

Ilham Tohti, symbole de la répression des Ouïghour du Xinjiang, a été condamné à la prison à vie en 2014. Sélectionné sur la liste des prix Sakharov pour la liberté de pensée et du Nobel de la paix, il a reçu cette semaine le prix Vaclav Havel.
A propos d’ailleurs je vais vous parler d’un homme à qui on a remis un prix.
Vous savez, l’automne c’est la saison des feuilles mortes, mais c’est aussi la période des prix, littéraires comme le Goncourt ou les Nobel, mais aussi des prix politiques qui permettent par exemple de mettre en avant des symboles de la lutte pour les droits de l’homme ou pour la paix.
Dernier en date cette semaine, le prix Vaclav Havel remis par le Conseil de l’Europe qui honore l’engagement d’une personnalité pour les droits civiques. Et le lauréat de cette année est Ilham Tohti.
Ilham Tohti est un dissident Ouïghour, ce peuple musulman et turcophone du nord-ouest de la Chine qui, sous couvert de lutte anti-terroriste, subit une répression extrêmement dure de la part de Pékin. On parle aujourd’hui de plus d’un million de personnes internées dans des camps dit de “rééducation”.
Ce professeur de géographie, également économiste, propose une critique plutôt modérée des discriminations subies par son peuple, et défend un dialogue entre les communautés chinoises et les minorités, qu’elles soient Tibétaines, Ouïghours ou Mongols.
En plus d’être laïque et pacifiste, Ilham Tohti s’est opposé publiquement aux séparatistes.
Bref, Ilham Tohti avait tout pour être l’opposant idéal de Pekin qui aurait pu mettre en scène, à peu de frais, sa capacité au dialogue.
Et pourtant, en 2014, le gouvernement de Xi Jinping a envoyé le message symétriquement opposé en condamnant Ilham Tohti à la réclusion à perpétuité pour “dissidence” et “séparatisme” faisant de lui le "Mandela Ouïghour" des réseaux sociaux.
Cinq ans donc que Ilham Tohti est en prison, deux ans qu’on ne sait plus rien de lui. Et depuis, à défaut d’être libéré et à défaut d’un soutien officiel par les Etats Occidentaux, Ilham Tohti reçoit des prix.
En 2016 le prix Ennals à Genève, considéré comme le "prix nobel des Droits de l’Homme" et cette année le prix Vaclav Havel. Le dissident chinois est également parmi les finalistes du prix Sakharov pour la liberté de l’esprit et sur la liste du Nobel pour la Paix.
Mais on peut se demander ce que peuvent ces prix dans la balance diplomatique avec la Chine.
Décerné le 30 septembre, la veille de l’anniversaire des 70 ans de la République Populaire de Chine, ce prix est un petit caillou dans la botte de Xin Jinping :
“Rien ne peut ébranler les fondations de notre grande nation. Rien ne peut empêcher la nation et le peuple chinois d’aller de l’avant” a déclaré le dirigeant Chinois mardi devant la porte Tienanmen, surtout pas un prix des Droits de l’Homme, pourrait-on conclure.
Une Chine toute puissante qui ne veut rien “laisser passer”, selon la Sinologue Marie Holzman, qui m’a rappelé hier au téléphone les mesures de rétorsion de grande ampleur qu’avait connue la Norvège quand elle avait décerné en 2010 le prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo, mort depuis en prison.
Selon le journaliste Eric Chol, qui a co-publié cette semaine Le midi à Pékin, ces prix, bien qu’ils ne détournent d’aucune manière les Chinois de leurs objectifs (L’Unité des Hans, l’unité du parti communiste et le contrôle culturel), ces prix agacent le régime et mettent en relief un paradoxe qui pourrait s’énoncer de la façon suivante:
“malgré sa puissance, la Chine veut être aimée. “
Et il semble que ce ne soit pas le cas. Selon les chiffres d’une étude du centre de recherche américain Pew publiée aussi le 30 septembre, la perception de la Chine est majoritairement négative en Occident, et frôle la chute libre partout dans le monde, à quelques exceptions près.
La Chine fait peur, et cette réalité dérange les visées culturelles du “Rêve Chinois” cher à Xi Jinping. Dans la phraséologie du dirigeant, pour Eric Chol, il y a l’idée d’une “communauté de destin partagé. Un soft power ébranlé par ces prix décernés aux dissidents.”
A défaut d’infléchir le cours de la politique interne ou ses relations diplomatiques, ces prix permettent au moins à Ilham Tohti dont on ne connaît pas l’état de santé, de ne pas tomber dans l’oubli.
En attendant, il n’y a plus qu’à espérer que le “Mandela Ouigour” ne reste pas, comme Mandiba, 27 ans derrière les barreaux…
Voir l’étude du centre de recherche PEW :
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