Épisode 5/5 : "J’aime ajouter du mystère au mystère"

Ça aurait dû être un sujet pour Cinéma, Cinémas, et puis l’émission s’est arrêtée : Claude Ventura apprend un jour que l’Hôtel de Suède, dont la chambre 12 avait servi de décor au A bout de souffle de Jean-Luc Godard pour les scènes dans la chambre du personnage joué par Jean Seberg, Patricia, allait être refait. Il décide d’y projeter un personnage d’enquêteur, Xavier Villetard, pour retracer la genèse du film. Aidés en cela par Godard, qui, en refusant de répondre au téléphone sur le sens de la fin de son film d’un « Non mais, vous rêvez ! », leur donne le mode d’emploi du film, tourné en noir et blanc, pour faire ressurgir le Paris de la Nouvelle Vague. Des témoins d’abord approchés par téléphone, avant qu’on ne les rencontre et que se voie le passage du temps sur leurs visages, des tournages sur les lieux où se passait le film (la chambre 12, bien sûr, mais aussi la rue Campagne-Première, où meurt Michel Poiccard à la fin), « être là où le temps a passé », voici quelques-unes des méthodes de Claude Ventura pour que les fantômes puissent venir. Dans son quartier du 9e arrondissement parisien, il regarde toujours avec émotion les rues où Louis Feuillade a tourné en 1913 Juve contre Fantômas, ou François Truffaut Les Quatre Cents Coups en 1958.

Ajouter du mystère au mystère

Les fantômes du film suivant sont beaucoup plus sombres : en 2000, à la demande de la société ARP, qui produisait parallèlement, côté fiction, le film de Jean-Pierre Denis, Les Blessures assassines, Claude Ventura se lance En quête des sœurs Papin, du nom des célèbres Christine et Léa Papin, qui le 2 février 1933 assassinèrent sauvagement leurs patronnes au Mans, et inspirèrent ses Bonnes à Jean Genet. Avec une équipe des plus réduites (deux personnes), qui faisait attention de ne pas croiser celle, très imposante, du tournage de la fiction, le cinéaste mène à nouveau l’enquête, cette fois avec Pascale Thirode. Le film, qui évoque également les secrets cachés derrière la respectable façade de la bonne ville du Mans, lui a ainsi été inspiré par le célèbre polar de Dashiell Hammett, La Moisson Rouge. Il tourne dans la maison du crime et la salle des assises de l’époque, à l’abandon (« pour que les fantômes puissent venir, il faut qu’il y ait des herbes qui poussent et que ce soit un peu sauvage »), se fait raconter l’histoire par la très fantasque historienne locale. Et surtout, par son enquête opiniâtre, il finit par retrouver dans un asile de vieillards la cadette des deux sœurs, qu’on donnait morte depuis 1985. Après avoir hésité longtemps, il conserve finalement au montage cette image incroyable, qui la montre muette, suite à une attaque cérébrale, alors que tout le monde, depuis des années, aurait voulu qu’elle raconte ce qui s’était passé. Quasiment un truc de scénariste, qui permet à Claude Ventura, une fois de plus, de « rajouter du mystère au mystère ».

Les Garçons de Rollin

Dernière enquête évoquée par Claude Ventura, celle qu’il mène en 2013 sur Les Garçons de Rollin, du nom du lycée qui, à la Libération, a pris le nom de Jacques Decour, un de ses anciens professeurs, résistant fusillé en 1942 au Mont Valérien par les Nazis. Lui s’intéresse aux élèves de ce lycée, qui pendant l’Occupation ont été de la grande manifestation des lycéens devant l’Arc de Triomphe le 11 novembre 1940, puis ont vu leur destin dramatiquement diverger : certains sont entrés dans la Résistance, d’autres ont collaboré avec l’occupant, allant pour l’un jusqu’à s’engager dans la Waffen SS et combattre sur le front de l’Est, d’autres encore déportés parce que juifs. Claude Ventura enquête dans les archives de lycée, scrute les photos de classe à la recherche d’indices, et retrouve ainsi l’histoire et la trace de chacun des garçons d’une classe en particulier, dont certains, malgré leur engagement dans des camps opposés, resteront amis après la guerre. Et pour une fois, pas de personnage derrière qui se cacher : c’est bien lui l’enquêteur, lui qu’on voit chercher et commenter ce qu’il trouve. Peut-être parce que, quoi qu’il en dise, c’est le film qui est le plus proche de son histoire personnelle, lui qui a été un enfant caché pendant la guerre ?

Générique

Une série d'entretiens produite par Antoine Guillot. Réalisation : Séverine Cassar. Attachée de production : Daphné Abgrall. Prise de son : Christophe Goudin. Coordination : Sandrine Treiner.

Pour aller plus loin

Le film Chambre 12, Hôtel de Suède, sur la plateforme Henri de la Cinémathèque.

Le film En quête des sœurs Papin, sur la plateforme UniversCiné

Bande annonce du film Les Garçons de Rollin

Archives filmées du procès de la Maison de la Chimie. Plateforme Lumni.

Filmographie

Télévision

1968-1970 : Tous en scène

1973 : Italiques

1974 : Extraits du journal de J.-H. Lartigue

1970-1974 : Pop2

1975 : La Vie filmée 1946-1954

1980 : John Lewis

1982-1991 : Cinéma, Cinémas, magazine TV

1982 : Chorus

1981 : Sonny Rollins

1995 : Hank Williams, vie et mort d'un Cadillac Cow-Boy

1995 : Johnny Hallyday, All Access

1998 : Eddy Mitchell

1998 : Scott Fitzgerald, Retour à Babylone

2002 : La Femme de papier

1999 : Gina, Sophia et moi

2005 : Guy Peellaert, l’art et la manière

2006 : Jacques Monory

Documentaires

1993 : Chambre 12, Hôtel de Suède

1988 : À la recherche de la couleur perdue

2000 : En quête des sœurs Papin

2013 : Les Garçons de Rollin

2016 : Fitzgerald - Hemingway, une question de taille (série télévisée Duels)