Depuis que le Washington Post a fait son portrait, Naomi Seibt fait l'objet de dizaines d'articles en Europe et aux Etats Unis. Selon une enquête du média d'investigation allemand Corretiv, elle est en fait l'arbre qui cache la forêt des climato-sceptiques.
C’est l’histoire de “l’anti-greta Thunberg”.
C’est comme ça en tout cas que le Washington Post, qui a publié son portrait cette semaine, décrit Naomi Seibt une jeune youtubeuse de 19 ans, originaire de Münster. Et elle fait, depuis, l’objet de dizaines d’articles dans la presse allemande.
Si on se rend sur la chaîne Youtube de Naomi Seibt, on découvre une jeune fille au visage encore poupin se présenter comme une ancienne écologiste naïve devenue réaliste. Dans ses vidéos sous-titrées en anglais, elle dénonce “l’alarmisme climatique” ambiant, l’éco-fascisme rampant en Allemagne et l’idéologie “anti-humaine” de la lutte contre le réchauffement climatique.
Le tout au milieu de vidéos qui cumulent une centaine de milliers de vues et où “l’anti-greta” dénonce également l’invasion migratoire, le complot des médias et des ONGS, et où elle proclame sa fierté patriote.
Alors pourquoi la presse s’intéresse t-elle à une militante encore marginalement connue il y a quelques semaines, réputée proche du parti d’extrême droite allemand l’AFD ?
Et bien en fait, c’est parce que Naomi Seibt serait l’arbre cachant la forêt d’un lobby climato-sceptique de grande ampleur.
Dans une enquête menée par le média d’investigation allemand à but non lucratif Correctiv, et paru au mois de décembre, il apparaît que Naomi Seibt a été choisi par un think tank conservateur américain, le Heartland Institut pour devenir, selon les propres mots de son dirigeant, “la star des climato-sceptiques”. Nous y voilà. En cause, les mesures anti-diesel et anti-charbon prise par l’Allemagne dans le cadre de l’accord de la COP21 de Paris. Le thinktank, relayé en Allemagne par une fondation proche de l'AFD, craint que l’épidémie verte ne se répande sur l’Europe, et, qui sait, ne traverse l’Atlantique. L’enquête de Correctiv, en partie filmée en caméra cachée, est édifiante.
Les cadres de Heartland proposent à leurs potentiels clients des moyens de financements totalement anonymes. Ils mettent aussi en avant la possibilité d’acheter des publications scientifiques à des professeurs de grandes universités américaines comme Princeton ou Harvard pour instiller le doute quant à la responsabilité de l’Homme dans le réchauffement climatique. Parmi les donateurs de la fondation, l’enquête cite sans trop de surprise, des géants du pétrole et de la métallurgie.
Face à la révélation d’une telle force de frappe, on peut se demander pourquoi, alors que les détracteurs de Greta Thunberg ironisent régulièrement sur sa jeunesse et son hystérie supposée, pourquoi avoir besoin d’une étudiante de Münster de 19 ans pour désarçonner les tenants de l'économie verte. Et bien c’est justement parce que ni les articles scientifiques corrompus, ni les millions de dollars injectés en campagnes de communication, ni même les stratégies de diffamations à l’encontre de la jeune suédoise n’ont permis de freiner son ascension et la prise de conscience publique face au dérèglement climatique.
"Il n’y a que Greta-Thunberg qui puisse battre Greta Thunberg", voilà comment pourrait se résumer l’analyse du Heartland Institut. Et voici donc l’anti-Greta Thunberg, son double inversé. Quand le modèle parle avec passion de l'urgence climatique et de ses rêves perdus, l’anti-Greta s’excuse de sa jeunesse et joue la carte de la raison et du raisonnable. Alors que les marches pour le climat manifestaient encore hier partout dans le monde, l’histoire de “l’anti-Greta” est un demi-aveu de faiblesse pour ceux qui voudrait faire du réchauffement climatique une simple opinion politique.
L'enquête de Correctiv : https://correctiv.org/en/top-stories-en/2020/02/11/the-heartland-lobby/
par Mattéo Caranta
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