Françoise Pétrovitch saisie par Watteau

Françoise Pétrovitch
Françoise Pétrovitch - Hervé Plumet (courtesy Semiose, Paris)
Françoise Pétrovitch - Hervé Plumet (courtesy Semiose, Paris)
Françoise Pétrovitch - Hervé Plumet (courtesy Semiose, Paris)
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Un court entretien comme une humeur du jour à partir de cette question : À quoi pensez-vous ? L'artiste Françoise Pétrovitch, qui expose en ce moment à la galerie Semiose, y répond au micro d’Arnaud Laporte.

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Chaque matin, comme un avant-goût du grand entretien du soir (à 19h dans l'émission Affaires Culturelles, ou en podcast et à la réécoute), Arnaud Laporte interroge ses invités sur ce qui les occupe, les préoccupe dans l’actualité, leur quotidien ou leur pratique artistique.  La question est simple : À quoi pensez-vous ? Un moment éminemment subjectif…

À quoi pensez-vous ?

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Françoise Pétrovitch Je pense à une visite que j'ai faite au Louvre dernièrement, où j'ai revu une peinture de Watteau.  Le Louvre étant pratiquement vide, c'est extrêmement agréable. Souvent, je vais dans ce musée pour voir juste une salle, une période, un peintre, et j'ai été saisie une fois de plus par cette grande peinture que l'on appelle Pierrot ou Gilles. Il est dans les salles du 18ème, c'est une très grande peinture - la plus grande de ce peintre je crois, une peinture monumentale qu'il a réalisée à la fin de sa vie. Et j'ai ressenti devant cette toile, devant ce personnage tout seul, un sentiment qui est exactement le sentiment d'incertitude et de vide que j'ai l'impression que l'on ressent en ce moment, c'est-à-dire une espèce d'immobilité pesante. Il est cette grande figure centrale, les bras ballants, engoncé dans un habit nacré. Il irradie et en même temps il a un regard complètement perdu. J'ai eu l'impression qu'il semblait chercher une réponse dans les yeux du spectateur, une réponse que l'on n'a évidemment pas. Sur le tableau, il y a quatre personnages de la Comedia dell'arte qui sont en bas, un peu en contre-plongée, et eux ne semblent pas être dans le même monde. Ils ont l'impression que tout continue, ce sont des gens qui ne voient pas, qui s'agitent, et leur comédie continue. J'ai fait le parallèle avec les gens, les politiques, notamment, qui aujourd'hui foncent dans le mur et veulent absolument retrouver le monde d'avant. Cette espèce de comédie qu'on se joue, et cette espèce de vitesse. Et lui est là, devant, il est lumineux, mais c'est un personnage qui est obscur aussi, et c'est ça qui m'a touché.  

"Pierrot", ou "Gilles" (Watteau, circa 1718 - 1719)
"Pierrot", ou "Gilles" (Watteau, circa 1718 - 1719)
- Jean-Antoine Watteau

C'est vrai que chez Watteau, il y a souvent ces scènes de fêtes et de spectacles, mais là, c'est l'idée du spectacle terminé ? Ou celle qu'il n'y aura plus jamais de spectacle ? C'est peut être ça aussi l'interrogation qu'on ressent aujourd'hui devant ce personnage. 

Moi, face au tableau, j'ai eu le sentiment d'une grande pause, c'est à dire qu'il y a un grand vide, qui est dans le ciel aussi. Et il y a le frémissement de la nature qui encadre ce personnage. Il y a vraiment quelque chose d'irréel, et d'arrêté.  

Ne voit-on pas toujours les œuvres différemment, selon le temps ? Selon son propre temps ?

Je suis allée souvent voir ce tableau parce que je l'aime beaucoup. J'ai même réalisé une vidéo à partir du Gilles de Watteau, et là, c'est vrai que je l'ai perçu par le biais de ce qui me préoccupe en ce moment. Mais j'ai trouvé ça assez édifiant, en tout cas assez visible. Et aussi, puis, c'est une formidable peinture est aussi un très grand peintre. Même si on est dans le vide qu'exprime le tableau, on sait que la beauté est là.  

Françoise Pétrovitch, le mardi 15 septembre 2020

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