’avocats retrace la carrière de DSK, et déclare avoir vérifié toute une série de documents, dont l’origine de ses fonds. Les avocats estiment ses revenus annuels nets à 3,5 millions d’euros par an, et "la valeur nette totale du client”, à 15 millions d’euros. Parnasse Global Limited dispose par ailleurs d’un compte bancaire dans les Émirats.

Il manque toutefois une étape à la finalisation du processus. La présence de Dominique Strauss-Kahn et la fourniture par celui-ci de très nombreux justificatifs : état civil, extrait de casier judiciaire, acte de vente de terrain marocain, déclaration d’impôts. DSK apporte en personne tous ces documents le 28 mars 2018. Le lendemain de son arrivée, ils sont enregistrés et certifiés par une avocate de Bonnard Lawson à Dubaï. Parnasse Global Limited voit alors officiellement le jour le 3 avril 2018.
Impossible d’aller plus loin. Les données contenues dans les Pandora Papers ne donnent aucune indication sur l’activité de cette nouvelle société, ni sur ses clients, ni les revenus qu’elle génère. Selon le site du registre des sociétés, Parnasse Global Limited serait “inactive” depuis le 2 avril 2021, soit trois ans après sa création. DSK n’a pas répondu à nos demandes de précisions. En revanche, un de ses proches nous a affirmé que la société des Émirats avait été créée “à la demande d’un client pour y développer un business” et que le projet avait été interrompu à cause de la pandémie.