Physiologie du mensonge : cela se voit-il lorsque l'on ment ?

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Physiologie du mensonge : cela se voit-il lorsque l'on ment ?

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Le masque, symbole du mensonge.
Le masque, symbole du mensonge.
© Getty -

Le menteur aurait tendance à imiter son interlocuteur lorsqu'il cherche à mener ce dernier en bateau. Enfin une manière de détecter le menteur de l'honnête homme ? Toujours pas, non. Si l'action de mentir a bien un impact physiologique, celui-ci est, sur l'être humain, imperceptible.

Comment déceler un mensonge ? Comment prendre le coupable d'une invention sur le fait ? La question est millénaire. Les récits mythiques placent d'ailleurs le mensonge au cœur de leur narration : ah si seulement Eve avait pu déceler le mensonge du serpent et ne pas croquer la fameuse pomme ! Longtemps, on a cru pouvoir détecter un mensonge grâce à des symptômes physiques. Une bouche asséchée, notamment, trahissait le fieffé menteur. En Chine, le suspect devait mâcher du riz et le recracher : si le riz était sec, alors il y avait mensonge ! En Europe, au Moyen Âge, les juges auraient quant à eux utilisé une méthode similaire, avec de la farine...

À réécouter : Histoire du mensonge

Ces méthodes archaïques n'ont jamais été, évidemment, la preuve flagrante de quoi que ce soit. La science, au XXIe siècle, commence cependant à mieux percer les arcanes des mensonges et notamment leur influence sur le corps humain. Une récente étude intitulée _Un menteur et un imitateur : la coordination non verbale augmente avec la difficulté du mensong_e, parue dans une publication de la Royal Society, a ainsi permis de découvrir que, lorsqu'une personne est en train de mentir, elle imite malgré elle les mouvements du corps de son interlocuteur. Pour la Dr. Sophie van der Zee, de l'université Erasmus à Rotterdam, aux Pays-Bas, ce comportement s'explique parce que mentir demande une grande concentration : l'orateur, en plein processus d'invention, commencerait inconsciemment à imiter de subtils mouvements du corps de son interlocuteur, tout simplement parce que copier nécessite moins de réflexion qu'agir selon son propre langage corporel. En "mimiquant" notre interlocuteur, nous éviterions ainsi une surcharge cognitive.

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Serait-ce enfin là la solution pour confondre celui qui oserait nous mentir les yeux dans les yeux ? Loin de là, comme le rappelle Sophie van der Zee : ces mouvements, détectés à l'aide d'accéléromètres, sont imperceptibles à l'œil nu. 

Un mensonge une à deux fois par jour 

En matière de mensonges, rares sont pourtant ceux qui manquent d'expérience. On apprend en effet à mentir dès l'âge de trois ans, dès que l'on commence à comprendre qu'il est parfois plus efficace de biaiser que de dire la vérité. Le mensonge a beau être connoté péjorativement, il permet pourtant d'échapper à des situations désagréables, ou bien en se protégeant soi-même, ou bien en cherchant à protéger autrui. En psychologie sociale, on considère ainsi qu'il existe cinq motivations au mensonge : valoriser notre image, éviter les conflits, ne pas peiner notre interlocuteur, persuader quelqu'un afin d'en tirer un avantage, et enfin dissimuler ou justifier un manquement... 

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Conséquence ? Nous mentons plus que nous ne le pensons. Une étude menée en 1996, Mentir dans la vie de tous les jours, concluait ainsi à deux mensonges par jour et par personne en moyenne. Un résultat confirmé en 2002, lors d'une autre étude menée sur 242 personnes par les psychologues Felder, Forrest et Happ. L'expérience consistait à se faire rencontrer des participants, dont certains avaient pour consigne de se présenter sous un jour agréable ou de parler de leurs compétences : à l'issue des entretiens, ces derniers avaient menti davantage que ceux laissés sans consigne particulière... Mais en règle générale, 60 % des participants avaient menti entre deux et trois fois en l'espace de 10 minutes de conversation. Le résultat a surpris autant les chercheurs que les sujets de l'expérience. 

Si hommes et femmes mentent à la même fréquence, l'objectif de leurs mensonges diffère, précise l'étude Mentir dans la vie de tous les jours : les hommes ont plus tendance à recourir aux mensonges d’autoprotection, afin de préserver ou d’améliorer leur image, tandis que les femmes inventent plus souvent des mensonges altruistes.

Mentir : un effort physique 

Avec une telle facilité à raconter des balivernes, et ce depuis notre plus jeune âge, on pourrait s'imaginer que la tâche est devenue aisée et que nous mentons efficacement. Il n'en est rien : mentir demande un réel effort de concentration. En fait, maintenir une illusion de vérité nous demande un tel effort cognitif que cela impacte directement notre corps. 

De nombreux articles de presse listent ainsi les "détails" qui permettent de confondre un menteur : le mouvement des yeux, le fait de se gratter le cou ou de lisser ses vêtements seraient autant de "signes révélateurs" d'un mensonge. En somme, grâce à la communication non-verbale, il serait possible de comprendre et d'anticiper les intentions de son interlocuteur. 

Cette théorie doit beaucoup au travail du psychologue américain Paul Ekman, pionnier de l'étude des émotions à travers les expressions faciales. Dans ses travaux, publiés dans les années 90, le chercheur a affirmé que les expressions faciales émotionnelles (la colère, le dégoût, la joie, le mépris, la surprise ou encore la tristesse) sont universelles et biologiquement déterminées. En exprimant une émotion, nous mobilisons des micro-expressions qui la rendent lisible pour notre interlocuteur.

Simuler une expression, qu'elle soit de colère ou de joie par exemple, ne mobiliserait en revanche pas les mêmes muscles faciaux qu'une émotion réellement ressentie. Difficile de "garder la face" lorsqu'on se sent offensé par exemple. Est-ce là la clé de la détection du mensonge ? C'est ce que veut croire Paul Ekman, formateur au FBI, conseiller scientifique de la série télévisée Lie to Me et à l'origine du programme SPOT (Screening Passengers by Observation Techniques) qui doit permettre aux agents de sûreté des aéroports d'identifier de potentielles menaces. 

Mais les techniques vantées par Paul Ekman ont été sérieusement remises en question. Un comité d'expert chargé de vérifier l'efficacité du programme SPOT a ainsi conclu en 2007 que "les gens (y compris les attrapeurs de menteurs professionnels ayant une vaste expérience de l'évaluation de la véracité) obtiendraient des taux de réussite similaires s'ils jouaient à pile ou face". D'autant que les micro-expressions du visage apparaissent l'espace d'1/25e de seconde... et sont imperceptibles à l’œil nu. 

Ces nombreuses interrogations sur la place de la communication non-verbale n'ont d'ailleurs pas échappé à l'émergence de pseudo-sciences, qu'il s'agisse de la "programmation neuro-linguistique" (P.N.L.) ou encore de la "synergologie". Dans un rapport intitulé Une nouvelle croyance sur le mensonge : la théorie des « faux non » en synergologie, les chercheurs Hugues Delmas et Nicolas Rochat s'attachaient ainsi à rappeler que contrairement à ce que que prétend la "programmation neuro-linguistique", aucune étude n'a jamais prouvé qu'un regard à droite trahit un mensonge. Et de poursuivre sur la théorie des "faux-non", qui fut pourtant enseignée au Barreau du Québec et à des policiers de la ville de Montréal : 

Selon les partisans de la synergologie, il est possible d’évaluer la sincérité d’une négation en regardant les mouvements de la tête. Par exemple, au moment de dire “non”, tourner la tête vers la gauche serait un “vrai non” (dire “non” et penser “non”), à l’inverse, tourner la tête vers la droite serait un “faux non” (dire “non” mais penser “oui”, ce qui lui donnerait le statut d’un indicateur du mensonge). [...] Les résultats ont montré que la distribution des mouvements de tête au moment de dire “non” n’était pas différente du hasard. [...] Cela suggère que les “faux non” ne permettent pas d’évaluer la crédibilité d’une négation, et alimentent les croyances erronées sur le mensonge. 

Seul Pinocchio a un signe physique qui le trahit irrémédiablement lorsqu'il ment.
Seul Pinocchio a un signe physique qui le trahit irrémédiablement lorsqu'il ment.
© Getty - MaryAnnShmueli

Pour détecter un menteur, rien ne vaut l'analyse du discours 

Est-ce à dire que les critères physiques sont totalement inutiles quand il s'agit de détecter un mensonge ? A en croire Michel Saint-Yves, psychologue judiciaire à la Sûreté du Québec, et Joe Navarro, ancien agent du FBI, on peut occasionnellement détecter un mensonge grâce à des signes physiques... mais dans des cas très limités, comme ils le précisent dans leur article La détection du mensonge : l’effet Pinocchio existe-t-il ?, paru dans la revue Psychiatrie et violence

Le mensonge est un "outil de survie sociale" ; tout le monde ment et, en fin de compte, nous ne connaissons jamais toute la vérité. Nous pouvons observer des choses dans le but de déterminer s’il y a certains problèmes ou certaines inquiétudes, ou découvrir ce qu'on tente de dissimuler ou d'occulter. À cette fin, le langage corporel peut nous être utile, mais bien souvent, pas plus que de tirer à pile ou face.

D'autant que les menteurs invétérés sont moins sujets à ces changements physiques. "Un mensonge répété finira par générer moins d'efforts sur le plan cognitif et, par conséquent, sera plus difficile à détecter" précisent ainsi les auteurs de l'article, qui estiment qu'en matière de détection du mensonge, "peu d'indicateurs observables sont fiables". C'est donc du côté de la confrontation orale plutôt que du langage non verbal qu'il convient de se tourner :

Lorsque le menteur s’exprime, son discours contient généralement plus d’hésitations, moins de mots, moins de détails contextuels, plus d’omissions. Ses réponses sont plus évasives, moins plausibles, moins structurées et manquent parfois de cohérence. Aussi, elles comportent une description plus détaillée de ce qui n’a pas eu lieu [..]. Résultant probablement d'une surcharge cognitive, on observe également une diminution du débit verbal et des pauses plus longues lorsque le menteur parle.

Malgré ces techniques, qu'il s'agisse d'un juge ou d'un policier - pourtant des professionnels du mensonge -, le résultat est toujours le même : sans preuves, un mensonge est détecté dans environ 50 % des cas. Même avec une formation adaptée, ce chiffre varie peu : selon une étude parue en 2014 et menée auprès d'agents du FBI  ayant suivi un entraînement ad hoc, il est possible de déceler un mensonge entre 60 et 65 % des fois, à condition d'être en mesure de poser les questions adéquates, et au bon moment. 

Pour pallier les faiblesses de l'homme, faut-il se tourner vers la machine ? 

Avec un taux de réussite qui stagne autour d'une chance sur deux, n'est-ce pas vers la machine qu'il faut se tourner ? C'est à cette fin qu'a été inventé le polygraphe, ou détecteur de mensonge, il y a tout juste un siècle. En mesurant la pression sanguine, la fréquence cardiaque, le rythme respiratoire et la transpiration, cet appareil est censé permettre de déduire si une personne est en train de mentir ou non.

Toujours utilisé au Japon ou aux Etats-Unis par les autorités judiciaires, l'appareil a pourtant été discrédité depuis longtemps sur le plan scientifique. Qu'une personne soit coupable ou innocente, le taux de stress engendré par un interrogatoire avec des électrodes est en effet susceptible d'entraîner assez de changements physiologiques pour fausser les résultats. A l'inverse, on sait maintenant que de nombreuses personnes sont parvenues à tromper des polygraphes, à l'image de l'officier de la CIA Aldrich Ames qui avait passé le test à de nombreuses reprises avec succès... tout en continuant d'espionner au bénéfice de l'URSS.

D'autres méthodes visent à atteindre le même objectif que le polygraphe : analyse du stress vocal, de la dilatation de la pupille ou encore thermographie péri-orbitale. Autant de techniques qui sont - ou ont été - à l'étude, sans qu'aucune ne soit encore parvenue à faire la preuve de son efficacité de manière significative. 

La dernière génération de détecteurs de mensonges s'appuie, elle, sur les neurosciences. Il ne s'agit plus tant d'analyser des mesures physiologiques que de se pencher directement sur le cerveau. Grâce à l'Imagerie par Résonance Magnétique, les chercheurs peuvent analyser la zone du cerveau qui est activée lors d'un mensonge. Mais si cette technologie a d'ores et déjà été utilisée dans les tribunaux américains, elle est loin d'être infaillible et la communauté scientifique n'a eu de cesse de le rappeler : une zone du cerveau peut être active sans que cela soit nécessairement le fait d'un mensonge, le cerveau traitant, par nature, plusieurs informations à la fois. 

Alors comment détecter un mensonge, si l'analyse du comportement autant que la technologie sont impuissantes à discerner le vrai du faux ? En matière de mensonge, la seule solution pour être certain à 100 % de ce qui nous est raconté, reste encore de connaître la vérité.