

Théoricien du spiralisme, une nouvelle esthétique rendant compte du chaos naturel et harmonieux, Frankétienne en explique les principes dans ce troisième entretien et revient aussi sur son engagement politique, lui qui a toujours refusé l'exil.
- Frankétienne poète et dramaturge
Frankétienne parle de spiralisme dans ce troisième opus d'"A voix nue", il explique cette notion venue des sciences mais qui selon lui "est omniprésente dans la vie". Elle dépasse en cela la dialectique qui est "une vision sur le fonctionnement du monde", alors que la spirale "elle-même est la vie, est le monde". Cette nouvelle esthétique permet de capter les mouvements désordonnés et l’anarchie de la vie et de saisir ainsi la mystérieuse harmonie du chaos.
Je n'ai pas fondé la spirale, je n'ai pas inventé la spirale. Si Frankétienne a un mérite, il est dans le fait d'avoir exploité jusqu'au bout une notion qui a été mise de côté, considérée simplement comme une donnée scientifique. La spirale est une ligne ou un ensemble de lignes qui partent d'un point et qui se développent et qui s'élargissent comme les tentacules des galaxies. Je n'ai pas inventé la spirale, encore moins le spiralisme, parce que moi, je déteste les "ismes", parce que ça fait trop rigoureux.
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Partant de cette idée que le mouvement en spirale est présent partout dans la vie (les galaxies, les cyclones, la double hélice de l'ADN...), Frankétienne a cherché à produire des œuvres qui "rappelleraient ce mouvement fondamental de la vie qui est le mouvement en spirale".
Paru en 1967, Mûr à crever est un roman qui dénonce la dictature de Duvalier en Haïti. Si Frankétienne a pu être inquiété par le régime, il ne s'est jamais résolu à l'exil. Entré au Parti Communiste Haïtien en 1965, il en est vite parti, révolté par "la ruse, la supercherie, la magouille" qu'il voyait au sein même du Parti.
A présent, je demeure ce vieux militant mais avec quelque amertume, mais pas de regrets. Je ne regrette pas avoir été membre du Parti communiste, avoir pris position en 1965. Mais moi, je ne suis pas chez Guevara. Je n'avais aucune prétention de pouvoir manipuler une mitraillette ou un fusil. [...] Je ne peux pas changer. Moi, je suis le vieil écrivain. Je demeure écrivain. Je mourrai écrivain, poète, vieux fou si on veut.
En 1972, Frankétienne se choisit ce nom d'artiste, il en parle comme d'"une démarche importante", "une démarche consciente". Son vrai nom, Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d'Argent, choisi par ses parents pour le "protéger des mauvais esprits", il l'a porté "jusqu'à l'âge de 11 ans, avec beaucoup d'ironie, beaucoup de moquerie." Puis sa mère a changé son état civil en Franck Etienne. A 36 ans, au moment de la parution d'Ultravocal, il décide d'accoler son prénom et son nom. Il le raconte ainsi :
Sur la première couverture, vous allez mettre Frankétienne, sans le "c", mais collé, agglutiné, d'un seul tenant. Et ça m'a donné l'impression progressivement - maintenant, c'est totalement enraciné au fond de moi-même - mais à l'époque, ça m'a donné la bonne impression, l'agréable impression d'être en paix, d'être uni avec moi-même, d'être en symbiose avec moi-même, de ne plus être dans la fragmentation. Il n'y a pas un prénom, un nom. Il y a quelqu'un qui s'appelle Frankétienne et c'est fini.
Par Delphine Japhet. Réalisation : Luc-Jean Reynaud. Prise de son : Pierre Quintard. Attachée de production : Claire Poinsignon.
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