

Au début des années 1980 le travail humanitaire s’organise. Rony Brauman prend la tête de Médecins sans Frontières en 1982. Les premières années sont mouvementées, entre débats internes forts et multiplication impressionnante des terrains d’action.
- Rony Brauman Ancien président de Médecin sans frontières
Au moment où Rony Brauman rejoint Médecins sans Frontières, la très jeune organisation est secouée par d’intenses débats internes. Il y a d’un côté ceux qui souhaitent structurer davantage l’association, et de l’autre ceux qui, derrière Bernard Kouchner, préfèreraient garder ce comité très informel. C’est finalement Bernard Kouchner qui finira par quitter Médecins sans Frontières pour partir fonder Médecins du Monde. Au milieu de ces discussions parfois très virulentes, Rony Brauman, lui, souhaite s’organiser :
Est-ce que MSF conserve la forme de ce comité souple, volatile, qu’il avait jusqu’à présent, ou est-ce qu’on crée une structure capable d’approvisionner les équipes ? Moi par exemple dans le camp de réfugiés où je me trouvais, à un moment je n’avais plus rien, seulement de quoi remplir mon réservoir de voiture pour éventuellement rentrer à Bangkok. Pour me nourrir, je dépendais des réfugiés ! Il n’y avait pas de soutien logistique. On avait besoin d’arrières.
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Pour lui, l’enjeu est davantage là que dans la question de la médiatisation, autre élément de tension.
Ce qui avait fait problème, c’était un certain vedettariat. MSF avait des antennes régionales avec des gens qui trouvaient que les parisiens avaient trop tendance à montrer leurs bobines dans la presse. Ça a créé une ambiance conflictuelle, tendue. Mais je ne me reconnais pas dans ces débats.
Biafra, Cambodge : les deux mythes fondateurs de Médecins sans frontières
Rony Brauman lui aussi mobilise les médias pour alerter, comme au moment de la Marche pour la survie du Cambodge en 1980. Aujourd’hui, Rony Brauman en fait l’un des deux mythes fondateurs de MSF, des « mythes » car la réalité de la situation à combattre a sur le coup en partie échappé aux humanitaires :
MSF a deux mythes fondateurs : la lutte contre le génocide au Biafra (Nigéria), alors que le Biafra était une guerre de contre insurrection, pas une guerre génocidaire. Le génocide était un argument de propagande de guerre. (…) Et la marche pour la survie du Cambodge. Plusieurs années plus tard je me suis aperçu que ça avait été un coup pour rien, qu’il n’y avait pas de famine au Cambodge. L’aide devait être le levier de reconnaissance du nouveau régime. La famine était une ressource de communication…
Il devient président de Médecins sans frontières en 1982, à un moment où l’action humanitaire se développe et se structure de façon spectaculaire.
J’ai été douze ans président à une époque où la croissance de MSF était impressionnante. On doublait ou on triplait chaque année. MSF commençait à s’imposer comme un acteur médical sérieux.
MSF lance de très nombreuses missions, en Afghanistan, en Erythrée, en Angola, au Honduras, au Salvador, au Zaïre, en Ouganda, au Tchad, en Somalie… Des endroits où beaucoup de réfugiés fuient des régimes communistes.
"L’idée que l’humanitaire était par nature antitotalitaire était pour moi très importante"
Dans le même temps, Rony Brauman s’engage en 1984 sur le terrain des idées, en lançant avec Claude Malhuret Liberté sans frontières, un cercle de réflexion mettant en avant des idées anticommunistes, antitotalitaires, anti-tiers-mondistes.
Dans l’expérience de MSF, famines, déplacés, camps de réfugiés, tout cela était associé à des régimes communistes que je qualifiais de totalitaires.
Lui qui avait milité dans sa jeunesse à l’extrême gauche fréquente durant ces années-là des penseurs néoconservateurs, avant d’en revenir quelques années plus tard. Mais à travers ces débats c’est aussi une vision politique et militante de l’humanitaire que raconte et défend Rony Brauman.
Médecins sans frontières était antitotalitaire par choix car l’humanitaire tel qu’on le pratiquait était issu de la société, avait pris une forme associative, et cela ne peut se concevoir que dans une société explicitement autorisée à s’auto-organiser.
Une série d’entretiens proposée par Amélie Perrot. Réalisation : Marie Plaçais. Attachée de production : Daphné Abgrall. Prise de son : Yann Fressy. Coordination : Sandrine Treiner.
Bibliographie
- Guerres humanitaires ? Mensonges et intox, Rony Brauman, ( Ed. Textuel, 2018).
- La médecine humanitaire, Rony Brauman (Ed. PUF, 2018).
- Eloge de la désobéissance : le procès Eichmann : essai sur la responsabilité, Rony Brauman, Eyal Sivan (Ed. Le Pommier, 2015).
- La discorde : Israël-Palestine, les Juifs, la France, Alain Finkielkraut, Rony Brauman, conversations avec Elisabeth Lévy (Ed. Flammarion, 2008).
- Penser dans l'urgence : parcours critique d'un humanitaire, Rony Brauman, entretiens avec Catherine Portevin (Ed. Seuil, 2006).
- Humanitaire, le dilemme, Rony Brauman, conversation avec Philippe Petit (Ed. Textuel, 2002).
- Devant le mal : Rwanda, un génocide en direct, Rony Brauman (Ed. Arléa, 1994).
- Le poids de la pitié, William Shawcross. Traduit de l'anglais par Christiane Besse (Ed. Balland, 1985)
Pour aller plus loin
- Contributions de Rony Brauman sur le site de MSF et du CRASH.
- Biafra - Cambodge : un génocide et une famine fabriqués par Rony Brauman sur le site de MSF.
- Le film Un spécialiste, portrait d'un criminel moderne, réalisé par Rony Brauman et Eyal Sivan en 1999 à partir des images du procès d’Adolf Eichman en 1961 et des écrits d’Hannah Arendt.
- La Série Documentaire, France culture, Où va l’humanitaire ? Premier épisode : MSF, réfléchir avant d’agir. Une série de Michel Pomarède, réalisée par Vincent Decque. Décembre 2018.
- Kouchner/Brauman, duel sans frontières, documentaire réalisé par Juliette Senik en 2013, France 5.
- « Qu’est-ce qu’on fait là ? » entretien avec Rony Brauman dans la revue Vacarme, 1997.
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