Le shampoing est mystérieux. On ne sait pas qui l'a inventé mais on connaît son influence sur nos modes de vies et nos représentations d'une beauté stéréotypée, aux cheveux soyeux.
Si on ignore qui a inventé le shampoing, nous savons précisément qui l’a introduit en Europe. Il s’agit d’un ancien soldat de l’armée du Bengale du nom de Sake Dean Mahomed. L’homme est arrivé avec sa femme anglo-irlandaise à Brighton en septembre 1814, comme le raconte Julie Marquet dans le Magasin du Monde.
Conçu à l’origine comme un traitement médical, le shampoing consiste en un massage des muscles et du crâne – Champo en hindi - à l’aide d’une lotion. Sake Dean Mahomed fonde à Brighton sa première maison de bains qui rencontre très vite un immense succès auprès des élites britanniques qui viennent dans cette ville du sud de l’Angleterre effectuer des cures thermales. La renommée de Sake Dean Mahomed est telle qu’à partir de 1822, les rois George IV puis William IV le nomment leur « shampouineur officiel ».
Pourtant, si c’est un Indien qui popularise le shampoing en Europe, le lavage des cheveux existe déjà ailleurs dans le monde, et depuis longtemps. En Chine, ces massages sont associés aux arts martiaux. Au Maghreb et en Égypte, les populations utilisent depuis de nombreux siècles les plantes comme la saponaire pour se nettoyer les cheveux.
Au contraire, en Europe, on ne se lave pas du tout la tête : on se contente de peigner, voire d’enduire ses cheveux de poudre ou d’amidon. Car on considère que le contact de l’eau peut causer des maux de tête ou de dents.
Il faut attendre la seconde moitié du XIXe siècle pour que le massage et le nettoyage du cuir chevelu deviennent enfin populaires sur le Vieux continent. Le terme shampoo entre dans les dictionnaires anglais vers 1860 puis le Littré intègre le mot dans la langue française en 1877. La pratique se diffuse alors largement grâce aux salons de beauté et de coiffure ainsi qu’aux nouveaux systèmes d’adduction d’eau dans les villes.
Son succès s’explique aussi par l’émergence d’une préoccupation inédite pour l’hygiène corporelle. La propreté devient progressivement une nécessité médicale. Se nettoyer avec du savon et du shampoing - à base d’œuf, de jus de citron et d’extraits de plantes - devient la condition d’une bonne santé. En quelques années, l’hygiène devient un symbole de la modernité occidentale qu’il faut désormais exporter dans les colonies européennes, des pays qui paradoxalement connaissent depuis longtemps la pratique des ablutions.
Au début du XXe siècle, sous l’impulsion des chimistes, le shampoing devient un produit industriel en Europe et en Amérique du Nord. L’Allemand Hans Schwarzkopf invente en 1903 un shampoing soluble, la consommation explose. A tel point que les grandes firmes investissent massivement dans la publicité, dans les journaux, magazines, puis à la radio et à la télévision. Ces publicités de shampoing promeuvent à grande échelle une nouvelle culture de la beauté qui se fonde sur l’image canonique d’une femme blanche aux cheveux lisses et soyeux.
Parallèlement, les techniques de fabrication du shampoing se transforment. À partir des années 1940, de nombreux shampoings intègrent de l’huile de noix de coco provenant des colonies. Puis, à partir des années 1950, les industriels commencent à produire des shampoings composés exclusivement de molécules de synthèse. Ils se répandent dès les années 1960 dans les pays en voie de développement. C’est le cas en Inde, où ils sont utilisés par les élites qui adoptent ce qu’elles considèrent comme un produit occidental. Il faut attendre les années 1990 pour que le shampoing commence à se diffuser au sein des classes populaires, avec la commercialisation pour quelques roupies de petites doses à usage unique.
A partir des années 1960, d’autres produits apparaissent. Inspirés par le Black Power Movement, certains sont créés pour le soin des cheveux crépus ou frisés. Au cours des années 1970, les grandes marques commencent à proposer des shampoings dits naturels qui privilégient le miel, les extraits de plantes et les huiles naturelles.
Mais, en dépit de ces nouvelles tendances culturelles, politiques ou écologiques, le shampoing demeure un produit industriel de consommation de masse qui véhicule dans le monde entier un modèle culturel occidental. Nous faisant totalement oublier ses origines extra-européennes…
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