La babouche

Assortiment de babouches
Assortiment de babouches  ©Getty -  Rudy Sulgan
Assortiment de babouches ©Getty - Rudy Sulgan
Assortiment de babouches ©Getty - Rudy Sulgan
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C’est l’histoire d’une chaussure en cuir sans contrefort ni talon qui est devenue un emblème national après avoir voyagé autour du bassin méditerranéen, au Moyen-Orient et jusqu’en Asie.

L’historienne Aurélia Dusserre nous raconte les pérégrinations de la babouche dans Le magasin du monde, le livre qui nous sert de référence pour ces chroniques radiophoniques.On la définit parfois comme une pantoufle alors qu’en réalité, c’est aussi une chaussure d’extérieur comme le rappelle son étymologie. Le mot vient du persan pâpush, qui signifie le fait de "couvrir le pied". Adopté par la langue turque, le terme est employé en français en 1542 sous forme papouch. Il se fixe en "babouche" au milieu du XVIIe siècle, pour donner un nom à ces chaussons de forme ottomane qui se diffusent en Europe.

Une chaussure pour tous les pieds

Où qu’elle soit, du Moyen Orient à l’Indonésie, du Maghreb à l’Inde, la babouche est portée indifféremment par les hommes et les femmes, les nomades et les sédentaires, les ruraux et les citadins, les riches et les pauvres. En Europe, la babouche se voit ajouter un petit talon, et elle est recouverte de tissus et de broderies, afin de séduire des élites avides d’exotisme.Cette chaussure devient alors une synecdoque de l’Orient et un symbole de la lasciveté orientale. Le terme "Babouche" se diffuse en France au XIXe siècle au fur et à mesure des explorations et des expéditions coloniales au Maghreb.Les voyageurs français adoptent bien souvent le costume local et les babouches pour passer inaperçus. L’explorateur Charles de Foucauld écrit lui-même en 1884 : "C’est la seule chaussure qu’on voit au Maroc".Mais ce sont surtout les peintres orientalistes qui popularisent l’image de la babouche. A commencer par Eugène Delacroix qui en rapporte une paire de Tanger en 1822 et qui la représente dans plusieurs de ses esquisses et de ses tableaux.A l’opposé des clichés orientalistes et des images associées à l’intimité des femmes, la babouche exprime la créativité des avant-gardes. C’est le cas lors du ballet Shéhérazade en 1911, où les danseurs se libèrent des pointes classiques grâce aux babouches. C’est aussi le cas de Matisse qui en 1912 détourne les codes de la peinture orientaliste pour proposer une expérimentation chromatique avec ses babouches jaunes à dessins bleus et un intérieur carmin dans son tableau Zorah sur la terrasse.

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Un savoir-faire défendu par le Maroc

La babouche maghrébine devient une chaussure marocaine, avec l’instauration du protectorat français sur le Maroc en 1912. Les autorités françaises s’appliquent dès lors à sauvegarder une partie de l’artisanat traditionnel alors même que la colonisation bouleverse les structures économiques et sociales du pays.Les babouches font alors l’objet d’enquêtes ethnographiques qui contribuent à définir des normes et à figer les formes de ces chaussures.Dès les années 1930, cette volonté de produire des objets soi-disant authentique s’accompagne d’un discours sur la menace de la concurrence étrangère, en l’occurrence des chaussures japonaises.C’est pourquoi, un décret marocain interdit en 1934 l’entrée des babouches étrangères sur le territoire du protectorat. Un peu moins d’un siècle plus tard, une campagne dénonce cette fois les importations chinoises massives de babouches.En 2011, le gouvernement marocain décide d’augmenter considérablement les droits de douane qui frappent les babouches fabriquées à l’étranger, et de labelliser cette chaussure dont les caractéristiques précises sont fixées par décret. Ce qui n’empêche pas les babouches de continuer à voyager, comme elles l’ont fait tout au long de leur histoire

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