PMA, quand les femmes célibataires disent : "et pourquoi pas moi ?"

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PMA, quand les femmes célibataires disent : "et pourquoi pas moi ?"

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Femme enceinte
Femme enceinte
© AFP - Julian Rupp / Cultura Creative

En annonçant pour 2018 une loi sur la procréation médicalement assistée ouverte à toutes les femmes, Marlène Schiappa a relancé un débat qui a évolué dans le temps. Après deux décennies de revendications LGBT, les femmes célibataires revendiquent aujourd'hui de faire un enfant reconnu par la loi.

C’était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron il y a quelques mois : élargir la Procréation Médicalement Assistée (PMA) à toutes les femmes. Derrière cette PMA élargie, l'idée d'y donner accès aux femmes célibataires comme aux femmes vivant en couple avec une autre femme. En juin, le Comité d'éthique s'était déjà prononcé en faveur de cet élargissement.

Ce mardi 12 septembre, Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat auprès du Premier Ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, a annoncé que le débat sur l'ouverture de la PMA à toutes les femmes aurait lieu au Parlement en 2018. Une accélération du calendrier justifiée par la secrétaire d'Etat au nom de la “justice sociale”.

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En réalité, le débat recouvre des arguments de plusieurs ordres - juridiques, éthiques, économiques...- qui se sont déployés successivement au fil de l'histoire. Les revendications ont ainsi évolué dans le temps depuis le premier bébé éprouvette en France, en 1982. Epousant des enjeux distincts selon que l'accès à la maternité avec l'aide de la médecine soit revendiqué par des couples lesbiens ou des femmes seules souhaitant avoir un enfant.

Avec la sociologue Irène Théry, partisane d'un large accès à la PMA pour toutes les femmes, retour en arrière sur l’histoire du débat pour comprendre comment cette technique médicale a progressivement engagé un questionnement bioéthique sur la parentalité dans la société française.

La médecine au service des couples hétéros

C'est en 1973 qu'apparaissent les premières PMA avec don de gamète, avec la fondation des premiers Centre d’Etude et de Conservation des Oeufs et du Sperme (CECOS). En 1978, l’aboutissement des recherches autour de la fécondation in vitro permettent au premier bébé éprouvette, Louise Brown, de naître en Angleterre, avant d’arriver en France en 1982, avec Amandine.

L’argument est au départ d'ordre médical : la PMA apparaît comme une solution médicale pour dépasser les difficultés à la fécondation. Elle sert à aider les couples hétérosexuels à procréer. Dans l’émission Cultures Monde, en janvier 2013, l’épidémiologiste et chercheur Jacques De Mouzon retraçait l’histoire de cette technique médicale : “Au départ, c’est une technique qui a été inventée pour dépasser le problème des occlusions tubaires, des trompes [ndlr Trompes de Fallope] bouchées.”

La PMA concerne alors uniquement les couples hétérosexuels. C'est en 1994 que la première loi bioéthique entre en vigueur. Elle fixe le cadre de la PMA - aussi appelée "Assistance Médicale à la Procréation" (AMP) - et notamment la nécessité d'une raison médicale pour y accéder : seuls les couples hétérosexuels dont l'infertilité est prouvée médicalement pourront y avoir recours.

Après le PACS, la PMA : procréer devient une revendication LGBT

Puis, en 1999, les couples homosexuels arrivent à une première reconnaissance juridique de leur union par l'accès au concubinage et au PACS, reconnu par la loi en novembre 1999. Au nom de l'égalité avec les couples hétérosexuels, les mouvements LGBT se saisissent alors de la question de l'assistance médicale à la procréation à partir des années 2000. La revendication se constitue progressivement.

L'année 2012 représente un tournant majeur dans le débat autour de la PMA, et en particulier pour ce qui concerne l'accès à la PMA des couples lesbiens. François Hollande, candidat à la présidence de la République, se dit d'abord favorable à l'ouverture de la PMA pour les couples de femmes durant la campagne pour l'élection présidentielle. Mais après maints revirements, la PMA est finalement exclue du projet de loi sur le mariage pour tous une fois François Hollande élu. L'enjeu se recentre alors sur le mariage et la parenté avec la possibilité pour les couples homosexuels d'adopter un enfant.

Le 17 mai 2013 est adoptée la loi pour le mariage pour tous, autorisant le mariage ainsi que l'adoption aux couples homosexuels, d'hommes et de femmes. Les familles homoparentales sont ainsi reconnues juridiquement. En revanche, la PMA n'est toujours pas accessible, en France, pour les femmes lesbiennes, en couple ou pas, ou les femmes hétérosexuelles célibataires.

Les mouvements homosexuels se remobilisent alors au nom de l'égalité juridique pour les couples de lesbiennes qui réclament le même accès légal à la PMA que les couples hétérosexuels qui, eux, peuvent par exemple se voir rembourser par l'assurance maladie jusqu'à quatre tentatives avant 43 ans. Comme à la fin des années 90, ce "deux poids - deux mesures" juridique est dénoncé par les mouvements LGBT, qui soulignent que ce iatus est d'autant plus discriminatoire que la loi reconnaît désormais le mariage aux couples du même sexe.

Mais l'égalité devant le droit n'est pas le seul argument invoqué dans ce combat. Un autre argument, d'ordre pragmatique cette fois, est aussi invoqué par des associations LGBT : il revient à réclamer un cadre légal et un encadrement par la loi de pratiques qui, dans les faits, existent déjà dans la société. De nombreuses femmes ont en effet recours aux filières étrangères pour donner la vie : elles rejoignent l’Espagne, la Belgique ou encore le Danemark pour se faire inséminer. Les associations LGBT dénoncent en fait l'hypocrisie des pouvoirs publics depuis 2013 : la PMA étant ouverte à l'étranger et l'adoption possible en France, les familles homoparentales existent bel et bien dans les faits.

Mais avec ce recours à des cliniques privées à l'étranger, qui facturent au minimum 1000 euros chaque tentative, se pose aussi la question de l'inégalité sociale devant un investissement coûteux. C'est dans cette perspective que s'inscrit aussi Marlène Schiappa, la secrétaire d'Etat, lorsqu'elle invoque une quête de "justice sociale".

Le 29 septembre 2014, France Culture diffusait un documentaire "Sur les docks" consacré à la "filière belge" de ces couples homosexuels :

Sur les docks | 14-15
57 min

"Elle a fait un bébé toute seule"

La question des femmes célibataires se pose de manière différente, en ce sens que les femmes seules, candidates à la maternité malgré leur célibat, ne sont pas organisées en mouvements comme le sont les associations LGBT. Par nature plus invisibilisée, cette revendication s'en trouve plus diffuse. Elle se fraye pourtant un chemin dans le débat public. La sociologue Irène Théry souligne :

Les nouveaux comportements n'arrivent jamais de rien. Quand les lesbiennes ont commencé à se dire, "Pourquoi pas nous ?", c'est bien parce qu'elles voyaient autour d'elles des couples qui ne pouvaient pas faire d'enfants et qui pouvaient bénéficier de la PMA avec un don.

Progressivement, l'idée d'assumer seule un désir d'enfant émerge jusqu'à ce que la question posée à la société devienne : "Et pourquoi pas moi ?" Une revendication pour ne plus être hors de la norme sociale et hors la loi : "Elles s'autorisent dans ces cas-là à assouvir leur désir d'enfant", décrypte la sociologue.

Procréation à 3 déguisée en bébé à 2 : sortir du mensonge ?

D'un point de vue éthique, ce débat sur l'ouverture de la PMA relance en fait le débat sur la PMA avec don. C'est-à-dire, la PMA qui inclue un tiers dans la procréation. Une PMA élargie aux femmes dans un couple du même sexe ou aux femmes célibataires pose au fond la question de l'assimilation entre parent et géniteur.

La sociologie Irène Théry, en ce sens, évoque l'idée d'un "arrangement social" qui se serait opéré au fil des ans :

La PMA avec un don, c'est un arrangement social. Un couple, qui ne peut pas procréer par lui-même, fait appel à une tierce personne va donner de sa capacité procréatrice pour que ce couple puisse mettre au monde un enfant qu'ils n'auraient pas pu procréer tout seul [...] Le problème est le suivant : pourquoi ces engendrements à trois ont-ils été maquillés en procréation à deux ?"

Pour Irène Théry, l'enjeu derrière le droit à la PMA pour les couples de femmes ou les femmes célibataires, c'est la question d'une "sortie du mensonge", et la reconnaissance, pour les enfants, de cette méthode de procréation avec don.