Philosophie : qu'est-ce que le vivant ?
Comment définir le vivant ? Depuis l'Antiquité, la philosophie tente de répondre à cette question. Une sélection d'émissions pour découvrir les différentes doctrines qui se sont succédé depuis les théories d'Aristote et jusqu'aux débats les plus récents en matière de bioéthique.
Observer le vivant, en être le témoin, est une expérience des plus communes : il suffit de regarder la respiration d’une personne endormie, un animal bondir ou le bourgeon d’un arbre se déployer. Mais expliquer le mystère qu'est la vie, cet "élan vital" qui anime les êtres pour reprendre l'expression d' Henri Bergson dans L'Évolution créatrice, est tout de suite plus compliqué… et c'est pourquoi cette question occupe les philosophes depuis l'Antiquité ! Par définition, le vivant désigne l’ensemble des membres de toutes les espèces qui manifestent par leur organisation les caractéristiques de la vie : ils sont mortels, mais tendent à se reproduire et ainsi se perpétuent. En cela, le vivant se distingue de la simple matière, inerte ou artificielle, mais également de l'existence, qui est liée à la conscience du vécu.
Comment penser alors le vivant ? En raison du caractère sacré accordé à la vie par les religions, la philosophie s’est longtemps heurtée à la prégnance des religions et de leurs explications dogmatiques de la vie. Elle s'est cependant employée à le décrire selon une perspective finaliste (tout vivant a un but), mécaniste (l'organisation du vivant peut être pensée comme celle d'une machine) ou vitaliste (le vivant est régi par un "principe vital", distinct des forces physico-chimiques et de l'âme).
Au XIXe siècle, le vivant devient l'objet d'une science nouvelle : la biologie, dont le nom est inventé par Lamarck en 1802. De nouvelles théories viennent bouleverser la pensée du vivant, comme celle de l'évolution de Darwin, mais aussi des découvertes comme les lois de l'hérédité par Mendel à l'origine de la génétique. Le siècle suivant, et ses avancées scientifiques en matière de manipulations génétiques, apportera de nouvelles questions au sujet du vivant, d'ordre cette fois éthique et politique : dans quelle mesure peut-on agir sur le vivant ? Quelles incidences sur les êtres et les sociétés ?
Cette sélection d'émissions propose de retracer pas à pas la façon dont la philosophie a pensé le vivant.
Aristote
Au IVe siècle avant notre ère, les travaux d’anatomie comparée sur les animaux d'Aristote constituent le premier traité de biologie de l’histoire des sciences. Une biologie datée, certes, et aux conclusions souvent pittoresques, mais une entreprise fondatrice qui définit le vivant pour la première fois comme un ensemble de fonctions organisées en système, et porteur de sens. ( Ils ont pensé la nature... 9 min)
Les philosophes des Lumières et la question du vivant
Descartes (1596-1650) ou la pensée mécaniste
La connaissance du vivant passionne Descartes et l'auteur du Discours de la méthode se consacrera à son observation jusqu'à sa mort en 1650. Pour ce témoin des premiers automates conçus au XVIIe siècle, vivre c’est fonctionner. Hommes et animaux procèdent de la même "machinerie" que la matière et les corps inanimés. Un pommier donne des pommes comme une horloge donne l’heure. Dans cette vision dite mécaniste, un être vivant est une machine que la matière a créée, et dont Dieu est l’ingénieur en chef. Catholique convaincu, Descartes impute en effet à la volonté divine la création initiale des êtres vivants et la différence entre les hommes et les animaux. Pour lui, les premiers sont constitués d'un corps composé de matière, et d'une âme qui leur confère la capacité de penser et de parler. C'est l’union de ces deux éléments qui fait la singularité de l’homme. Quant à l’animal, il n’est pour Descartes qu’un corps sans âme, c'est-à-dire une machine "composée par la nature". ( Ils ont pensé la nature... 9 min)
Lamarck (1744-1829) ou la théorie transformiste
Né en 1744, Jean-Baptiste de Lamarck a voué sa vie à éclairer la science du vivant. Passionné de botanique, de physique, de chimie, de météorologie et même d'hydrogéologie, il est un savant important et complexe, surtout connu pour sa théorie de l’évolution des espèces qu’il développe dans son ouvrage Philosophie zoologique en 1809. Il est l’un des premiers à avoir pensé la vie des espèces comme une vie qui passe de forme à forme, toute espèce est capable de se métamorphoser. À la différence de Darwin, Lamarck fait une lecture morale de la transformation des espèces et des êtres… Pour lui, toute forme de vie est la traduction physique d’un ethos. Partisan de la théorie transformiste, ses idées n'ont pas séduit ses contemporains, et il a fallu attendre Charles Darwin pour se souvenir de ses travaux.
XVIIIe-XIXe siècles : la question de la finalité du vivant fait débat
Xavier Bichat (1771-1802) ou le vitalisme
Avant l'invention du microscope, les savants sont incapables d'analyser le vivant sans le détruire : toute technique d'investigation est destructrice. Médecin anatomiste, Xavier Bichat (1771-1802) va concevoir l'être vivant comme un ensemble composé et placer le concept d’organisation au premier plan. En pratiquant la dissection de cadavres, il va décomposer les tissus d’abord par le scalpel, puis par la chaleur, les acides, les bases, etc. Guidé par sa pratique, il comprend intuitivement la nécessité de conserver les tissus constitutifs du vivant. Dans ses Recherches physiologiques sur la vie et la mort (1799), il rend compte de ses observations, et opposant son vitalisme au mécanisme de Descartes, déclare que "la vie est l’ensemble des fonctions qui résistent à la mort ". On doit également à Bichat d'avoir le premier - dans son Anatomie générale - opposé les "sciences physiologiques" qui traitent des phénomènes des êtres vivants, aux "sciences physiques" qui traitent des phénomènes des êtres inertes.
Charles Darwin (1809-1882) et la théorie de l'évolution
En 1831, Charles Darwin embarque à bord du Beagle comme naturaliste. Durant 57 mois, il arpente le globe et accumule une multitude d'observations. À son retour, il possède l’essentiel des éléments qui, une fois réinterprétés, reliés et mis en ordre, constitueront les points d’ancrage de sa théorie de l'évolution. En 1859 paraît la première édition de L’Origine des espèces dans laquelle le naturaliste expose sa fameuse théorie : le vivant est le fruit de la sélection naturelle. Cette émission explique la façon dont la théorie de l'évolution a révolutionné la pensée du vivant, en rompant avec l'idée d'une finalité ou de Dieu. ( Les Chemins de la philosophie, 58 min)
Henri Bergson (1879-1941) et l'élan vital
Dans Matière et mémoire, son essai sur les rapports du corps et l’esprit paru en 1896, le philosophe français Henri Bergson, penseur du vivant et de la vie spirituelle, affirme que nos perceptions et notre apprentissage du monde sont entièrement guidés par le souci de rester en vie. Dans cette émission, le philosophe Frédéric Worms, spécialiste de Bergson, explique comment ce dernier a découvert que nous avons besoin de spatialiser pour vivre, que le monde est un ensemble de phénomènes, d’images au sein duquel notre corps, pour agir, doit opérer une découpe. ( Les Chemins de la philosophie, 58 min)
Le XXe siècle
Le XXe siècle, qui a débuté avec la découverte de l'existence des gènes, et s'est achevé avec le spectaculaire séquençage du génome de l'espèce humaine, a profondément bouleversé les réflexions philosophiques sur la définition du vivant. La biologie, notamment, a connu de tels progrès au cours de ce siècle que les biologistes ont pu entretenir un instant l'illusion d'être parvenus à percer le mystère de la vie.
Georges Canguilhem (1904 -1995)
Philosophe, historien des sciences et grand résistant, Georges Canguilhem publie en 1943 une thèse de médecine intitulée "Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique". Dès les premières pages, il s’y affirme comme un philosophe de la vie, qu’il définit comme une "lutte contre tout ce qui est de valeur négative", ou encore comme "ce qui résiste à la maladie" en particulier avec le secours de la science. ( Les Chemins de la philosophie, 59 min)
Nouvelle classification du vivant
Depuis la fin du XXe siècle, la classification du vivant s’est extraordinairement complexifiée. La classification simple, organisée en catégories faciles à se représenter - règne animal, règne végétal, et champignons - est devenue obsolète et il apparaît que, pour les biologistes, ces termes-là en taxonomie n'ont plus cours. Cette émission propose une introduction à une classification plus complexe, qui comporte 7 règnes, nouveau socle de ce qu'on appelle la cladistique contemporaine. ( La Méthode scientifique, 58 min)
Philosophie et bioéthique
Au XXe siècle, les débats philosophiques sur la question du vivant sont devenus indissociables de débats autour des enjeux d'éthique. En bouleversant l'image que l'homme se fait du vivant, les avancées scientifiques en matière de génétique ont fait naître de nouvelles inquiétudes. Les biologistes ne sont-ils pas en train de devenir des apprentis sorciers dès lors qu'ils commencent à manipuler les gènes, ces composants héréditaires parmi les plus intimes du vivant ?
François Jacob (1920-2013) et les découvertes de la génétique
En 1965, François Jacob reçoit le prix Nobel de médecine pour ses travaux sur les gènes de régulation. Au cours de cet entretien, le biologiste explique la façon dont les progrès de la génétique au XXe siècle - en mettant au jour la petite machinerie de nos cellules - ont révolutionné la pensée du vivant, et comment, désormais, le vivant est perçu comme "le jeu calculable du hasard et de la reproduction." ( Une histoire de la biologie, 39 min)
Dans cet entretien enregistré en 2003, François Jacob, prix Nobel de physiologie et de médecine, explique comment la découverte de la biologie moléculaire au XXe siècle a contribué à la diminution de la dimension sacrée dans le vivant. ( A voix nue, 32min)