Peut-on encore utiliser le mot "nègre" en littérature, avec Dany Laferrière

Dany Laferrière, membre de l'Académie française
Dany Laferrière, membre de l'Académie française

Dany Laferrière : Peut-on encore utiliser le mot "nègre" en littérature ?

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Peut-on encore utiliser le mot "nègre" en littérature, avec Dany Laferrière

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L'ouvrage "Dix petits nègres" d'Agatha Christie vient d'être rebaptisé "Ils étaient dix" par les héritiers de l'écrivaine. Pourtant d'autres auteurs assument l'emploi du mot. C'est le cas de Dany Laferrière, auteur de "Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer" réédité chez Zulma.

Faut-il bannir le mot “nègre” de la littérature ? Le débat est ouvert depuis que le mot a été supprimé du titre du livre d’Agatha Christie Dix petits nègres, rebaptisé Ils étaient dix. Mais d’autres écrivains assument l’emploi de ce mot, comme Dany Laferrière, membre de l’Académie française et auteur en 1985 de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer, réédité par les éditions Zulma en septembre 2020 pour son 35e anniversaire. Laferrière y raconte les aventures sexuelles d’un haïtien exilé à Montréal.

Dany Laferrière : "Le mot 'nègre', il va dans n'importe quelle bouche, il est dans le dictionnaire, vous l’employez, vous en subissez les conséquences. Mais ce n'est pas le mot qu'il faut éliminer. Quand le livre était sorti en 1985, il avait provoqué, et pour les mêmes raisons, un débat à travers toute l'Amérique. Le mot 'negro' a été censuré par toute la presse américaine. Des Noirs étaient contre moi d'ailleurs. Le National Association for the Advancement of Colored People (NAACP), une des plus puissantes organisations contre l'esclavage, contre le racisme aux Etats-Unis, m'avait autant censuré que ceux qui étaient d'une certaine manière racistes. Cette censure a fait de ce livre une célébrité mondiale. Alors, si jamais on pense à le recensurer, Dieu merci. "

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Jusqu’au XIXe siècle, le mot “nègre” désigne péjorativement les esclaves noirs. Au cours du XXe siècle, l’usage du mot “Noir” devient majoritaire mais nègre continue de faire partie du répertoire raciste des suprémacistes blancs. Depuis les droits civiques, le mot "nègre" est devenu un tabou médiatique mais certains Afrodescendants ont pourtant choisi de se la réapproprier.

Dany Laferrière : "Le mot 'nègre' est un mot qui vient d'Haïti. Pour ma part, c'est un mot qui veut dire 'homme' simplement. On peut dire 'ce blanc est un bon nègre'. Le mot n'a aucune subversion. Quand on vient d'Haïti, on a le droit d'employer ce terme et personne d'autre ne peut. C'est un terme qui est sorti de la fournaise de l'esclavage et il a été conquis. C'est là la différence totale avec toute l'histoire du mot nègre, si on le prend par les Etats-Unis, par les abolitionnistes comme par les colonisateurs ou par les écrivains de la négritude, on rate l'histoire. L'histoire, c'est que pour la première fois dans l'histoire humaine, des nègres se sont libérés, des esclaves se sont libérés et ont fondé une nation.  

Donc revendiquer quelque chose qui pourrait être dérogatoire ou insultant, ou qui pourrait vous diminuer et en faire exactement votre identité, c'est une des plus vieilles revanches humaines. Un écrivain a au moins un double travail à faire, d'actualiser, c'est-à-dire de devenir contemporain et en même temps, de rappeler que les mots ont une origine, prennent naissance d'une réalité historique. "

Pour Dany Laferrière, chaque auteur doit se sentir libre d’utiliser le mot. Il ne s’agit pas de juger un terme mais une intention et de faire confiance à l’esprit critique du lecteur.

Dany Laferrière : Il ne faut pas perdre l’humour quelque part aussi et il ne faut pas perdre le soufre d'un mot dans les livres. Si on enlève toutes les méchancetés de la bouche d'un méchant, il y aura perte de drame. En tant que lecteur, j’ai envie que tous les mots du dictionnaire puissent vivre. Et puis, je jugerai.

Dans la bouche d'un Blanc, n'importe qui peut l'employer. On sait quand on est insulté, quand quelqu'un utilise un mot pour vous humilier et pour vous écraser. Et puis, on sait aussi quand c'est un autre emploi. Vous l’employez, vous en subissez les conséquences. "