Où va l’humanité ? C’est la question que je me suis posé hier et, pour y répondre, j’ai préféré m’en remettre à la fiction qui, en matière prospective, est souvent plus efficace que toute autre forme de pensée. M’est venue l’idée de voir Elysium , le deuxième film du réalisateur sud-africain Neil Blomkemp, dont le premier – une fable d’anticipation où il imaginait un Apartheid séparant les hommes et les Aliens – n’était pas inintéressant. Je pensais qu’Elysium, blockbuster avec Matt Damon et Jodie Foster, pourrait apporter une réponse à ma question. Problème : le film n’est plus projeté en salle, il n’est pas encore sorti en DVD, je ne le trouve pas sur les plateformes de téléchargement légal une solution : le téléchargement pas très légal. Je n’en suis pas fier. J’ajoute ça aux nombreuses infractions à la loi que j’ai commises depuis hier : j’ai franchi une ligne blanche en scooter, me suis garé n’importe comment etc.
Nouveau problème : la sortie du film étant récente,, je n’ai pu télécharger qu’une captation sur écran (une personne filme dans une salle de cinéma), ce qui est toujours risqué du point de vue de la qualité
Je m’installe face à mon ordinateur, je mets un casque pour être tranquille. Bonne surprise, la qualité de l’image est plutôt pas mauvaise, même si ça bave un peu quand les mouvements sont trop brusques. Comme souvent, le problème, c’est surtout le son, le micro de la caméra enregistrant le son en sortie d’enceinte, on a l’impression que les personnages parlaient dans une église, et de temps en temps, un petit bruit de micro résonne presque discrètement.
Eysium, est, - et je l’écris avec les précautions d’emploi car je ne suis pas cinéphile -, une grosse daube, sorte de fable post-marxiste très bas de gamme où l’humanité est divisée en deux : sur terre un sous-prolétariat galère dans la misère, encadré par des robots sans coeur. Sur une station orbitale, les riches vivent dans l’opulence. L’enjeu, c’est la santé. Sur terre, on meurt souvent. Là-haut, on est regénéré en trois secondes par des sortes de scanner furturistes. Tout ça fait beaucoup de bruit, de bagarres, de musiques grandiloquentes etc. Sauf que le bruit finit par cesser. C’est le moment de la grande scène pathétique, scène qui mêle un amour renaissant à l’insupportable d’une enfant qui se meurt dans les bras de sa mère. Je suis face à mon écran, concentré, dans le silence, quand tout à coup, un ronflement monte. Un ronflement de plus en plus fort qui vient s’intercaler entre le film et le moi. Et je comprends que c’est le ronflement de la personne qui a filmé le film. C’est le ronflement de la personne qui est allée dans une salle avec sa caméra pour enregistrer le film et le balancer ensuite dans les réseaux. Quelle beauté que ce ronflement ! Un ronflement venant d’Asie (pas parce que je pense que tout ce qui est piraté vient d’Asie, mais parce que le film était sous-titré en chinois). Je me suis pris à imaginer un homme (c’était un ronflement d’homme), avachi dans une salle de cinéma d’une gigantesque métropole chinoise. J’ai frissonné de la climatisation trop forte, j’ai vu le visage de ses voisins… Au point d’en oublier complètement Matt Damon qui peinait à essayer de nous faire croire qu’un cœur battait sous son exosquelette ridicule. Et voilà me suis-je dit, je ne sais pas où va l’humanité, mais je sais où elle se loge parfois dans notre époque de câble et de réseaux : pas dans le film qui veut nous submerger de pathos, mais elle surgit là où on ne l’attend pas, elle se faufile dans les microprocesseurs, elle se glisse entre les 0 et les 1, dans les interstices minuscules que lui laissent les bits. Il suffit d’un ronflement et, par delà les océans, je pose ma tête sur l’épaule d’un chinois qui dort.
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