Les raisons de la colère : épisode 4/5 du podcast Didier Eribon, écrire les vies déviantes

 Le philosophe et sociologue Didier Eribon en juillet 1988, en France
 Le philosophe et sociologue Didier Eribon en juillet 1988, en France ©Getty -  Louis Monier / Gamma-Rapho
Le philosophe et sociologue Didier Eribon en juillet 1988, en France ©Getty - Louis Monier / Gamma-Rapho
Le philosophe et sociologue Didier Eribon en juillet 1988, en France ©Getty - Louis Monier / Gamma-Rapho
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La vie de Didier Eribon a été jalonnée d’engagements politiques. Comme militant, comme soutien à des partis, comme intellectuel… Dans sa démarche même, son travail de réflexion tente d’élucider les transformations possibles du monde social.

Avec
  • Didier Eribon Sociologue et philosophe, professeur invité à l'Ecole polytechnique fédérale de Zurich. Fellow de King's Colllege à Cambridge (Royaume-Uni)

"Je méprisais les ouvriers réels tout en me gargarisant des luttes de la classe ouvrière"

Que signifie « défendre le prolétariat », pour un jeune militant trotskiste en train de quitter le monde ouvrier dont il est issu ? Est-ce une manière de rester fidèle – intellectuellement – à ce qu’il a pourtant déjà trahi par le simple fait de poursuivre ses études au-delà de l’âge minimum ?

Il y avait une sorte de mise à distance de mon milieu social, parce qu'ils n'étaient pas les ouvriers tels que la mythologie marxiste révolutionnaire les produit, comme des figures sur un grand théâtre politique et historique.

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Didier Eribon s’éloignera de son adhésion au trotskisme, mais le couple fidélité/trahison continuera de le poursuivre, y compris après avoir effectué sa démarche de retour vers la famille fuie. En retrouvant sa mère, il ne supporte toujours pas ce pour quoi il s’en est tenu à distance – son racisme obsessionnel – ; il tente alors de se l’expliquer. L’analyse prolonge la critique de son monde d’origine, mais cherche à en rendre raison.

Mes parents étaient pour l’indépendance de l’Algérie, mais tenaient des propos injurieux contre les immigrés. Je crois que pour ma mère, qui avait toujours été méprisée, humiliée, la seule manière de se donner à ses propres yeux une dignité, c’était de mépriser les gens qui avaient un statut encore plus inférieur et encore plus humilié qu’elle. 

C’est que la théorie critique, celle que défend Didier Eribon, est par principe une pensée politique. Non pas qu’elle agisse directement sur le monde par le simple fait d’être énoncée, mais elle cherche à identifier les déterminismes, les « verdicts sociaux » selon le concept forgé par Eribon, auxquels nous sommes soumis, tout en insistant sur leur historicité. S’ils sont produits dans l’histoire – et ne sont donc pas reconnus comme naturels –, alors ils peuvent être détricotés.

"La colère a aussi pour fonction d'obliger les gens à repenser leur propre cadre de pensée figée"

Quelle est la place de la colère quand on veut réfléchir politiquement ? Si elle contient en elle une énergie transformatrice, ne peut-elle pas saper la rationalité de la pensée ? Didier Eribon, lui, n’y voit pas d’incompatibilité. D’où, peut-être, l’effet de frappe produit par sa prose.

Le paradigme de la discussion rationnelle et savante, qui doit aboutir à un consensus, ne tient pas compte des phénomènes de pouvoir. La colère, saine, est le fondement d’un nouveau discours rationnel, qui bouleverse les cadres de pensée figés. 

Remerciements à Aurélien Barnouin et Maxime Crosnier.

Une série proposée par Antoine Ravon, réalisée par Marie Plaçais. Prise de son: François Rivalan. Attachée de production: Daphné Abgrall. Coordination: Sandrine Treiner.

Liens

A venir

Retour à Reims, film d’archives de Jean-Gabriel Périot, adapté du livre éponyme de Didier Eribon, avec des extraits lus par Adèle Haenel.

Bibliographie sélective