Dans ce quatrième épisode, Claude Ventura raconte la mythique émission Cinéma, Cinémas, coproduite avec Michel Boujut et Anne Andreu.
La mythique émission Cinéma, Cinémas (1982-1991) a été créée dans la foulée de l’arrivée de la gauche au pouvoir. Le critique Michel Boujut, à qui on avait demandé de faire un magazine sur le cinéma, a contacté sa consœur Anne Andreu, puis Claude Ventura. Surpris que dans la première réunion, il y ait douze critiques de cinéma et un seul réalisateur, lui, il a plaidé pour l’inverse : « que ce soit un magazine de réalisateurs, qui soit de la réalisation autrement ». La première émission ayant reçu de bonnes critiques, il a accepté de continuer, à condition d’en être coproducteur. Etant hors du monde de cinéma, contrairement à Boujut et Andreu, il avait une liberté totale qui lui permettait de se fâcher avec n’importe qui, et Boujut ne se privait pas de refuser des sujets en lui mettant tout sur le dos. L’émission innovera en proposant des sujets de longueurs inégales, contrairement au formatage de la machinerie télévisuelle, avec encore une fois un générique très long, illustré par le peintre Guy Pellaert, qui (voir l’épisode deux) créait une sorte de petite barrière à franchir dans le flot d’images, l’émission étant diffusée sur une chaîne généraliste. C’est sa monteuse, Lise Beaulieu, qui a eu l’idée des séquences introduites par Eddie Constantine ouvrant des portes, des images tirées de l’Alphaville de Jean-Luc Godard. Et pas de présentateur, mais la très belle voix off de Michel Boujut.
"Le cinéma tel qu'on le rêvait"
Cinéma, Cinémas était à la fois dans le cinéma contemporain (avec des séquences restées célèbres, sur les tournages de Maurice Pialat ou John Cassavetes, notamment), mais beaucoup aussi dans le mythe, dans l’histoire du cinéma. « C’était le cinéma tel qu’on le rêvait, et qu’on essayait de retrouver », même si lui ne se revendique pas comme cinéphile : le cinéma, il ne l’a pas découvert à la Cinémathèque française, mais avec son père dans les cinémas de quartier de son enfance, des établissements pour la plupart disparus. Et chaque fois qu’il tournait à Hollywood, il se disait : « Si mes copains me voyait ! Là je suis avec Jane Russell ! Je suis avec Robert Mitchum ! » Son guide à Hollywood était Philippe Garnier, rencontré pour un sujet de Pop 2 quand il faisait son service militaire, et qui vivait à Los Angeles. Logés dans le Highland Gardens Motel (où la chanteuse Janis Joplin était morte d’overdose), ils imaginaient au bord de la piscine qui ils pourraient rencontrer. Leur premier sujet important a été Frank Capra, qu’ils ont pris en photo avec le clap de l’émission, ce qu’ils ont fait ensuite avec toutes les personnes qu’ils ont filmées : c'est ce qui leur servait de carte de visite pour convaincre les suivantes. Souvent des personnes illustres en leur temps, mais alors vieillies et sur la touche, ce qui a toujours donné une dimension mélancolique à l’émission, comme dans tout ce qu’il fait. Même si ce n’était alors pas voulu, l’émission était contemporaine de la théorisation, par Serge Daney et Jean-Luc Godard, de la « mort du cinéma », et 30 ans après, les sujets tournés pour Cinéma, Cinémas prennent une signification qu’ils n’imaginaient pas alors.
Des séquences mythiques
Pour expliquer comment les entretiens étaient mis en scène (dans Cinéma, Cinémas, les images étaient souvent plus importantes que ce qui était dit, et utilisaient tous les clichés de cinéma : les chambres d’hôtel, les lits défaits, les cabines téléphoniques…), Claude Ventura revient sur quelques tournages fameux, comme celui avec Dana Andrews, ou Robert de Niro (et le caniche qui tire sur la nappe, ajouté en fait en postproduction, avec ses pieds à lui pour figurer ceux de la star), ou encore celui avec Clint Eastwood, dont ils ont bidouillé les questions, pour lui faire dire qu’il venait à Paris rencontrer Jean-Luc Godard, d’où quelques hurlements de l’attachée de presse de la Warner à la diffusion du sujet ! Ou encore un tournage avec Peter Falk, où la prise de son n’avait pas fonctionné, et qu’ils ont donc doublé avec sa voix française, Serge Sauvion. Philippe Noiret, qui jouait à dire le contraire de ce qu’il venait de répondre à la même question, ou Pascale Ogier, qui répondait à des questions inconnues que la main de Claude Ventura lui glissait dans le plan. Robert Mitchum, très imbibé, qui évoque Les Indomptables de Nicholas Ray et La Nuit du chasseur de Charles Laughton (« J’aurais voulu être Robert Mitchum, plutôt qu’Alain Delon »), ou Dominique Sanda, commentant le physique des réalisateurs.
Et puis au bout de 9 ans, en 1991, l’émission s’est arrêtée, et conclue avec un des plus beaux sujet d’André S. Labarthe pour Cinéma, Cinémas : Adieu Rita, très critique sur les rapports entre télévision et cinéma.
Générique
Une série d'entretiens produite par Antoine Guillot. Réalisation : Séverine Cassar. Attachée de production : Daphné Abgrall. Prise de son : Christophe Goudin. Coordination : Sandrine Treiner.
Pour aller plus loin
Bande annonce coffret Cinéma Cinémas. Claude Ventura a recomposé une série de 12 émissions à partir des séquences les plus emblématiques de Cinéma Cinémas
Filmographie
Télévision
1968-1970 : Tous en scène
1973 : Italiques
1974 : Extraits du journal de J.-H. Lartigue
1970-1974 : Pop2
1975 : La Vie filmée 1946-1954
1980 : John Lewis
1982-1991 : Cinéma, Cinémas, magazine TV
1982 : Chorus
1981 : Sonny Rollins
1995 : Hank Williams, vie et mort d'un Cadillac Cow-Boy
1995 : Johnny Hallyday, All Access
1998 : Eddy Mitchell
1998 : Scott Fitzgerald, Retour à Babylone
1999 : Gina, Sophia et moi
2002 : La Femme de papier
2005 : Guy Peellaert, l’art et la manière
2006 : Jacques Monory
Documentaires
1993 : Chambre 12, Hôtel de Suède
1988 : À la recherche de la couleur perdue
2000 : En quête des sœurs Papin
2013 : Les Garçons de Rollin
2016 : Fitzgerald - Hemingway, une question de taille (série télévisée Duels)
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