
Le philosophe Paul Virilio, mort le 10 septembre, a tout d'abord été reconnu comme urbaniste et architecte, notamment pour ses travaux sur la "fonction oblique" avec Claude Parent.
C’est vers le Paul Virilio philosophe, et ses essais sur la vitesse et l’accélération des cadences de nos existences à la faveur de la technologie, que nous guide une plongée vers les archives récentes de l’intellectuel dont on vient d’apprendre ce mardi la disparition, le 10 septembre 2018, après une crise cardiaque. Avant sa pensée sur la dislocation de nos trajectoires à coups de fin de l’emploi à vie ou de fragmentation des parcours amoureux, Paul Virilio a cependant d’abord été connu comme urbaniste. Et très reconnu.
Fils d’un émigré italien et d’une catholique bretonne, il a onze ans lorsqu’il assiste au bombardement de la ville de Nantes, en septembre 1943, et dix de plus lorsque, arrivé à Paris, il fréquente l’Ecole des métiers d’art pour devenir maître verrier. D’emblée, Virilio ne choisira pas entre activité manuelle et quête intellectuelle, l’apprenti artisan fréquentant à la Sorbonne les cours de Vladimir Jankélévitch et de Raymond Aron, et dans la vie encore, l’intelligentsia artistique de l’après-guerre, de Georges Braque à Henri Matisse.
Tête chercheuse hétérodoxe
A partir des années 60, et toujours en binôme avec l’architecte Claude Parent ( décédé, lui, en 2016), Paul Virilio moissonnera depuis l’Ecole spéciale d’architecture. Tous deux dirigeront, successivement, cet établissement situé boulevard Raspail, à l’arrière du cimetière Montparnasse, à Paris. Une forme de consécration plus institutionnelle pour Parent et Virilio qui se firent pourtant d’abord connaître plutôt comme têtes chercheuses, figures d’une architecture exploratoire et hétérodoxe.
En 1963, à 41 ans, Virilio fondait ainsi avec Parent, de neuf ans son aîné, le groupe Architecture principe. Ce groupe, qui ramifiera jusque tard dans le XXe siècle, et par exemple l’architecture d’un Jean Nouvel, donnera naissance à une revue du même nom, Architecture principe, qui paraîtra tout au long de l’année 1966, à raison de neuf numéros, aujourd’hui collectors.
Ces neufs publications ont un point commun théorique : la fonction oblique. C’est à Parent et Virilio que l’on doit ce concept qui fera date dans l’histoire de l’architecture. Une empreinte dont le site du Fonds régional d’art contemporain de la région Centre Val-de-Loire écrit qu’elle demeurera emblématique “par la charge expérimentale de ses propositions comme par le souffle subversif qui l’anime, contre l’architecture du temps et toutes les formes de conformisme intellectuel”. Pourquoi la région Centre Val-de-Loire ? Parce que c’est là, notamment, que Parent et Virilio mettront en application leur concept d’oblicité pour repenser la ville et l’espace.
La fonction oblique se pense comme une solution à la crise profonde des villes, avec un nouveau rapport de l’homme à son environnement et notamment l’idée qu’un basculement du sol à l’oblique apporterait davantage de fluidité. Laquelle féconderait, à son tour, des rapports humains plus riches, tout en réinstallant aussi l’individu à sa place de sujet. La chose vous semble un peu abstraite? Pas tant que ça, en réalité : avez-vous déjà essayé de marcher sur une rampe de skateboard ? Il en coûte un petit effort sur soi pour tenir debout et parvenir à destination. C’est, pour Parent et Virilio, de cet effort précis que naîtrait un déplacement repensé et des circulations redynamisées - “habitables”, dira par exemple Claude Parent. Il s’agit en substance pour les deux intellectuels de penser un nouvel espace vécu, où l’homme retrouve ses droits.
De Neuilly à la saga des Maisons de la culture
La fonction oblique s’incarne dans une série de bâtiments sortis de terre dans les Trente glorieuses, de la maison personnelle de Claude Parent à Neuilly, dans les Hauts-de-Seine, à l’église Sainte-Bernadette-du Banlay à Nevers, dans la Nièvre.
Mais une autre série de réalisations signées du binôme retient encore l’attention, qui croise aussi l’histoire des politiques culturelles en France : une suite de Maisons de la culture qui verront le jour dans un moment de commande publique volontariste sous la houlette d’André Malraux. Dans la foulée de la création en 1961 par Malraux, ministre de la Culture, de ces Maisons de la culture, le groupe Architecture oblique imaginera coup sur coup celle du Havre (en 1969), celle de Nevers (livrée en 1971), celle d’Amiens (en 1973), avant Douai et Châlons-sur-Saône, la même année.