"Les formes romanesques ne me convenaient pas, ça m'ennuyait" : épisode 2/5 du podcast Nathalie Sarraute, l'écriture en mouvement

Nathalie Sarraute photographiée à son bureau, à Paris, France le 24 novembre 1959.
Nathalie Sarraute photographiée à son bureau, à Paris, France le 24 novembre 1959.  ©Getty
Nathalie Sarraute photographiée à son bureau, à Paris, France le 24 novembre 1959. ©Getty
Nathalie Sarraute photographiée à son bureau, à Paris, France le 24 novembre 1959. ©Getty
Publicité

Deuxième temps de la série d'entretiens avec Nathalie Sarraute qui détaille son processus de création, ses habitudes d'écriture et sa difficulté à se faire publier malgré le soutien de Jean-Paul Sartre. Elle parle de son refus de la forme romanesque et des lectures qui ont été importantes pour elle.

Avec

Nathalie Sarraute, dans ce deuxième épisode d'"A voix nue", s'exprime sur son usage des langues. Quand elle en utilise une, elle ne pense pas aux autres, "je suis comme enfermée dans un certain système d'où je ne bouge pas", explique-t-elle. Elle détaille un peu plus précisément sa façon de travailler avec la langue, "quand j'écris, je ne vois pas tellement ce qui est écrit, mais j'entends, j'entends chaque phrase." Il lui semble difficile de rentrer beaucoup dans les recoins de sa pensée quand elle produit : "Il y a une telle part chez moi d'inconscient, d'instinct que ça m'est très difficile de juger."

La plupart de mes livres, je crois presque tous, ça a commencé, il y avait un début qui ne bouge pas, comme un tremplin solide qui donne de là où je pars. Généralement une page ou deux écrites, c'est le point de départ. Même quand c'est des morceaux séparés après. C'est très curieux.

Publicité

L'écrivaine raconte noter dans un cahier, "ces mouvements intérieurs" qui "se déroulent". Elle fait cela le matin uniquement, et dehors, "toujours". Elle ne supporte pas les bruits de la maison mais se trouve très à l'aise dans un café au milieu des conversations des autres qui ne la concerne en rien, donc elle "n'écoute rien". Les après-midis, elle y "pense beaucoup" aussi mais ce temps d'écriture le matin, il lui serait "insupportable" de ne pas le faire. Elle raconte ne jamais dépasser deux heures, au-delà elle fatigue et ressent de la "lassitude", voire même, elle s'"ennuie".

J'aurais été très contente d'écrire, mais je n'avais rien à dire, rien. Je ne pouvais pas entrer dans les formes du roman. Il me paraissait que ce n'était plus possible et alors je n'avais rien, je ne trouvais rien. Je ne cherchais même pas. Et puis, c'est venu comme ça brusquement. Je n'ai pas écrit de textes qui ne soient publiés.

C'est "sous l'effet d'une impression très forte" que Nathalie Sarraute s'est mise à écrire, comme des "poèmes en prose" toujours liés à des "sensations", des "mouvements de la vie intérieure". Elle rejette toute idée de psychanalyse dans sa démarche, ça ne l'intéresse pas, "je ne le connais pas cet inconscient", s'amuse-t-elle.

Ce que je décris, c'est aux limites de la conscience et n'importe qui peut le trouver, s'il y met assez de temps. On n'a pas besoin d'un psychanalyste pour le découvrir. Peut-être si on ne l'a pas écrit, alors ça reste comme quelque chose de flou, une sensation vague. Ça prend corps, si je puis dire, en écrivant. 

La lecture de Proust en 1924, puis Ulysse de Joyce et enfin la découverte des livres de Virginia Woolf, "ça m'a arraché, si on veut, à la forme classique", confie Nathalie Sarraute, "c'était tout un monde qui s'ouvrait", ajoute-t-elle. Pour elle, être publiée, a été très compliqué. Elle raconte comment les éditeurs ont refusé son premier roman, Portrait d'un inconnu, malgré la préface de Jean-Paul Sartre. Elle ne s'en offusque pas, cela lui semblerait presque normal, "ça me paraissait tout à fait normal et je pensais même qu'aucun éditeur ne prendrait les Tropismes".

Autour du courant du Nouveau roman, "il y avait une sorte de revendication commune" qu'elle a mise en forme dans l'Ère du soupçon paru en 1956 et qu'elle avait d'abord écrit pour elle-même : "J'avais écrit L'Ère du soupçon pour m'attaquer à cette obligation de créer des personnages du vivant. [...] Au fond, je me défendais moi-même." Elle raconte comment est venu ce mouvement du Nouveau roman, une création artificielle, lui semble-t-elle, entre des écrivains qui "ne savaient même pas ce que les autres écrivaient", "on n'avait rien de commun", affirme-t-elle.

Une série d'entretiens produite par Danièle Sallenave, réalisée par Daniel Finot et Vanessa Nadjar. Attachée de production : Daphné Abgrall et Odile Joëssel. Coordination : Sandrine Treiner.

Pour aller plus loin 

  • Nathalie Sarraute "Le texte est toujours entre la vie et la mort" | Archive INA.
  • Podcast France Culture, "Pour un oui, pour un non" de Nathalie Sarraute. En 2013 un cycle de l’intégral des pièces de théâtre de Nathalie Sarraute avait été conçu et proposé par Jacques Lassalle, réalisé par Etienne Vallès et diffusé en 5 soirées sur France Culture. Les textes des romans ont été choisis par Jean Torrent, et lus par Denis Podalydès  (Comédie Française) enregistrés à Avignon au Musée Calvet en juillet 2012.
  • Nathalie Sarraute : vingt ans après, Colloque international dirigé par Johan Faerber, Ann Jefferson, Rainier Rocchi et Olivier Wagner. En partenariat avec l’université Paris 3 Sorbonne-Nouvelle et l’Institut d’Études Avancées de Paris, Oct. 2019. 

Bibliographie

  • Nathalie Sarraute, Œuvres complètes, La Pléiade, 1996. 
  • Ann Jefferson, Nathalie Sarraute. Trad. de l’anglais par Pierre-Emmanuel Dauzat et Aude de Saint-Loup. Flammarion, coll. « Grandes biographies », 2019. 

L'équipe