

Les autorités bangladaises ont suspendu les réseaux 3G et 4G et les lignes téléphoniques des plus de 1 millions de réfugiés Rohingya qui se trouvent dans les camps autour de Cox's Bazar. Une tentative délibérée d'invisibilisation ?
C’est l’histoire d’un black out téléphonique et d’une invisibilisation.
Depuis lundi, les autorités bangladaises ont coupé les communications aux plus d’un million et demi de réfugiés Rohingya qui se trouvent sur leur territoire.
Et je dis bien toutes les communications.
L’ethnie persécutée en Birmanie depuis plus d’un demi-siècle pour sa religion musulmane n’a donc plus accès à internet. Et les opérateurs téléphoniques, qui vendaient des cartes SIM aux réfugiés avec des noms d’emprunts, ont dû couper les lignes.
Dans le plus grand camp de réfugiés du monde, qui compte plus de 650 000 personnes, et dont il est impossible de sortir, internet et les téléphones étaient devenus un moyen de communiquer avec les familles restées en Birmanie et de se faire envoyer de l’argent, mais aussi un moyen de s’informer, de s’organiser, de résister.
Les uniques liens virtuels avec le reste du monde.
La coupure ne concerne pas seulement les Rohingya à l'intérieur du camp, mais aussi tous ceux qui à l'extérieur de ces camps, voudraient pouvoir y pénétrer par la pensée ou par l’écoute. Alors comment interpréter ce black out des ondes et des réseaux ?
On pourrait remonter à la nuit du 22 août dernier, quand une longue rangée de bus et de camions est restée vide à la frontière entre le Bangladesh et la Birmanie.
On attend 3450 personnes qui n’arrivent pas, c’est un échec cuisant, un rapatriement manqué. Les 3450 manquants à l’appel sont des Rohingya à qui les autorités ont promis un retour en sécurité sur leurs terres décimées il y a deux ans par l’armée Birmane.
Mais les rares élus pour ce retour forcé n’y ont pas cru et préfèrent rester, même clandestinement, autour de Cox’s Bazaar, la principale ville de la région.
Le 21 août, l’ONG Human Right Watch publiait un rapport dans lequel elle affirmait que les militaires torturaient les Rohingya qui tentaient de repasser la frontière.
De quoi éloigner toute fiction de retour.
Le 25 août, 200 000 Rohingya se sont rassemblés dans une marche pacifique
Pour commémorer les deux ans du Genocide Day, le jour du génocide, en référence au 25 août 2017, quand les militaires birmans ont incendié les villages de l’Etat de Rakhine, tiré à vue et dans le dos de ceux qui fuyaient. Alors s’agit-il d’une volonté délibérée de faire disparaître les Rohingya, à défaut de pouvoir les faire partir ?
Le projet du gouvernement de la première ministre Sheik Hassana, qui prévoit de transférer les Rohingyas sur l’île de Bashan Char, est freiné par la communauté internationale.
Dans l’île fantôme à quarante kilomètres des côtes, une île en proie aux inondations et aux cyclones, 100 000 logements vides les y attendent. Du côté des autorités, on évoque la sécurité : les téléphones seraient devenus un outil utilisé à des fins criminelles, un chaînon essentiel au trafic de drogue organisé par les Rohingya entre le Myanmar et le Bangladesh.
Pour Human right Watch, le black out téléphonique est un moyen de rendre invivable ce qui l’était déjà.
Les autorités devraient adopter une approche pondérée plutôt que réagir exagérément aux tension en isolant les réfugiés
Cette semaine, l’Union européenne a débloqué deux millions d’euros d’aide alimentaire au Programme alimentaire mondial de l’ONU pour les camps Rohingya de Cox’s bazaar.
Un montant qui semble complètement en décalage avec la réalité des besoins et les 80% de réfugiés qui en dépendent.
Aucune déclaration n’a été faite en revanche pour accueillir des Rohingya dans l’Union, et la situation de ces réfugiés fait inévitablement écho aux conditions des demandeurs d’asile en Europe.
Pendant ce temps dans les camps, l’information circule par hauts parleurs, à défaut de téléphone. Ils permettent de se préparer avant une pluie torrentielle, de situer l’assistance médicale, de s’informer de la situation en Birmanie, de relayer les décisions des autorités.
Dans les zones sans réseaux du Bangladesh, les Rohingya luttent désormais contre l’oubli.
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