Épisode 4/5 : "Je ne parle pas de moi même. J'en suis bien incapable parce que je ne sais pas de qui je parlerais"

Nathalie Sarraute, dans ce nouvel entretien, s'exprime sur sa façon d'écrire. A partir de la phrase "Vous ne vous aimez pas" qui se trouve au début de son roman Tu ne t'aimes pas, elle tente d'expliquer comment les phrases lui viennent, comment elle écrit "des paroles qui veulent rendre quelque chose", pour arriver à "cette désintégration de la personne". Elle ne peut pas se souvenir d'où vient cette phrase mais "elle a dû rester, ça reste toujours fichée quelque part, je ne sais où, et puis ça ressort brusquement. Je ne sais pas pourquoi."

Je ne me suis pas dit une seconde qu'il faut que je fasse un livre dans lequel il sera question de ça. Petit à petit, des impressions s'étaient amassées, au cours de toute une vie, qui avait été rangées quelque part, probablement. Et puis cette phrase est venue et je ne peux pas me rappeler comment et de quelle manière c'est arrivé.

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Quatre années séparent à peu près chacun de ses romans, c'est le temps qu'il faut à l'écrivaine pour trouver les mots, "ça ne suffit pas de trouver une sensation. Encore faut-il la révéler, la faire vivre à travers des phrases."

L'humour est quelque chose dont je ne me rends pas compte. Je crois qu'il vient peut-être de ce grossissement, d'une chose qui paraît infime et c'est ça qui est drôle. Et puis, de cette distance par rapport à la chose... Je crois que ça fait un effet d'humour.

Elle ne rejette pas le terme de réaliste pour définir son œuvre, bien qu'il ne s'agisse pas de réalité extérieure mais intérieure, que chacun, espère-t-elle, peut ressentir sans y prêter attention. C'est alors son rôle d'écrivain que de mettre des mots sur ces sensations qui ont pourtant "une certaine existence". "C'est de la vie intérieure qui, à mes yeux, est réelle dans ce sens qu'elle existe chez chacun, je crois."

Mais le langage, forcément, comme c'est un lieu commun, comme disait Sartre, forcément, il aplatit et il durcit. Il fige quelque chose qui est à peine saisissable et très mouvant. [...] C'est toujours ce déchirement, le langage, on en a besoin et la preuve, j'en ai besoin pour pouvoir le communiquer aux autres, c'est une nécessité absolue. En même temps, le langage, évidemment, fige et simplifie ce qu'on voudrait montrer.

Une série d'entretiens produite par Danièle Sallenave, réalisée par Daniel Finot et Vanessa Nadjar. Attachée de production : Daphné Abgrall et Odile Joëssel. Coordination : Sandrine Treiner.

Pour aller plus loin 

• Nathalie Sarraute "Le texte est toujours entre la vie et la mort" | Archive INA.
• Podcast France Culture, "Pour un oui, pour un non" de Nathalie Sarraute. En 2013 un cycle de l’intégral des pièces de théâtre de Nathalie Sarraute avait été conçu et proposé par Jacques Lassalle, réalisé par Etienne Vallès et diffusé en 5 soirées sur France Culture. Les textes des romans ont été choisis par Jean Torrent, et lus par Denis Podalydès  (Comédie Française) enregistrés à Avignon au Musée Calvet en juillet 2012.
• Nathalie Sarraute : vingt ans après, Colloque international dirigé par Johan Faerber, Ann Jefferson, Rainier Rocchi et Olivier Wagner. En partenariat avec l’université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle et l’Institut d’Études Avancées de Paris, Oct. 2019. 

Bibliographie

• Nathalie Sarraute, Œuvres complètes, La Pléiade, 1996. 
• Ann Jefferson, Nathalie Sarraute. Trad. de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat et Aude de Saint-Loup. Flammarion, coll. « Grandes biographies », 2019.