Peine de mort aux États-Unis : la "tactique de la terre brûlée" de Trump avant l'arrivée de Biden
Par Nadine Epstain
Les autorités fédérales américaines ont procédé ce samedi à leur 13e et dernière exécution en six mois. Une série inédite qui, là encore, distinguera Donald Trump de ses prédécesseurs, après déjà mercredi la première exécution fédérale d'une femme depuis 1953. Joe Biden est très attendu à ce sujet.
Fervent défenseur de la peine de mort, Donald Trump restera aussi dans l'Histoire des États-Unis pour la série d'exécutions capitales marquant la fin de son mandat. Ce samedi, Dustin Higgs, un homme noir de 48 ans, a reçu une injection létale dans le pénitencier fédéral de Terre-Haute, dans l'Indiana. Celui qui a toujours proclamé son innocence restera le 13e et dernier condamné à mort fédéral à être exécuté en six mois. Le ministère de la Justice américain ayant repris ces exécutions fédérales en juillet 2019. Higgs avait été reconnu coupable d'enlèvement et du meurtre de trois femmes en 1996. Sa mort a suivi l'exécution d'une femme qui, cette semaine également, a fait date.
D'après Richard Dunham, le directeur du Centre d'information sur la peine de mort, "Le maximum de civils exécutés par les autorités fédérales était [jusqu'à présent] de 16, en 1896".
Une femme exécutée à niveau fédéral pour la première fois depuis 1953
Il est 1h31 ce mercredi 13 janvier 2021, dans l’État américain de l’Indiana. Sur la table d’exécution de la prison de Terre-Haute, Lisa Montgomery meurt. Son cœur s’est arrêté après les injections létales de pentobarbital, barbiturique qui provoque la mort en induisant une hypoxie consécutive à une paralysie des muscles respiratoires. L’exécution de la peine capitale, analogue à l’euthanasie, s’est déroulée sans difficulté cette fois-ci.
Bourreaux, gardiens, avocats, témoins, famille de la condamnée à mort et de Bobbie Jo Stinnett, victime assassinée en 2004, des dizaines de personnes ont assisté en vase clos au déroulement du processus. Malgré le Covid-19 et ses risques élevés de propagation dans un environnement fermé, rien n’a arrêté l’agonie d’une prisonnière des couloirs de la mort, quinquagénaire, souffrant de troubles mentaux, qui, il y a seize ans a commis l’irréparable, l’étranglement d’une femme enceinte dont elle a ouvert le ventre pour voler son fœtus : pas de circonstance atténuante, a tranché la justice américaine.
Ce mercredi, Lisa Montgomery a décroché un triste titre : elle est devenue la première femme exécutée depuis soixante-huit ans aux États-Unis à un niveau fédéral. Avant elle, il faut remonter à 1953 et à l'exécution de Bonnie Brown Heady pour enlèvement et meurtre et d'Ethel Rosenberg pour espionnage. L'Union européenne, qui avait demandé la clémence pour Lisa Montgomery, a "profondément" regretté son exécution.

Suspendus au coronavirus
Lundi soir, la veille de la date prévue de son exécution, la condamnée à mort avait obtenu un sursis sur décision d’un juge de l’ l’Indiana. Un très bref sursis : moins de vingt-quatre heures plus tard, la Cour suprême américaine, à majorité conservatrice, a rejeté tout recours et toute demande de commuer la peine de mort en détention à perpétuité.
Les 23 exécutions prévues en 2021 ont été différées. Trois ont été maintenues cette semaine, 6 ont été suspendues, un prisonnier est décédé pendant sa procédure et 11 autres procédures sont en cours. À ces données, fournies par le Death Penalty Information Center, s’ajoute une vue d’ensemble. En 2020, il y a eu 17 exécutions dont 10 exécutions fédérales.

À l’heure actuelle, 2 500 prisonniers dont 51 femmes attendent dans les couloirs de la mort de 55 prisons fédérales. Sept États exécutent, dont le Texas, la Géorgie, le Tennessee, l’Alabama, le Missouri. La palme du plus meurtrier revient à l’Ohio, qui a planifié une vingtaine d’exécutions en 2023 et 2024. Mais en raison de la pandémie, la plupart des États, y compris le répressif Texas, ont depuis des mois suspendu les exécutions.
Tactique de la terre brûlée
Grâce aux tests ADN, 174 condamnés à mort ont été innocentés depuis 2000. Mais si la tendance générale était au recul de la peine de mort aux États-Unis (et dans le monde), Donald Trump, défenseur de la peine capitale comme une partie de ses électeurs les plus conservateurs, a pendant son mandat favorisé une accélération des exécutions fédérales. En 2019, à la surprise générale, son ministre de la Justice Bill Barr avait annoncé la reprise de ces exécutions fédérales arrêtées depuis 2003. Malgré la vive opposition exprimée par des proches des victimes, les milieux religieux et l'Union européenne.
Non seulement il n’a jamais accordé de pardon présidentiel à aucun condamné, mais les exécutions se sont enchaînées à un rythme inédit : 10 ces six derniers mois !
Une accélération sans doute rendue possible par des juges acquis à la cause. Claude Guillaumaud-Pujol, auteure de Prison de femmes, Janine, Janet et Debby, une histoire américaine (éditions le Temps des Cerises) poursuit : "Donald Trump a fait valider par le Congrès les noms de juges fédéraux républicains qu’il avait choisis pour occuper les postes restés vacants, pour cause de rejet des candidatures par un pouvoir législatif à majorité républicaine, sous l’administration Obama."
La représentante de la Coalition mondiale contre la peine de mort estime que Donald Trump, même s'il vient de gracier d'autres "petits condamnés", pratique en ce moment la tactique de la terre brûlée. Mais pour elle, "maintenant que Joe Biden entre à la Maison-Blanche et que les démocrates ont le contrôle du Congrès, des modifications des lois fédérales sur la peine de mort peuvent être validées".
Le nouveau président peut proposer plusieurs changements, comme, par exemple, supprimer des peines obligatoires, celles qui systématiquement requièrent la peine de mort pour les délits criminels. Ces peines automatiques datent du président Ronald Reagan.
Dans son programme électoral, le nouveau président américain démocrate a promis "d’éliminer la peine de mort au niveau fédéral et d’inciter les États à suivre cet exemple". Joe Biden a promis de travailler avec le Congrès pour tenter d'abolir la peine capitale au niveau fédéral et des parlementaires démocrates ont introduit lundi une proposition de loi en ce sens. Leur parti ayant repris le contrôle du Sénat, elle pourrait être adoptée.
Minorités surreprésentées
Dans son rapport mondial 2021 sur le respect des droits de l’homme, Human Rights Watch (HRW) épingle les États-Unis, où les effets des lois et politiques racistes du passé demeurent. Avec des conséquences tragiques, rappelle l'ONG :
Chaque année, il y a 10 millions d’incarcérations, en majorité des Noirs et des Latinos. Ces populations se retrouvent également en surreprésentation dans les couloirs de la mort.
Dans son propos introductif, Kenneth Roth, directeur exécutif d'HRW, épingle le bilan du président américain : "Le mépris de Trump pour les droits humains au niveau national a montré pendant quatre ans que Washington est un leader important mais non indispensable en matière de droits humains", écrit-il, plaçant de nouveaux espoirs en la personne du président élu :
L’élection de Biden offre l’occasion d’apporter des changements fondamentaux. [Il] devrait donner l’exemple en renforçant l’engagement du gouvernement des États-Unis en faveur des droits humains sur son territoire, de telle manière à ce que ses successeurs ne puissent aisément faire machine arrière.