Troisième partie de la série "A voix nue" avec Toni Morrison qui porte sur l'écriture de l'amnésie et l'écriture des traumatismes. A travers ses livres "Tar Baby" et "Beloved", l'écrivaine expose ses sentiments à l'égard du passé esclavagiste de son pays.
- Toni Morrison Écrivaine, prix Nobel de littérature en 1993
3) L'écriture de l'amnésie et l'écriture des traumatismes
Dans ce troisième épisode d"'A voix nue" enregistré en 2006 et rediffusé en 2012, Toni Morrison aborde le sentiment de culpabilité présent dans son livre Tar Baby, sorti en 1981:
La culpabilité en vérité c'est une émotion de substitution, une émotion destinée à cacher les choses au même titre que le silence. Et la véritable émotion c'est la honte. Toni Morrison
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L'écrivaine poursuit sa réflexion sur la honte :
La honte c'est un savoir, c'est une information et si on peut éprouver la honte alors on peut travailler sur ce sentiment, on peut élaborer. Alors que si on ne la ressent jamais, si on ne la reconnaît jamais, alors on ne peut jamais s'en débarrasser et on ne peut jamais apprendre à partir de cette honte. Toni Morrison
Elle s'indigne aussi de ce discours autour d'une Amérique soit-disant innocente. Elle dit écrire au contraire une "littérature de l'impossibilité de l'innocence, d'une forme de corruption de l'innocence" :
Je vis dans un pays où on a que ce mot à la bouche : l'innocence ! Combien l'Amérique est pleine d'innocence, l'Amérique vue finalement comme un enfant, un nouveau-né. Mais tout cela ce n'est qu'une diversion. D'abord c'est faux, ensuite c'est infantile et puis c'est un mensonge. Je crois que les Américains devraient grandir un peu. Toni Morrison
Au sujet du passé, de son rapport à la mémoire, l'écrivaine souhaite faire "la différence entre d'une part se souvenir du passé et en rester prisonnier comme dans un musée où on ne peut plus aller de l'avant, ou alors reconnaître dans ce passé les erreurs qui ont pu être commises et en tirer des leçons."
Au sujet de Beloved, elle écrit sur le refus d'oublier l’histoire de l'esclavage :
C'est cette histoire qui marche debout, vivante, qui rentre dans la maison, qui s'assoit à table parmi eux et à ce moment-là on ne peut plus l'éviter. Il faut l'affronter, il faut y faire face afin, on peut l'espérer, de comprendre ce qui s'est passé et de le transcender. Toni Morrison
L'écrivaine ajoute en quoi le fantôme de l’enfant mort est une "métaphore" :
On pense à tous ces gens qui sont morts et qui n'ont jamais été enterrés, ensevelis convenablement, qui sont morts en mer par millions, des millions qui sont morts trois ou quatre ans après avoir posé le pied en Amérique. Morts de fatigue sous le fouet, morts de travail et qui n'ont jamais été enterrés, pleurés, dont on n'a pas fait le deuil. Ils sont encore là parmi nous et nous devrions leur prêter davantage d'attention parce qu'ils méritent qu'on porte leur deuil. Toni Morrison
Rediffusion de l'émission du 15/11/2006. Par Clémence Boulouque. Avec la collaboration de Claire Poinsignon et Gilles Davidas.
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