Athènes et les origines de l’écriture : épisode 1/5 du podcast Vassilis Alexakis, un homme émerveillé

Vassilis Alexakis
Vassilis Alexakis ©AFP - Vassilis Alexakis
Vassilis Alexakis ©AFP - Vassilis Alexakis
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L'œuvre de Vassilis Alexakis est traversée par de forts accents autobiographiques. Il était naturel par conséquent pour cette première rencontre de remonter aux sources : la Grèce, où il naquit en 1943 et où l'écrivain puise de puissants matériaux pour élaborer ses livres, mais pas seulement.

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Vassilis Alexakis est romancier. Né en Grèce en 1943, il vit en France depuis 1968, année où il s’est installé à Paris après des études de journalisme à Lille, alors qu’à Athènes sévissait la dictature. Depuis Le Sandwich , son premier roman publié en 1974, jusqu’à L’enfant grec  (Prix de la Langue française 2012) en passant par La langue maternelle (Prix Médicis en 1995), Vassilis Alexakis écrit en français ou en grec, se traduit lui-même et partage aujourd’hui son temps entre la Grèce et la France. Au fil des ans, il a construit une œuvre importante, singulière et cohérente, à l'intérieur desquelles les questions relatives aux langues et au langage sont devenues des thématiques à part entière.

Les familles sont faites d'histoires.                
Vassilis Alexakis

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Avant d'évoquer son histoire familiale et son enfance athénienne, passée dans le quartier de Kallithéa, Vassilis Alexakis livre un merveilleux souvenir d'enfance qui semble avoir scellé son destin de romancier :

Vassilis Alexakis : Quand j’étais enfant, mes parents louaient l'été une petite maison sur l’île de Santorin, au bord de la falaise. A l'époque, la sieste était un devoir national. Moi, je n'arrivais pas à dormir, et ma mère qui s’ennuyait elle aussi, venait s'asseoir au bord de mon lit et pour passer le temps, elle me montrait les taches d'humidité sur les murs. Santorin est une île très humide et les maisons troglodytes sont très mal aérées. Donc, il y avait sur les murs des taches d'humidité très visibles, sombres, comme des ombres. Ma mère me demandait d’y reconnaître des visages, des personnages, des animaux. Et puis, à partir de là, de raconter une histoire. Évidemment, pour quelqu'un qui, plus tard, va vouloir écrire des romans, c'était un exercice formidable, aussi précieux que les exercices pour les Papous dans la tête que je faisais à France Culture. C'est ma mère qui m'a initié à l'art d'inventer à partir d’une contrainte, d'une figure imposée. Au fond, ma mère faisait du Georges Perec sans le savoir. Plus tard, quand je me suis retrouvé devant ma page blanche, j'ai toujours repensé au mur de la maison de Santorin.

Vassilis Alexakis est né à Athènes d’un père comédien, catholique, né à Santorin et aux lointaines origines italiennes, et d’une mère orthodoxe, issue d’une famille grecque d'Istanbul. Interrogé sur la façon dont ce métissage a pu influer sur son parcours, l'écrivain évoque la façon dont il s'est nourri, davantage que de la transmission de cultures différentes, d'histoires...

Vassilis Alexakis : Je ne sais pas vraiment quelle est l'importance de mes origines ! Du côté de ma famille paternelle, on racontait que les ancêtres avaient fui la Crète au moment des Croisades pour s'établir à Santorin. Il y a en effet beaucoup de catholiques dans les Cyclades depuis l'époque des Croisades. A cela se sont ajoutées des origines italiennes un peu mystérieuses. Ma grand-mère prétendait être née d’un acteur italien qui, en tournée dans les Cyclades, serait tombé amoureux de Santorin et s’y serait installé. Mais tout cela, c'est des histoires. Les familles sont faites avant tout d'histoires.

Quant à voir dans l’histoire de cette famille aux origines multiples l’origine de sa propre vie placée sous le signe du déplacement, de l’exil, c’est un pas que Vassilis Alexakis ne franchit pas, préférant une explication plus vaste :

Vassilis Alexakis : J'associe plutôt cette inclination au voyage à l'histoire de la Grèce qu'à celle de ma famille. Tout Grec a toujours eu un pied à l'étranger. Dans l'Antiquité déjà, la question que l’on posait le plus souvent à la Pythie de Delphes était "Est-ce que je dois m'expatrier ?" La préoccupation des Grecs a toujours été de voir s'il y avait moyen de faire fortune ailleurs. C'est une histoire très ancienne, depuis Ulysse. Le voyage fait partie de l'identité grecque.

Au cours de cet entretien, Vassilis Alexakis revient sur son rapport à la langue française, et sur les circonstances de ses premiers contacts avec elle, après ses études de journalisme à Lille, et dans lesquelles il voit l'origine de son "rapport très détendu" au français :

Vassilis Alexakis : En arrivant à Paris en 1968, j'ai dû changer de langue. Et ensuite, pendant toute ma carrière de journaliste, c'est à dire pendant quinze ou vingt ans, j'écrivais tous les jours en français. C'est une expérience considérable pour un étranger. Le journalisme a été ma véritable école de la langue. Je n'ai jamais subi le français classique que l'on enseigne aux écoliers dans les lycées français.  C'est ce qui explique que j'ai un rapport plus détendu avec le français. Et c’est sans doute à cause de ce rapport avec le français vivant, le français parlé, que dans mes premiers livres, Le Sandwich, Les Girls du City-boum-boum et La tête du chat, que j’ai publiés respectivement en 1974, 1975 et 1978, il y a énormément de dialogues. Je pense que pour un étranger, il est plus facile de devenir auteur dramatique que romancier. Le dialogue, c'est quelque chose qu'on entend à longueur de journée. La prose est plus difficile et ça ne m'étonne pas que la proportion de dialogues était si importante dans mes romans jusqu'au troisième, où j'ai commencé à trouver un équilibre.

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