La voie néguentropique : épisode • 4/5 du podcast Bernard Stiegler, la philosophie et la vie

Portrait du philosophe Bernard Stiegler
Portrait du philosophe Bernard Stiegler -  Isabelle Waternaux
Portrait du philosophe Bernard Stiegler - Isabelle Waternaux
Portrait du philosophe Bernard Stiegler - Isabelle Waternaux
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S’inspirant de Joseph Schumpeter, Marx et Engels, ou encore Alfred Lotka et Rudolf Clausius, il analyse les mécanismes de ce qu’il nomme le pharmakon : la technique comme remède et comme poison, l’entropie et la destruction créatrice.

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Un seul regard à la bibliographie de Bernard Stiegler révèle nombre de termes nouveaux, innovants, que le philosophe a édifié au long de sa vie : disruption, exosomatisation, capacitation, noétisation, néguentropocène avec un e, néguanthropocène avec un a et un h. Dans son système de pensée, ces mots permettent d’exprimer des idées neuves, portées par la motivation profonde de Bernard Stiegler de refondre la société sur des principes radicalement différents. 

Oui, j’ai créé un grand nombre de termes. Mais Condillac l’affirmait ; une science est avant tout une langue. L’invention, qu’elle soit  philosophique, scientifique, ou artistique repose toujours sur la production d’un vocabulaire nouveau. Et c’est normal. Au nom du fait que la philosophie devrait être accessible à tous, et elle doit l’être, il ne faudrait pas qu’elle utilise des langages formels. C’est une erreur. Bernard Stiegler

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Pour y parvenir, il faut rénover la mécanique profonde de nos sociétés, basées sur le consumérisme et la capitalisation. La phase de disruption, de décadence peut alors servir de transition pour améliorer nos modes de penser et d’agir, pour entrer vers une ère post anthropocène, tournée vers la coopération, l’investissement, le local et le soin, qu’il nomme le néguentropocène. Bernard Stiegler fait partie des philosophes pour qui la technique et l’innovation sont au cœur du développement des sociétés humaines. Mais développement n’est pas synonyme de progrès, car trop fondé sur l’innovation destructrice, et c’est sous le terme de pharmakon que Bernard Stiegler nomme ces remèdes-poisons que sont les technologies, le numérique et le web.

Nous sommes dans une immense crise du savoir. Le savoir complètement dépassé par la disruption, par l’accélération destructrice des innovations dans la société. Le fondateur de Google, qui a une thèse en philosophie, fait partie de ces gens qui produisent des formes de savoirs technologiques extrêmement dangereuses parce qu’inachevées. Bernard Stiegler

Reprenant la formule de Heidegger, il montre dans son ouvrage Qu’appelle-t-on panser ? que nous sommes tantôt soignés, tantôt intoxiqués par ces pratiques. Alors, comment apprendre au niveau individuel et collectif à soigner, se soigner, nous soigner ? Ces pharmaka, qu’il reprend de Derrida et de La pharmacie de Platon, ne sont pas juste des principes théoriques issus de la fin des âges : il les applique et les met en oeuvre à travers de grandes expérimentations en territoire urbain comme en Seine Saint-Denis. 

Plus profondément, sa méthodologie s’appuie également sur les disciplines de la physique, de la mécanique, de la thermodynamique, pour en tirer des principes qu’il plaque sur des phénomènes sociaux. La viabilité de telles transpositions conceptuelles par-delà les disciplines est tout à fait raisonnable, féconde et rigoureuse, selon le philosophe, qui prélève dans les travaux de Sadi Carnot, Rudolph Clausius ou Erwin Schrödinger un terreau fertile pour développer ses idéaux et mettre en oeuvre ces actions sur le terrain. Au cœur de sa démarche : la néguentropie, en déployer en réaction à l’entropie naturelle qui entraîne la disruption, à travers le numérique, le web, la consommation de masse. 

Avec Ars Industrialis, nous soutenons qu’il faut redéfinir les questions d’entropie et de néguentropie. Et pour cela, il faut redéfinir la place de la technique. Comme le disait Alfred Lotka, nous produisons de l’entropie par l’exosomatisation, autrement dit, par nos organes artificiels, des artifices. Bernard Stiegler

Remerciements à l'association Ars Industrialis et à Benoît Robin, membre de Ars Industrialis.

Une série d'entretiens proposée par Céline Loozen. Réalisation : Guillaume Baldy. Attachée de production : Daphné Abgrall. Prise de son : Georges Thô. Avec la collaboration d'Iseult Sicard.

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