Du plomb dans l'âme : épisode 1/5 du podcast Bernard Stiegler, la philosophie et la vie

France Culture
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Bernard Stiegler a passé son enfance à Sarcelles. Malgré un parcours scolaire brillant, il se désintéresse de l’école, s’en échappe pour découvrir le vrai monde des intellectuels que lui ouvre son grand frère.

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C’est devant le poste de télévision familial que Bernard, enfant, se lie au monde culturel. Son père en est un artisan puisqu’il est un des tous premiers ingénieurs électroniciens français embauchés pour travailler à l’ORTF. Mais c’est surtout grâce à sa mère que lui et ses quatre frères vont s’initier au cinéma, au théâtre, à la littérature.

A l’école, ce n’est pas que j’étais provocateur, mais je disais les choses comme je le pensais. Je ne comprenais pas mes professeurs, et les élèves de ma classe étaient des gamins. Je m’ennuyais terriblement. Bernard Stiegler

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Avide d’apprendre, il s’ennuie pourtant terriblement à l’école. En décalage, et sans doute trop mature à son âge, il détourne son attention des cours et exaspère le corps enseignant. Mais la chance fait que son grand frère l’intègre dans son cercle d’amis, dont un qui suit une filière de philosophie. Alors Bernard Stiegler commence à toucher du doigt la grande littérature, la poésie et, de fait, à l’âge de quatorze ans, à entretenir une vie nocturne teintée de spleen et d’alcool. 

J’étais tiré, hissé par mes aînés. Un des amis de mon grand frère, alors en classe prépa de philo, très brillant, nous a fait découvrir à mes frères et moi la poésie de Rimbaud, Baudelaire, la littérature, et aussi la philosophie. Nous lisions des poèmes, en musique, nous composions sur de l'Apollinaire, nous développions une culture comme ça, une culture surréaliste. A cette époque j’ai commencé à consommer de l’alcool. Mais c’était une pratique littéraire. L’alcool donnait du relief à nos vies. Nous passions nos soirées à écouter du jazz, lire des textes, et picoler. Bernard Stiegler

Régulièrement, le petit groupe se réunit, lit, débat, s’enivre, dans leur petit cercle littéraire pour refaire ce monde en pleine mutation sociale. Né en 1952, c’est donc adolescent qu’il vit la crise sociale de 68, à l’âge de seize ans. Attiré par les matières artistiques, la peinture, le théâtre, la musique, il change de lycée et intègre un établissement du 16ème arrondissement de Paris qui pourra lui garantir une perspective plus adaptée à ses sensibilités. Mais dans cet écosystème, il se heurte à une pensée de droite qui exacerbe en retour ses convictions personnelles et catalyse sa politisation. Une situation brève puisqu’il sera expulsé de ce lycée. 

Je décide finalement de faire un bac artistique à Claude Bernard, où je découvre des élèves d’extrême droite. Je vais alors en réaction entrer à Lutte Ouvrière et je vais commencer à me politiser vraiment à ce moment-là. Bernard Stiegler

En dehors du parcours scolaire, il va se construire une éducation alternative, toujours avec son grand frère et ses amis, sur fond de tabac et d’alcool. Dans la décennie qui s’ensuit, il faudra bien de l’euphorie pour supporter, comme Bernard Stiegler le rappelle, les années de plomb, années 70 en proie à un désenchantement lent et profond. Il se tourne vers le PCF où il va trouver des idées rafraîchissantes, celles de Lacan, Saussure, Barthes, Lévi-Strauss. Sans orientation ni plan de carrière, sans plan de vie tout court, il provoque lentement sa première bifurcation. 

Remerciements à l'association Ars Industrialis et à Benoît Robin, membre de Ars Industrialis.

Une série d'entretiens proposée par Céline Loozen. Réalisation : Guillaume Baldy. Attachée de production : Daphné Abgrall. Prise de son : Georges Thô. Avec la collaboration d'Iseult Sicard.

Pour aller plus loin

  • Biographie et bibliographie de Bernard Stiegler sur le site d' Ars Industrialis.
  • Bernard Stiegler, philosophe trop technique, Usbek & Rica, 10 août 2016.

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